Manuel Bompard : « Ceux qui ne censureront pas François Bayrou s’excluront du Nouveau Front populaire »

Le député et coordinateur du mouvement insoumis défend la motion de censure contre François Bayrou, critique la stratégie des socialistes d’avoir voulu négocier un compromis budgétaire avec le gouvernement. Et soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon à une présidentielle anticipée.

Lucas Sarafian  • 14 janvier 2025 abonné·es
Manuel Bompard : « Ceux qui ne censureront pas François Bayrou s’excluront du Nouveau Front populaire »
À Paris, le 13 janvier 2024.
© Maxime Sirvins

Manuel Bompard, 38 ans, est député depuis 2022. Docteur en mathématiques appliquées et un temps ingénieur avant de s’engager pleinement dans la politique, il a dirigé les campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et en 2022. Élu d’abord au Parlement européen en 2019 avant de siéger à l’Assemblée, ce fidèle lieutenant du fondateur de La France insoumise est coordinateur national du mouvement insoumis depuis 2022.

Estimez-vous toujours que François Bayrou n’est pas légitime à son poste ?

Manuel Bompard : Évidemment. Le Nouveau Front populaire (NFP) est le bloc politique qui dispose du plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale. À l’issue des élections législatives, le président de la République aurait dû nommer à Matignon notre candidate, Lucie Castets. Il a finalement nommé Michel Barnier, représentant d’un parti très minoritaire dans le pays regroupant 47 députés. Celui-ci a été censuré. Mais Emmanuel Macron s’accroche au pouvoir, en nommant François Bayrou, qui est son premier soutien. Il est tout aussi illégitime.

La pseudo-négociation en cours avec le gouvernement est une hypocrisie totale.

Pourquoi avoir annoncé le dépôt d’une motion de censure sans même attendre le discours de politique générale ?

En décembre, nous avons censuré Michel Barnier parce que sa nomination était une négation du résultat des élections législatives, parce que son budget était la pire cure d’austérité imposée au pays et parce que sa politique frappait le pouvoir d’achat des Français et poursuivait le chemin de l’irresponsabilité écologique. Les raisons qui ont présidé à la censure de Michel Barnier sont toujours là. En tant que parlementaires, nous disposons d’un outil contre un tel coup de force antidémocratique : la motion de censure.

François Bayrou a repris la copie budgétaire de Michel Barnier. Qu’est-ce que cela raconte ?

Une continuité totale avec sa politique et un mépris complet pour la démocratie parlementaire. Le fait que François Bayrou décide de reprendre la copie budgétaire issue du Sénat confirme qu’il ne s’engagera pas à modifier les orientations budgétaires ou à introduire des recettes nouvelles. Tous ceux qui font mine de croire le contraire prennent les Français pour des imbéciles. Car si l’on reprend la version du Sénat, il est inconstitutionnel d’y ajouter des dispositifs nouveaux dans le volet recettes du budget.

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Dans le projet de loi de finances voulu par François Bayrou cette année, il n’y aura pas de taxe sur les milliardaires, il n’y aura pas le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou d’augmentation de la flat tax… Il n’y aura pas les propositions que le Nouveau Front populaire a défendues et fait adopter à l’Assemblée nationale. La pseudo-négociation en cours avec le gouvernement est une hypocrisie totale.

N’existe-t-il donc aucun moyen pour réorienter ce budget vers la gauche ?

Si, comme il l’a dit, François Bayrou reprend le texte issu du Sénat, il ne peut pas y avoir de débats à l’Assemblée nationale. Il y aura donc une commission mixte paritaire dans laquelle les soutiens du gouvernement seront majoritaires. Ce qui, au fond, permettra au gouvernement d’écrire sa version du budget. François Bayrou activera alors le 49.3 devant l’Assemblée. La seule manière de permettre au pays d’avoir un budget répondant aux urgences sociales et écologiques est la censure.

Nous avons été élus pour être l’alternative au macronisme, pas pour servir de béquille.

Est-ce pour ces raisons que La France insoumise (LFI) a refusé les discussions autour d’un compromis budgétaire avec le gouvernement ?

La France insoumise reste fidèle aux principes du NFP : nous avons été élus pour être l’alternative au macronisme, pas pour servir de béquille à sa continuité. François Bayrou a été membre du premier gouvernement d’Emmanuel Macron, il est l’un de ses plus fidèles soutiens depuis 2017. Comment croire qu’il puisse mettre en œuvre une autre politique que celle menée depuis sept ans ? Notre responsabilité, ce n’est pas de semer des illusions. C’est de combattre ces choix politiques néfastes pour protéger le pays de leurs conséquences. François Bayrou ne mérite qu’une seule chose, c’est la censure. Lui et son gouvernement peuvent tomber ce jeudi.

