« L’exploitation minière, un modèle est intrinsèquement prédateur et destructeur »
Une nouvelle ruée minière a lieu dans le monde, au nom de la transition énergétique. Une fausse solution et des politiques mensongères que décrypte la journaliste et philosophe Celia Izoard.
dans l’hebdo N° 1844 Acheter ce numéro
L’urgence de lutter contre le changement climatique et de sortir du tout-pétrole est brandie comme un prétexte en or pour justifier le nouvel essor de l’industrie minière. Dans son livre enquête La Ruée minière au XXIe siècle, Celia Izoard décrit avec acuité les ravages environnementaux de ces mines à ciel ouvert présentées comme « vertes », notamment celles de Rio Tinto et de Cobre Las Cruces, en Andalousie, région touchée par des sécheresses à répétition. Mais aussi le désastre social et humanitaire, comme au Maroc, dans la mine de Bou-Azzer où les mineurs travaillent comme des forçats, au contact de polluants, pour sortir des tonnes de cobalt, indispensable aux véhicules électriques.
La ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Celia Izoard, Seuil, 344 pages, 2024.
Votre livre La Ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, déconstruit les mythes concernant l’industrie extractive, notamment l’idée que les mines appartiennent au passé. Vous montrez qu’il n’y a jamais eu de rupture. Comment s’est passée cette continuité ?
Celia Izoard : Le capitalisme industriel est fondé sur l’extraction de minéraux et la maîtrise des hautes températures que nécessite la métallurgie, et cette dépendance n’a cessé de s’amplifier. À la fin du XVIIIe siècle, l’alliance du fer et du charbon a permis l’émergence des forces productives et de ce mode de vie qui menace aujourd’hui les conditions d’habitabilité de la planète. Le boom de l’après-guerre a engendré un changement d’échelle monumental : nous sommes passés des mines souterraines à la généralisation de la mine à ciel ouvert. Ce modèle d’extraction ultra-mécanisé a permis de disperser les mineurs, cette masse de travailleurs qui, en s’unissant, avait réussi à acquérir des droits qui sont ensuite devenus la base des régimes de protection sociale dans plusieurs pays.
Dans les mines d’aujourd’hui, chaque jour, ces gigantesques machines sortent des centaines de milliers de tonnes de roches, qui sont broyées et trempées dans des bains chimiques. Les mines recrachent des boues toxiques, des dizaines de milliers de tonnes de résidus qui remplissent des vallées, retenus par des barrages. Régulièrement, et de plus en plus à cause de l’instabilité climatique, ces barrages cèdent et détruisent parfois des centaines de kilomètres de cours d’eau. Ce modèle est intrinsèquement prédateur et destructeur, parce qu’il est fondé sur la mobilisation de quantités énormes de matière et de ressources.
Pourquoi la production minière a-t-elle doublé au cours des dernières années dans le monde et ne cesse-t-elle d’augmenter ?
Regardons autour de nous : toutes les productions augmentent, les appareils électroniques, les avions, les satellites, les infrastructures électriques, la 5G, les caméras, les écrans publicitaires… Nous vivons un déferlement d’objets qui consomment des minéraux, que ce soit pour fabriquer des couleurs, des composants électroniques, des câbles électriques. L’aéronautique et l’aérospatiale, par exemple, sont des secteurs basés sur l’extractivisme. Airbus, qui produit 700 avions par an, est l’une des sociétés les plus consommatrices de métaux au monde. Dans un A380, vous avez 80 tonnes d’aluminium-lithium, 18 tonnes de titane, etc.
Quant au secteur du numérique, c’est un véritable gouffre pour les métaux, en particulier les data centers. Chacun de ces immenses entrepôts remplis de serveurs contient des milliards de composants qui contiennent chacun des dizaines de métaux différents, utilisés en alliages sous forme de trace, donc irrécupérables. Par exemple, dans une petite puce, vous trouverez de l’arsenic ou de l’or, disséminés à l’échelle du microgramme, parfois du nanogramme. De plus, pour éviter les pannes, les entreprises du cloud comme Amazon renouvellent ces serveurs tous les trois ans et doublent l’alimentation électrique en stockant des tonnes de batteries qui contiennent donc du lithium, du cobalt, du manganèse, du graphite, du nickel, etc.
Comment s’est imposée l’idée que les mines sont le prix à payer pour réussir la transition énergétique ?
Le monde de l’entreprise a interprété l’accord de Paris sur le climat à sa façon, c’est-à-dire en considérant que la baisse des émissions de GES ne devait en aucun cas affecter la croissance, mais qu’elle pouvait être l’occasion de créer un nouveau marché de l’énergie en développant à toute vitesse les technologies dites bas carbone. Comme ces technologies sont intensives en métaux, en particulier la voiture électrique, l’industrie minière s’est engouffrée là-dedans avec le concept de « métaux pour la transition ».
La catastrophe climatique devrait nous obliger à faire le bilan de notre rapport à l’extraction de fossiles et de métaux.
