BD : à Angoulême, des burgers indigestes

L’organisation du Festival d’Angoulême et le choix de ses sponsors suscite des oppositions pour sa 52e édition. En parallèle, une programmation « off » s’enrichit et un carnaval des luttes s’organise.

Marius Jouanny  • 29 janvier 2025 abonné·es
BD : à Angoulême, des burgers indigestes
Extrait de l'affiche de l'édition 2025.
© DR

Festival international de la bande dessinée /Angoulême / jusqu’au 2 février.

Quick. La controverse suscitée cette année par le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) se résume en un seul mot. L’annonce du nouveau partenaire officiel du festival, géant de la malbouffe, « n’a pas été digérée », entend-on au conseil municipal de la ville ­d’Angoulême. Majorité et opposition s’accordent pour demander une rupture du contrat entre l’association du festival et son délégué général, Franck Bondoux. Ce dernier chapeaute l’événement via son entreprise 9e art + depuis 2008, avec une « opacité » dénoncée par la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine en 2021.

Sous sa direction, le festival a certes su évoluer, en accordant par exemple droit de cité aux mangas trop longtemps boudés – comme l’attestent les expositions de Gou Tanabe et Makoto Yukimura durant cette édition. Les comics de super-héros sont également représentés par deux expositions, l’une sur l’univers Marvel et l’autre sur le personnage de Superman. La création hexagonale n’est pas en reste, avec notamment des expos sur l’œuvre de la scénariste Julie Birmant, connue pour ses biopics de Picasso et Dali, et sur les coulisses des romans-photos méconnus des éditions Flblb.

Dommage cependant que les stands d’éditeurs soient compartimentés en pôles séparés (franco-belge, manga et production alternative), dans l’esprit « chacun son métier, les vaches seront bien gardées », au détriment d’un brassage des publics. Cette 52e édition célèbre enfin la bande dessinée espagnole et met à l’honneur l’autrice anglaise Posy Simmonds (Gemma Bovery, Tamara Drewe).

Chaque année, le FIBD accueille environ 200 000 visiteurs attirés par les expos et les dédicaces. Pour y accéder, les festivaliers doivent accepter une augmentation sans précédent des billets de 25 %, que Franck Bondoux justifie par l’inflation. En marge de l’événement officiel, différents acteurs locaux proposent en revanche une programmation gratuite. Le Future Off organise un salon de la micro-édition avec plus de 90 exposants, incluant de nombreux artistes et collectifs producteurs de fanzines et d’illustrations. La Maison des auteurs d’Angoulême propose une exposition des travaux en cours de ses résidents.

BD engagée et carnaval des luttes

D’autres lieux culturels de la ville comme Le Bêta, La Baraka ou le Off of off accueillent des concerts et des expositions, tandis que la Maison des peuples et de la paix se focalise sur la bande dessinée engagée. L’association propose une exposition et des rencontres avec le dessinateur palestinien Mohammad Sabaaneh (Je ne partirai pas, éditions Alifbata). Dans son récent 30 secondes à Gaza, ce dernier témoigne des souffrances des Gazaouis depuis octobre 2023. Une autre table ronde y est aussi organisée autour des violences judiciaires avec la dessinatrice Ana Pich, qui documente des comparutions immédiates dans Chroniques de l’injustice ordinaire (éditions Massot).

Le samedi, jour de plus forte affluence du festival, de nombreux collectifs d’Angoulême se sont associés pour organiser une manifestation : le carnaval des luttes. Ils revendiquent « des conditions de travail et de vie dignes », notamment pour les auteurs et les autrices. Une étude datée de 2014 a révélé que 71 % de ces derniers occupent un emploi parallèle, 53 % vivent en dessous du Smic, et 36 % sous le seuil de pauvreté.

Julien, ancien étudiant aux beaux-arts d’Angoulême, y participera en se déguisant en bouffon, car il y voit « une figure impertinente envers le pouvoir ». Il dénonce « l’impact écologique désastreux de l’industrie du livre basée sur le pilon » et l’inaccessibilité du festival aux petits budgets. En son sein même, les difficultés liées à la condition des artistes sont évoquées à travers une exposition de l’Espace nouvelle création, conçue notamment par Adrian Tomine et Émilie Plateau, qui racontent leurs parcours du combattant dans La Solitude du marathonien de la bande dessinée (éditions Cornélius) et le livre-jeu L’Épopée infernale (éditions Misma).

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Littérature
Temps de lecture : 4 minutes
#BD