Manuel Bompard
« De reniements en reniements, Olivier Faure abandonne les engagements du Nouveau Front populaire. Cette comédie abîme la crédibilité du NFP. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Comment qualifiez-vous le choix stratégique des socialistes de tenter de négocier ?

Le Parti socialiste (PS) a d’abord accepté les discussions à l’Élysée en affirmant qu’il fallait un premier ministre de gauche. Puis Emmanuel Macron a nommé François Bayrou. Mais le PS a tout de même accepté de discuter avec le gouvernement sur un accord de non-censure si le premier ministre s’engageait à ne pas utiliser le 49.3. Puis François Bayrou a rejeté cette proposition. Il a nommé Bruno Retailleau comme ministre de l’Intérieur alors que le PS disait en faire une ligne rouge.

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Mais le PS a poursuivi la discussion en fixant comme préalable l’abrogation de la réforme des retraites. François Bayrou l’a refusée. Le Parti socialiste a reculé en nouveau et réclame désormais une simple suspension de cette réforme pendant quelques mois pour mener des débats sur « un autre régime des retraites ». De reniements en reniements, Olivier Faure abandonne les engagements du Nouveau Front populaire. Cette comédie abîme la crédibilité du NFP.

Je mets en garde les socialistes.

Je mets en garde les socialistes : s’ils ont pu retrouver de l’oxygène avec la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), puis le NFP, leurs reniements sont en train de réactiver la détestation populaire qu’a bien connue le PS après le quinquennat Hollande. En arrivant à l’Assemblée nationale, François Hollande a-t-il contaminé Olivier Faure ? C’est une attitude irresponsable. Vous ne pouvez pas être élu avec l’étiquette NFP et soutenir le gouvernement de François Bayrou.

Obtenir la suspension de la réforme des retraites n’est-il même pas une petite victoire ?

Une majorité de députés à l’Assemblée est prête à voter l’abrogation de la réforme des retraites. Le Nouveau Front populaire l’a proposé dans notre niche parlementaire il y a deux mois, mais le camp macroniste a empêché les députés de voter. Pourquoi y renoncer aujourd’hui ? Pour une suspension de la réforme des retraites à la condition qu’une nouvelle réforme soit adoptée dans les prochains mois ? Et ce serait une grande victoire ? C’est une illusion totale.

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La motion de censure que vous défendrez sera-t-elle adoptée ?

Je crois que la motion de censure sera votée par une très large majorité du Nouveau Front populaire. Le Rassemblement national (RN) sauvera-t-il une nouvelle fois le gouvernement ? Telle est la question. En tout état de cause, ceux qui ne voteront pas cette motion de censure seront complices de la continuité des ravages de la politique macroniste. J’entends dire que les insoumis seraient isolés au sein du Nouveau Front populaire. Le vote de la motion de censure prouvera l’inverse. C’est à la fin de la partie qu’on compte les points.

Certains, comme les socialistes, accusent les insoumis de jouer le jeu du désordre. Que leur répondez-vous ?

Ceux qui disent qu’il ne faut pas immédiatement censurer le gouvernement sont des irresponsables. Ils nous font perdre du temps. Le pays est dans une situation terrible à cause des politiques qui sont menées depuis sept ans par les membres de ce gouvernement. Les partisans du chaos, ce ne sont pas les insoumis, ce sont ceux qui s’entêtent à rester au pouvoir, à appliquer la même politique, à nommer les mêmes ministres malgré les échecs électoraux et les censures. Pour régler le problème rapidement, il y a une solution de stabilité : voter la censure pour mettre fin à ce gouvernement et revenir devant le peuple dans une élection présidentielle anticipée. C’est le seul chemin pour répondre aux urgences sociales et environnementales.

« Emmanuel Macron n’a nullement l’intention d’appeler le NFP à gouverner. C’est la raison pour laquelle, si le gouvernement de François Bayrou doit tomber, il n’aura aucun autre joker : il devra partir. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Dans le cas de figure où Emmanuel Macron dissout une nouvelle fois l’Assemblée dans quelques mois, appelleriez-vous à l’union des gauches ?