En 2017, la Banque mondiale a lancé une campagne en partenariat avec le principal lobby minier au monde, dans lequel on retrouve les entreprises d’extraction Glencore ou Orano. Ils ont produit un rapport sur la transition qui affirme que les mines sont nos meilleures alliées pour résoudre le réchauffement climatique. Cette promesse s’appuie sur l’idée qu’il pourrait exister des mines et de la métallurgie bas carbone : ce qui n’a pour l’instant aucune réalité, ce sont les secteurs qui émettent le plus de CO2 au monde. Donc tout repose sur les promesses de l’industrie minière d’améliorer ses pratiques alors que c’est l’une des plus opaques du monde.
La catastrophe climatique devrait nous obliger à faire le bilan de notre rapport à l’extraction de fossiles et de métaux, et à nous pencher sur des mondes qui auraient extrait et produit de manière plus modeste. Or, c’est l’inverse qui se produit, et au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut démontrer que l’extraction minière est complètement contre-productive pour lutter contre les émissions de GES, et l’ampleur des violences qu’elle engendre.
Que voulez-vous dire ?
Quand on crée un parc automobile électrique en France ou en Allemagne, on ne fait que délocaliser les émissions carbone vers les pays producteurs de métaux. Pour extraire des matières premières, on détruit les puits de carbone naturels que sont les forêts tropicales de l’Indonésie ou du Brésil, les tourbières et les forêts boréales du Canada.
On construit des routes, des barrages hydroélectriques et des usines. Souvent, cela va de pair, comme en Inde, avec une militarisation et une politique de terreur. Dans plus de la moitié des cas, ces mines sont créées sur les terres collectives de peuples autochtones, dont les pratiques de subsistance et la culture sont détruites par ces projets qui servent in fine à produire des SUV de deux tonnes pour des Européens.
La voiture électrique est la quintessence du mode de vie impérial.
La voiture électrique est la quintessence du mode de vie impérial. Mais l’argument de chercher des métaux pour la transition est aussi le prétexte à approvisionner l’ensemble des industries occidentales, menacées par une crise des matières premières du fait de la guerre commerciale avec la Chine. Les « mines pour la transition » sont souvent tout autant des mines pour les data centers, les avions et les satellites.
Qu’en est-il de la politique minière sur le territoire français ?
Ces dernières années, il y a eu deux moments : en 2010-2012, Arnaud Montebourg a tenté de mener une relance minière avec l’argument de créer des emplois, mais les populations s’y sont opposées. Une nouvelle tentative est menée depuis 2022, cette fois avec l’argument de la transition. Le projet phare est l’ouverture de la mine de lithium dans l’Allier par l’entreprise Imerys, vitrine d’une relance minière plus vaste avec d’autres projets portant sur des métaux précieux comme l’or en Bretagne, dans le Rhône, le Massif central, en Dordogne…
Ce nouvel argumentaire autour des mines pour la transition est dénué de fondement. Le lithium pourrait éventuellement participer à une décarbonation, mais cela supposerait d’investir massivement dans les transports en commun et les vélos cargo et dans de petits véhicules électriques uniquement. Tant qu’il n’y aura aucun arbitrage sur la consommation de lithium et les besoins, celui-ci servira à produire des batteries pour des SUV, des drones et des aspirateurs robot qui n’ont aucun rapport avec la lutte contre les émissions de GES.
Un autre mythe qui s’est propagé repose sur l’idéal de la mine propre, verte, durable.
J’ai enquêté pour le média Splann ! sur une mine en Bretagne, gérée par Imerys, qui prétend n’avoir presque aucun impact sur l’environnement. Il s’agit de la mine de Glomel, dans les Côtes d’Armor, qui est définie comme une carrière d’un point de vue administratif, mais qui est en réalité une mine à ciel ouvert où l’on extrait de l’andalousite, un minéral industriel. Lors de mon enquête, j’ai découvert l’ampleur de la minimisation des impacts environnementaux, car tout est fondé sur l’autocontrôle. J’ai réalisé des prélèvements des sédiments dans le lit de la rivière en aval : j’ai trouvé du cadmium, du cobalt, des métaux lourds cancérigènes. Les taux de nickel dépassent de 20 à 60 fois les valeurs guides pour le bon état écologique des cours d’eau. Ce qui est très préoccupant puisqu’on est à l’amont des stations de pompage d’eau potable.
Aujourd’hui, les mines réapparaissent réenchantées par la promesse « responsable ».
Pourquoi est-il important de réfléchir à l’imaginaire collectif lié à la mine ?
Sur le plan philosophique, il est fascinant de voir comment elle a pu tour à tour apparaître et disparaître dans l’imaginaire collectif occidental. Pendant les années 1980-1990, les mines sont devenues « du passé » alors qu’elles n’ont jamais été si grandes et si destructrices pour les peuples d’Amazonie ou de Papouasie, par exemple. Aujourd’hui, les mines réapparaissent réenchantées par la promesse « responsable » et auréolées de la mission salvatrice de la transition. Cette fiction est tout aussi irréelle que la fable précédente.