« Le gel temporaire de la réforme des retraites serait un marché de dupes »
Alors que la question des retraites est de nouveau au cœur des débats politiques, l’économiste Henri Sterdyniak s’interroge sur le sens, pour le Parti socialiste, de soutenir le gouvernement s’il obtenait simplement un gel temporaire du recul de l’âge légal de départ à 64 ans.
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Plus d’un an et demi après, « la pilule n’est toujours pas passée », pour paraphraser Murielle Guilbert, codéléguée générale de Solidaires. Adoptée en force au printemps 2023, la réforme des retraites est, de nouveau, au cœur des débats politiques. En jeu : la négociation entre le gouvernement de François Bayrou et le Parti socialiste (PS) d’un accord de non-censure en contrepartie de gestes politiques forts, notamment sur la question des retraites. Pourtant, comme le rappelle l’économiste Henri Sterdyniak, un simple gel temporaire de la réforme d’Élisabeth Borne n’apporte aucune garantie d’un retour pérenne sur les questions de l’âge légal de départ ou de la durée de cotisation.
Ces derniers jours, le Parti socialiste (PS) négocie avec le gouvernement Bayrou un « gel » de la réforme des retraites et, surtout, de l’augmentation de l’âge légal de départ. Geler uniquement cette mesure aurait-il du sens ?
Henri Sterdyniak : Un petit peu. Aujourd’hui, un certain nombre de gens ne peuvent pas partir à la retraite car l’âge légal de départ a augmenté. Ou parce que leur pension est trop faible du fait de la hausse de la durée de cotisation. Donc, on pourrait très bien imaginer qu’on bloque ces deux variables pendant un certain temps, pour effectuer des concertations sur notre système des retraites pour essayer de trouver des solutions.
La capitalisation n’est en rien une solution.
La réforme d’Élisabeth Borne, c’est l’addition de ces deux mesures. Donc si on bloque les deux, cela aura un effet. En revanche, si c’est seulement une des deux – comme l’âge légal de départ, on ne fait que la moitié du chemin. Après, évidemment que l’idéal serait l’abrogation. Parce que l’intérêt de la suspension, c’est de se donner un peu de temps pour réfléchir à un retour aux 62 ans et aux 42 annuités. Mais le risque, c’est qu’à la fin, la réforme actuelle se remette en place.
Justement, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, évoque cette conférence de financement qui permettrait, selon lui, de rechercher « une solution pour ne pas avoir une abrogation sèche, mais pour changer de système ». Existe-t-il une piste crédible – et de gauche – de changement de système des retraites ?
Non, aucune piste crédible de changement de système n’existe à court terme. Il n’y a pas de recette miracle. Les deux seules pistes qui existent face au système par répartition seraient l’introduction de la retraite par capitalisation ou un système par points. La première serait une trahison de ce que la gauche a toujours promu : que la retraite fait partie du salaire. Ce système par capitalisation est fondamentalement inégalitaire car il ne prend pas en compte les compensations du système par répartition (congé maternité, chômage, maladie, etc.). En plus de cela, la capitalisation ne peut être une solution de court terme.
Si demain on dit qu’on fait de la capitalisation, il faut accumuler du capital pour avoir droit à une retraite et les premières personnes qui en bénéficieront, ce sera dans vingt ans au moins. Cela implique qu’on oblige les gens à capitaliser pour leur retraite, le tout en continuant, au moins un temps, la répartition. Qui paiera cette double dépense ? Si c’est seulement l’introduction, facultative, d’une partie de capitalisation, cela ne bénéficiera qu’aux plus riches. Or, souvent, la capitalisation est accompagnée d’avantages fiscaux, et on n’a pas besoin de donner de nouveaux avantages fiscaux aux plus aisés. Donc ce n’est en rien une solution.
Et le système par points ?
On a déjà vu en 2019 que c’était extrêmement compliqué à mettre en place. C’était un casse-tête épouvantable qui aurait, potentiellement, donné des effets au bout de vingt ans. Donc ce n’est pas non plus une solution de court terme. Aussi, il faut définir ce qu’implique un système par points, notamment en matière de garanties apportées aux travailleurs. Si la valeur du point, en termes de pouvoir d’achat, n’est pas maintenue et garantie dans le temps, ce serait un vrai marché de dupes.
Alors, quelle mesure serait envisageable pour pérenniser notre système par répartition sans, toujours, jouer sur l’âge légal de départ ?
Une nouvelle fois – et c’est toujours le cas avec le sujet des retraites – il n’y a pas de recette miracle. Pour financer les retraites, il faut que quelqu’un paye. Cela peut notamment passer par une hausse des cotisations. Alors, suivant le rapport de force, ce serait soit payé par les salariés, soit par les entreprises, soit par les deux.
Vu le rapport de force actuel, ne peut-on craindre qu’une hausse des cotisations retombe uniquement sur les travailleurs ?
Si, totalement. Depuis sept ans, le gouvernement s’est engagé à ne pas augmenter les taux de cotisations des entreprises. C’est l’ADN d’Emmanuel Macron, son principe fondamental : réduire les impôts de production et les taux de cotisations pour les entreprises. Ainsi, l’idée même d’augmenter les cotisations employeurs serait pour lui comme avaler son chapeau. En plus de cela, le patronat est également arc-bouté sur ces questions-là. Donc on a une sorte d’accord implicite entre Emmanuel Macron et le patronat, et il est très difficile d’imaginer une trahison de cet accord.
J’ai du mal à croire qu’on demandera au patronat de mettre la main à la poche.
Pourtant, le PS semble espérer beaucoup d’une conférence de financement…
Le Parti socialiste ne doit pas espérer. La seule chose qu’il peut espérer, c’est d’obtenir, à l’issue de cette conférence, quelques mesures sur la pénibilité parce qu’on est vraiment à la traîne sur ce sujet. Mais j’ai du mal à croire qu’on demandera au patronat de mettre la main à la poche. Donc cette conférence risque de faire pschitt. Aussi, il y a un risque qu’elle mette les syndicats au pied du mur s’ils devaient accepter uniquement une hausse des cotisations salariales pour revenir sur la mesure d’âge.
Ce serait une trahison vis-à-vis des travailleurs si le patronat ne met pas autant dans la balance. Donc on fait face à un double blocage. Le principal, c’est que les patrons ne veulent pas payer plus. Le second, impliqué par le premier, c’est que les syndicats ne veulent pas que les travailleurs payent plus si les patrons ne payent pas plus.
À vous écouter, le gel de la réforme des retraites ne servirait, in fine, pas à grand-chose au vu du rapport de force actuel ?
Le gel temporaire serait un marché de dupes. En contrepartie, cela impliquerait une forme de soutien du gouvernement sans que l’on dispose de la moindre garantie de ce qui pourrait aboutir de cette conférence de financement. Surtout si le patronat refuse de mettre la main à la poche. Ce serait naïf de soutenir le gouvernement en échange d’une promesse qui n’a aucune consistance.