« La Chambre d’à côté », la grâce de la neige
Avec La Chambre d’à côté, Pedro Almodóvar aborde un sujet grave sans morbidité.
dans l’hebdo N° 1844 Acheter ce numéro
La Chambre d’à côté / Pedro Almodóvar / 1 h 50.
La mort est au cœur du nouveau film de Pedro Almodóvar, La Chambre d’à côté, alors qu’elle a aussi rattrapé son cinéma dans la réalité avec le décès récent de l’une de ses actrices fétiches, Marisa Paredes (Talons aiguilles, La Fleur de mon secret, Tout sur ma mère…). Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, La Chambre d’à côté est son premier film tourné aux États-Unis, avec deux stars, Julianne Moore (Ingrid) et Tilda Swinton (Martha).
Ces deux amies de jeunesse qui s’étaient perdues de vue se retrouvent dans des circonstances particulières : la seconde est atteinte d’un cancer. L’avant-dernier long métrage d’Almodóvar, Douleur et gloire (2019), était aussi affaire de retrouvailles et de retour sur le passé – ce qui n’est pas vraiment un hasard : le cinéaste de la Movida a aujourd’hui 75 ans…
On pourrait croire que La Chambre d’à côté est plus dramatique. Ce n’est pas le mot juste, même si le cancer de Martha s’avère incurable. Sans doute parce que Martha, décidée à mettre fin à ses jours avec le soutien d’Ingrid, a concocté une brillante mise en scène de son suicide, dans une maison splendide.
Ambivalence
Aussi parce que l’image même du film, lumineuse, rehaussée par un afflux de couleurs affectionnées depuis toujours par le cinéaste, n’a rien de crépusculaire. C’était le grand pari du film. Comment avec un tel thème parvenir à éviter le morbide ? Sans tricher. Sans mentir, par exemple, sur l’épreuve que représente pour Ingrid d’accompagner Martha vers son but. D’autant qu’à la charge affective s’ajoute la responsabilité pénale de la non-assistance à personne en danger.
L’ambivalence de La Chambre d’à côté passe aussi dans les non-dits et via la présence d’autres œuvres. C’est un extrait des Fiancées en folie (1925) que regardent Martha et Ingrid, où Buster Keaton évite des rochers dégringolant, burlesque et danger de mort se côtoyant. Ou une évocation à deux reprises de la fin des Gens de Dublin, quand la neige s’épand « faiblement sur tout l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts ». Il neige avec grâce sur le cinéma d’Almodóvar.