« Éclats d’Irak », ici comme ailleurs
De l’Irak à Paris, les poèmes de Kadhim Jihad Hassan racontent l’exil.
dans l’hebdo N° 1845 Acheter ce numéro
Éclats d’Irak suivi de Migrations / Kadhim Jihad Hassan / traduit de l’arabe par André Miquel et l’auteur / « Sindbad », Actes Sud, 206 p., 23 euros.
« Suis-je en quête d’îles lointaines / Ou visiblement en fuite toujours plus avant ? / Qu’est-ce en moi qui me pousse à marcher vers l’infini ? » Ces vers sont dus à Kadhim Jihad Hassan, poète, essayiste, traducteur et professeur à l’Inalco, né en 1955 dans le sud de l’Irak et arrivé en France à l’âge de 21 ans, pour ne plus en repartir. Ce sont les vers d’un marcheur appartenant à des « processions de vaincus », pour qui le pays perdu paraît tout à la fois si loin et si proche.
On les trouve dans la partie intitulée Éclats d’Irak, qui, dans l’anthologie des poèmes de Kadhim Jihad Hassan publiée en cette rentrée de janvier, s’insère entre deux autres cycles de poèmes : Réinvention de la campagne, où l’auteur convoque ses souvenirs de jeunesse, et Migrations. Ces trois titres résument le parcours de sa vie.
« Longtemps nous garderons le souvenir / De l’étonnement des passants / Lorsque nous nous mîmes à saisir l’air / Avec des pinces / Et à faire des bizarreries / Qui étaient tout simplement / Notre façon de ne pas être. » Une étrangeté, un décalage, une douleur : tel est l’exil. Ses différents symptômes se déclinent dans l’ensemble du volume. Kadhim Jihad Hassan sait ne pas être plaintif lorsqu’il exprime sa mélancolie.
« Sur les ruines des images flétries »
Il aborde aussi de tout autres sujets, dont il fait des textes en prose ou des récits poétiques. Comme dans le piquant « Naïveté » : « On me croit naïf. Mais moi, je sais que la naïveté est cette large étendue où la pointe du vécu affine à ce point le langage que l’indicible se marie soudain au dicible […]. Le non savoir dépasse ici de loin le savoir infus. Et, sur les ruines des images flétries, se hisse une vérité que seuls savent lire le bègue, l’illettré et l’idiot de naissance. L’ignorance, mais en parfaite conscience de cause, telle est ma cible. »
Cependant, un des poèmes a pour exergue un vers de Rilke : « J’ai beaucoup de morts. » Il est vrai que Kadhim Jihad Hassan évoque le décès de son père (en Irak, loin de lui), celui de certains de ses amis, et beaucoup d’autres. C’est la loi, l’âge venant. « Si les morts ne parlent plus / Je me mets souvent à leur place / Et bien volontiers je deviens / Leur langue, leurs lèvres. »