Féminisme carcéral complice
La sociologue Nacira Guénif dénonce les inégalités de traitement et de soutien entre les victimes de l’incendie de Los Angeles et celles, bien plus nombreuses, de la guerre menée par Israël en Palestine.
Si l’on se fie au baromètre compassionnel du moment, nous serions plus enclin.es à nous apitoyer sur le sort de ceux, pauvres ou riches, qui ont tout perdu mais ont survécu aux incendies ravageant les quartiers résidentiels de la cité des anges déchus que sur les Mahorais.es. À Mayotte, bon nombre ont perdu leur toit de tôle et n’ont toujours pas d’eau courante et potable. Désormais, de cyclone en tempête, iels n’osent plus espérer que leur État les secourt enfin. Et moins encore sur la population de Gaza, livrée à son colonisateur.
Los Angeles est un immense brasier, voilà qui accapare notre attention et épuise nos émotions. Il n’en reste plus guère pour les autres, si loin, si différents, emportés par l’inexorable emballement médiatique. C’est, je suppose, la parfaite expression de ce qu’on appelle le rêve américain qui nous émeut tant : un mirage, gagné sur le désert, l’absence d’eau, la faille séismique menaçant de tout engloutir, au prix d’inégalités criantes jusque dans les suites des incendies, urbanisme tentaculaire au service d’un mode de vie délirant jusqu’à ce que le dérèglement climatique détruise au gré du vent.
LA est un mirage aux nombreux émules sur la planète qu’il est déjà prévu de reconstruire avec quelque 50 milliards de dollars des compagnies d’assurances et l’aide de l’État fédéral. Un tel empressement n’est pas près de bénéficier, au hasard, aux Mahorais, aux Kanaks ou encore aux Gazaoui.es qui vivent dans et meurent sous les décombres de leur prison à ciel ouvert érigée depuis près de 20 ans, pour ne parler que de la dernière phase de la Nakba.
Au prisme du féminisme carcéral, voulu pour punir en désignant ses coupables sexistes à la justice, ces palestinien.nes qui meurent à Gaza et en Cisjordanie, semblent mériter leur sort puisque rien ne vient enrayer leur anéantissement. Iels n’auraient rien de commun avec le mode de vie si prisé, et pourtant monstrueux qui a accouché de LA, aboutissement de l’accaparement de terres ancestrales et de la spoliation des peuples autochtones qui les habitaient.
Nous détournons les yeux de femmes et d’hommes qui luttent pour leur liberté et en meurent.
Cependant, le peuple palestinien vit, sous nos yeux, la répétition du même événement, vol de la terre, destruction d’une culture, de toute forme de vie et de futur, élimination physique, et craint d’être effacé comme l’ont été les anciens habitants de la Californie. Cette fois-ci, impossible de dire que l’on ne savait pas. Si au-delà des critiques fondées qu’il essuie, le féminisme carcéral a encore une raison d’être, elle se trouve dans l’accomplissement de la justice contre tous les responsables et les complices de (ce) qui frappe les Palestinien.nes. Pour l’heure, il n’en est rien.
Et la France n’est pas en reste… État colonial, par affinité autant que par lâcheté, elle soutient une puissance coloniale génocidaire tout en occupant la Kanaky, au point de mettre sous les verrous des militant.es kanak, présumés innocent.es, dans des prisons à 17 000 km de leur terre ancestrale.
Tout à notre encombrement émotionnel, comme à notre racisme et sexisme ordinaires, nous laissons faire et, au gré du vent, détournons les yeux de femmes et d’hommes qui luttent pour leur liberté et en meurent. Avec la prochaine investiture du mâle Alpha suprême à la présidence états-unienne et la sidération de ses détracteurs, des deux côtés de l’Atlantique, le féminisme carcéral fera bien l’affaire.
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