Davy Rimane : « Pour le RN, conquérir Mayotte représente un symbole fort »
Engagé pour la défense des intérêts des Guyanais, le député de la Gauche démocrate et républicaine porte des revendications liées à l’accès aux services publics, aux infrastructures et au développement économique des territoire ultramarins.
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Davy Rimane est député de la deuxième circonscription de la Guyane depuis 2022 pour la Gauche démocrate et républicaine et président de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale.
Manuel Valls a été nommé ministre des Outre-mer. Il a dit aimer« les défis et prendre des risques ». Sa légitimité serait celle « de l’expérience et de l’engagement ».Que pensez-vous de sa nomination ?
C’est une nomination surprenante. Personne n’attendait Manuel Valls à ce poste. Sa nomination nous a beaucoup surpris, mais pas dans le bon sens. La première chose qu’il met en avant lorsqu’il prend la parole, c’est son statut d’ancien premier ministre et ministre d’État. Il veut faire comprendre que s’il est là, c’est en raison de son passé. Mais cette posture qui consiste à s’appuyer sur son parcours antérieur sans exposer de projet concret pour les Outre-mer interroge. Nous attendons des actes, pas des titres.
La déconnexion du gouvernement avec la réalité de nos territoires est criante.
Quand il dit aimer « les défis et prendre des risques », je ne savais pas que devenir ministre des Outre-mer représentait un risque. Je l’apprends à travers ses propos. Quant à son expérience, je reste dubitatif. Je ne savais pas que Manuel Valls avait une expérience particulière avec nos territoires. Chaque territoire d’outre-mer a sa propre réalité. Parler d’expérience, c’est du surfait. Il va vite comprendre que cela ne fonctionne pas ainsi. S’occuper des outre-mer demande une compréhension fine des problématiques locales.
Les élus du Sénat ont voté, mercredi 15 janvier, un budget de 3 milliards d’euros, soit une augmentation de 6 % par rapport à l’année dernière. François Bayrou a déclaré : « L’engagement pour les outre-mer n’a jamais été aussi haut. » Qu’en pensez-vous ?
Il vaut mieux en rire. Nous avons élaboré une contribution pour le budget 2024 en tenant compte des défis majeurs comme l’accès à l’eau, la pollution au chlordécone, la lutte contre les sargasses, ces algues invasives… Tout ce qui impacte le quotidien de nos concitoyens. Nous avions estimé les besoins à un peu moins de 11 milliards d’euros. Aujourd’hui, on est loin du compte.
Par exemple, l’accès à l’eau potable est évalué à 3 milliards. La dépollution et l’indemnisation du chlordécone coûtent aussi 3 milliards. Rien que ces deux aspects dépassent le budget prévu. Les infrastructures sont vieillissantes et les hôpitaux sont dans un état préoccupant. Il ne s’agit pas uniquement de compenser des retards d’investissements, mais bien de rattraper des décennies de négligence. Le retard est tel qu’il nécessite une stratégie de rattrapage ambitieuse et structurée.
On aurait pu avoir des discussions et envisager un plan pluriannuel d’investissement. Mais là, ils votent 3 milliards et s’attendent à ce que l’on applaudisse. Ils vivent dans leur monde. Pourtant, les chiffres sont là : les écarts économiques et sociaux sont énormes entre l’Hexagone et nos territoires. Mayotte, par exemple, a 30 % de sa population sans accès à l’eau potable. L’accès à la santé, aux services publics… tout est problématique. Ils devraient faire preuve d’humilité. Ils pensent tout savoir, mais c’est faux. S’ils prenaient le temps de nous écouter, nous n’aurions pas eu le drame en Nouvelle-Calédonie. Cette déconnexion avec la réalité de nos territoires est criante.
En septembre 2024, la Martinique s’est mobilisée contre la vie chère comme d’autres territoires avant. La Guyane a connu un fort mouvement social en 2017. Qu’est-ce qui explique cela ?
La vie chère touche tous les territoires. La Martinique s’est mobilisée comme d’autres territoires se sont mobilisés avant. On voit que c’est cyclique. L’économie ultramarine hérite du colonialisme : tout est tourné vers l’Hexagone. L’État n’a jamais permis aux territoires de développer des liens économiques avec leur environnement régional. Depuis les années 1970, on parle de vie chère, et rien ne change. C’est sur ces territoires-là que vous avez les taux de pauvreté les plus hauts de France. Tant qu’on ne réforme pas le modèle économique et qu’on ne laisse pas les territoires commercer librement, rien ne changera.
