« La Mirada comprometida » : éclats de vies

À Toulouse, une exposition amène à redécouvrir Nicolás Muller, dont l’œuvre est à forte teneur humaniste.

Jérôme Provençal  • 8 janvier 2025 abonné·es
« La Mirada comprometida » : éclats de vies
© Nicolás Muller

La Mirada comprometida / Instituto Cervantes de Toulouse / jusqu’au 14 février.

On doit à la Hongrie plusieurs représentants majeurs de l’art de la photographie au XXe siècle, parmi lesquels Brassaï, Robert Capa et André ­Kertész. À ces noms illustres s’ajoute celui de Nicolás Muller, encore trop peu familier du public français – malgré une première exposition rétrospective importante proposée par le Jeu de Paume, au Château de Tours, fin 2014-début 2015.

Né en 1913, Nicolás Muller – Müller Miklós, pour l’état civil d’origine – a grandi dans une famille juive bourgeoise très ouverte d’esprit et imprégnée de culture. À l’âge de 13 ans, il a reçu en cadeau son premier appareil photo, dont il a développé un usage passionné au point de sentir naître une véritable vocation, cette pratique artistique lui permettant d’exprimer son rapport au monde, profondément humaniste.

J’ai appris que la photographie peut être une arme.

N. Muller

«J’ai appris que la photographie peut être une arme, un document authentique de la réalité. Je suis devenu une personne et un photographe engagés», dira-t-il plus tard. Au début des années 1930, en parallèle de ses études de droit, il a sillonné les zones rurales de la Hongrie, s’attachant à capter des visages, des silhouettes ou des fragments de vie, avec une attention particulière pour le milieu ouvrier et le monde paysan.

Face à la menace croissante de l’Allemagne nazie, il a décidé en 1938 de quitter son pays natal – qu’il n’a plus jamais revu. Il s’est d’abord établi pendant environ un an en France, où il a rencontré des compatriotes en exil (dont Brassaï et Capa) et travaillé pour divers journaux. Ensuite, il a effectué un bref passage au Portugal, a vécu plusieurs années au Maroc puis, à partir de 1947, s’est installé –définitivement – en Espagne.

Mort en 2000 dans un petit village des Asturies, région chère à son cœur où il avait choisi de se retirer en 1980, il a mené son activité de photographe jusqu’aux années 1960, se partageant pour l’essentiel entre portraits de personnalités et explorations à travers l’Espagne. Naturalisé espagnol en 1961, il jouit d’une reconnaissance importante dans son pays d’adoption.

Projet itinérant

Dépositaire de l’œuvre de son père, Ana Muller – elle-même photographe – porte depuis quelques années un ample projet itinérant, en binôme avec le photographe et commissaire d’exposition José Ferrero Villares. Intitulé La Mirada comprometida (Le Regard engagé), ce projet s’articule autour d’un fonds de 125 photographies, pour la plupart inédites, qui peuvent être présentées en intégralité ou en partie suivant les possibilités des espaces d’accueil.

Ayant déjà suscité des expositions à Tanger et à Madrid, La Mirada comprometida se concrétise actuellement pour la première fois en France, à l’Instituto Cervantes de Toulouse. L’on peut y découvrir quelque 70 photos – toutes de moyen format, en noir et blanc – distribuées en cinq segments correspondant aux cinq pays (Hongrie, France, Portugal, Maroc, Espagne) où elles ont été réalisées.

Jalonné de motifs récurrents (travaux des champs et des villes, jeux d’enfants, scènes de rue…) et de figures formelles très expressives (plongées et contre-plongées, traversées diagonales…), l’ensemble – qui s’étend du début des années 1930 à la fin des années 1950 – offre une belle introduction à son univers.

Son style révèle un travail extrêmement élaboré sur la composition de l’image.

Si elles suggèrent un attachement indéfectible à l’humain, les photographies ici réunies, bien que souvent saisies sur le vif, traduisent tout autant une haute exigence esthétique. Témoignant de l’influence primordiale que le Bauhaus et le constructivisme russe ont exercé sur Nicolás Muller durant ses années d’apprentissage, son style révèle un travail extrêmement élaboré sur la composition de l’image – en particulier la lumière, la perspective et les lignes géométriques.

De la période française, courte mais dense, se détachent notamment l’image – à l’oblique parfaitement accordé au paysage – d’une ronde d’enfants sur une colline en Haute-Savoie et celle – saisissante – d’un photographe en pleine action sur la tour Eiffel, juché entre deux rambardes métalliques, la tête dans les nuages.

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Exposition
Temps de lecture : 4 minutes