Que l’État veuille ou que l’État ne veuille pas, nous, on agira.
Par exemple, les collectivités se sont rabattues sur l’octroi de mer parce que les dotations de l’État baissaient. À l’origine, l’octroi de mer était censé protéger la production locale. Aujourd’hui, il s’applique à tous les produits importés. Mais même sans cette taxe les prix resteraient élevés. En Guyane, la TVA est à zéro et les prix sont toujours exorbitants. Le problème vient des industriels et du modèle économique global. Les autorités compétentes le cautionnent. C’est pour ça que nous parlons d’économie qui vient du passé colonial. Tant qu’on ne change pas de modèle, tant qu’on ne casse pas l’existant, on emploiera ces termes.
La Guyane a des richesses insoupçonnées pour certains et connues pour d’autres, il suffit de nous permettre de les exploiter. Je ne peux pas rester là et regarder un territoire péricliter. Donc que l’État veuille ou que l’État ne veuille pas, nous, on agira. Je crois en l’intelligence collective. Nous avons toujours manifesté pacifiquement, mais les générations changent. Ma crainte, c’est que l’État adopte sa réaction habituelle et brandisse le bâton. L’État doit comprendre qu’il faut discuter, sinon la confrontation est inévitable.
Le maintien de l’ordre est-il plus répressif en outre-mer ?
Oui. L’État répond systématiquement par la répression. C’est lié à notre histoire coloniale. La France refuse de faire face à son passé, ce qui alimente encore ces pratiques. En 1967, lorsqu’il y a la révolte des coupeurs de Cannes en Guadeloupe, la répression de l’État consiste à tirer sur les ouvriers. Et à chaque fois, c’est la même chose. À la Martinique, Rodrigue Petitot, le leader du mouvement contre la vie chère, a été enfermé. On n’enferme pas quelqu’un pour son expression.
Cependant, en Martinique, c’est ce qui est en train de se passer. Et lorsque vous parlez avec les Kanaks, c’est un peuple qui part de son histoire, possède une humilité et un respect au-delà des mots. Mais l’État veut montrer que c’est lui qui est là, que c’est lui qui impose l’ordre et qu’on doit faire ce qu’il dit. Nous ne pouvons plus accepter ce traitement différencié. Le dialogue et la concertation doivent devenir la règle. Ce réflexe répressif est révélateur d’un État qui ne sait pas gérer autrement que par la force ses relations avec les outre-mer.
Que pensez-vous de la demande d’autonomie de la Guyane ?
Cette demande est légitime. Le statu quo est impossible. Avec mon collègue Philippe Gosselin [député LR de la Manche, N.D.L.R.], nous venons de publier un rapport sur l’avenir institutionnel des outre-mer. On y rappelle que la résolution adoptée le 13 avril 2024 est l’ultime étape d’élaboration du document d’orientation du projet d’autonomie guyanaise. Les élus ont décidé, maintenant, que nous allions prendre nos responsabilités en demandant une autonomie la plus large possible. Elle permettrait d’avoir des relations économiques directes avec nos voisins.
Le 14 décembre 2024, Mayotte est gravement frappée par le cyclone Chido. Un plan d’urgence a été voté pour la reconstruction. Quels échos avez-vous sur ce plan et est-ce qu’il répond réellement à l’urgence qu’il y a sur place ?
J’ai participé au débat sur la loi d’urgence pour Mayotte. Cette loi est avant tout technique, elle donne à l’État les pleins pouvoirs pour déroger aux règles habituelles afin de gérer la situation. Nous avons tenté d’imposer des garde-fous, car donner carte blanche à l’État comporte des risques. Malgré cela, nous avons réussi à obtenir que les élus locaux soient consultés, même si l’État refusait initialement que les maires aient un avis conforme. C’était indispensable que les élus locaux aient voix au chapitre sur les projets impactant leurs territoires.
Mon objectif est de m’assurer que l’État prenne concrètement en charge la reconstruction de Mayotte, au-delà des annonces. On parle d’un budget de plusieurs centaines de millions d’euros, mais vu l’ampleur des dégâts, il est évident que les besoins dépasseront le milliard. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me rendrai normalement à Mayotte la semaine prochaine, autour du 25 janvier, afin de faire un point sur la situation et préparer le second texte législatif qui suivra.
Le gouvernement et Marine Le Pen se sont déjà rendus à Mayotte. Selon vous, que doit défendre la gauche sur ce territoire ? Est-elle audible sur ces sujets ?
Ce qui m’inquiète, c’est le discours qui commence à émerger : celui qui désigne les étrangers comme responsables de tous les problèmes de Mayotte. Cette stigmatisation est inacceptable. Le traitement de la question migratoire dans les outre-mer déroge souvent au droit commun. Les dispositifs de base pour gérer cette question ne sont pas mis en œuvre correctement. La gauche n’est pas audible sur cette question. Ce ne sont pas les migrants eux-mêmes qui posent problème, mais bien l’absence totale de gestion de cette question.
Le sentiment d’abandon de l’État, conjugué aux difficultés sociales et économiques, a alimenté un climat de défiance.
Quand l’État ne prend pas ses responsabilités, cela crée un vide, laissant des familles livrées à elles-mêmes. Je connais cette réalité, car nous vivons des situations similaires en Guyane. L’État est directement responsable de cet abandon. Ce qu’on oublie de dire, c’est que le territoire est historiquement sous-équipé. Le discours qui stigmatise les étrangers est dangereux mais n’est pas nouveau. Dans les années 1970, déjà, on accusait les immigrés d’être responsables du chômage. Ce sont des arguments simplistes et dangereux.
Avec Gérald Darmanin à la Justice et Bruno Retailleau à l’Intérieur, tout est dit sur les intentions du gouvernement. Quand Marine Le Pen se rend à Mayotte, les médias couvrent largement sa visite. Mais la gauche ne s’est pas autant mobilisée. Personnellement, j’y vais parce que je suis un élu ultramarin et président de la délégation aux Outre-mer. Mais, surtout, j’y vais parce que c’est un devoir humain. Avant même le passage du cyclone Chido, la situation à Mayotte était déjà critique.
Lors des élections européennes de 2024 et des législatives, le Rassemblement national a largement remporté les suffrages à Mayotte. Pourquoi ce territoire est-il devenu un bastion du RN ?
Mayotte est un jeune département, officiellement depuis 2011. Ce statut récent explique en partie sa vulnérabilité face aux discours populistes. En Guyane, nous connaissons bien les dangers que représente le RN. Notre histoire, marquée par la colonisation et les luttes sociales, nous a toujours poussés à nous opposer fermement à l’extrême droite.
Lors des élections présidentielles de 2022, Jean-Luc Mélenchon arrivait en tête dans plusieurs territoires ultramarins, suivi de Marine Le Pen au second tour. Ce résultat illustre un rejet massif de la politique d’Emmanuel Macron. Mais à Mayotte, la situation est plus complexe. Le sentiment d’abandon de l’État, conjugué aux difficultés sociales et économiques, a alimenté un climat de défiance. Beaucoup de Mahorais en viennent à désigner l’étranger comme responsable de leurs maux.
Le Rassemblement national prospère sur cet abandon de l’État. Quand les populations sont délaissées, elles se tournent vers ceux qui prétendent leur apporter des solutions, même si elles sont dangereuses. Les discours de Marine Le Pen sur les « Français d’abord » trouvent un écho parce que l’État n’a jamais assumé ses responsabilités envers Mayotte. Ce n’est pas un problème d’étrangers, mais bien d’un État qui n’a pas investi dans ce territoire. Pour le RN, conquérir Mayotte représente un symbole fort. C’est pourquoi ils ont intensifié leur présence et leur discours auprès des habitants.
Comment comptez-vous combattre le RN sur place ?
Cette progression s’explique par l’hypocrisie de la classe politique. Historiquement, aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a pris les mesures nécessaires pour répondre aux besoins des Mahorais. Les populations, confrontées à des difficultés extrêmes, n’ont plus confiance en ceux qui les ont gouvernés. Marine Le Pen n’a jamais été au pouvoir. « Pourquoi ne pas essayer ? » se disent certains. C’est révélateur d’un profond désespoir.
Nous devons démontrer qu’un autre chemin est possible, fondé sur la justice sociale.
Face à cette situation, nous devons agir. Pas seulement avec des mots, mais avec des actes. Il faut proposer une alternative crédible qui réponde aux attentes des Mahorais. Cela passe par des investissements concrets dans les infrastructures, l’éducation, la santé et la sécurité. Ce n’est qu’en rétablissant la confiance que nous pourrons contrer l’influence de l’extrême droite. Le Rassemblement national prospère là où l’État a échoué. Nous devons démontrer qu’un autre chemin est possible, fondé sur la justice sociale, le respect des droits fondamentaux et le développement durable. C’est ainsi que nous pourrons réellement répondre aux attentes des populations ultramarines.