Les insoumis ont toujours été du côté de l’union. Nous avons été à l’origine de la Nupes. Nous avons défendu une liste commune de la gauche aux élections européennes puis nous avons renoncé à 100 circonscriptions pour permettre la constitution du NFP et empêcher l’extrême droite de s’emparer du pouvoir. Aujourd’hui, nous restons fidèles au programme du NFP. Nul ne sait ce qui peut se passer pour la suite. Mais le NFP se poursuivra avec ceux qui continuent à défendre son programme et qui refusent de le brader pour garantir le maintien au pouvoir du macronisme. Les parlementaires de gauche qui ne censureront pas François Bayrou auront rompu avec le Nouveau Front populaire.

Lucie Castets est-elle toujours votre candidate à Matignon ?

Elle l’est et elle le restera pendant toute la durée de la législature. Mais il ne faut pas se voiler la face : Emmanuel Macron n’a nullement l’intention d’appeler le NFP à gouverner. C’est la raison pour laquelle, si le gouvernement de François Bayrou doit tomber, il n’aura aucun autre joker : il devra partir. Depuis août, nous nous mobilisons pour la destitution du président de la République. Notre première motion de destitution avait d’ailleurs passé en septembre l’étape du bureau de l’Assemblée, ce qui est inédit.

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Mais les macronistes et le RN se sont arrangés pour empêcher qu’elle puisse être examinée dans l’hémicycle. Nous recommencerons jusqu’à obtenir gain de cause. Nous sommes prêts à la confrontation dans une future campagne présidentielle anticipée. Olivier Faure dit que nous avons une obsession. Il a raison. Notre obsession est de sauver le pays des ravages de la politique macroniste. La sienne est de gagner son congrès. Nous n’avons pas les mêmes priorités.

Préparez-vous une campagne présidentielle anticipée derrière Jean-Luc Mélenchon ?

Oui. Nous devons être en mesure de faire face à ce scénario. Nous devons donc nous préparer à mener une bataille à très haute intensité en un temps très resserré de trente-cinq jours. Nous travaillons à la réactualisation du programme « L’Avenir en commun » que nous avons porté en 2022. Nous avons lancé la collecte des parrainages d’élus et élaboré un plan de campagne. Nous allons reprendre dans quelques jours une campagne d’inscription sur les listes électorales.

Jean-Luc Mélenchon me semble la personnalité la mieux placée pour nous représenter.

Jean-Luc Mélenchon a obtenu 22 % des voix lors de la dernière élection présidentielle. Les programmes de la Nupes et du Nouveau Front populaire sont très largement inspirés du programme que nous avons défendu en 2022. Le groupe insoumis est le plus gros des groupes du NFP. Il est donc de notre responsabilité de désigner une candidature et de la proposer comme candidature commune à toutes celles et ceux qui voudraient s’engager dans cette campagne. Il faut être sérieux : si une élection présidentielle doit avoir lieu dans trente-cinq jours, nous n’allons pas en passer trente dans des palabres ou des primaires pour choisir notre candidat.

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La priorité sera à la campagne et nous devons être prêts. Quant au nom du candidat, un document stratégique de La France insoumise a été adopté il y a quelques jours. Il précise les modalités de sa désignation, en temps voulu. Bien sûr, si cette campagne doit avoir lieu dans quelques semaines, Jean-Luc Mélenchon me semble la personnalité la mieux placée pour nous représenter : il pouvait se qualifier pour le second tour à 600 000 voix près en 2022. Nous pourrions y parvenir cette fois. Qui d’autre le pourrait ?

Marine Le Pen évoque aussi une présidentielle anticipée. Comment compterez-vous la combattre ?

La victoire de l’extrême droite n’est pas une fatalité. Nous en avons fait la démonstration l’été dernier. 27 sondages sur 27 avaient prévu la victoire du Rassemblement national. Mais notre campagne aura permis de dénoncer les mensonges de l’extrême droite et de rappeler la véritable nature de ce parti, bien loin de l’image qu’ont tenté de véhiculer tous ceux qui leur ont déroulé le tapis rouge de la dédiabolisation. Nous ferons de même. Nous rappellerons leur hypocrisie : ils disent défendre le pouvoir d’achat des Français mais votent contre l’augmentation du Smic.

C’est sur les reniements de la gauche à proposer une rupture avec l’ordre établi que prospère le RN.

Ils disent défendre la justice fiscale mais votent contre le rétablissement de l’ISF. Nous dénoncerons leur racisme : faut-il vous rappeler que le Rassemblement national proposait il y a quelques mois d’empêcher des Français qui ont une double nationalité d’exercer certains emplois ? Nous rappellerons qui ils sont vraiment. Personne n’est choqué par les hommages unanimes rendus par les dirigeants du RN à Jean-Marie Le Pen ? Où est la rupture avec l’extrême droite raciste, antisémite et négationniste quand Marine Le Pen se reproche de l’avoir exclu du RN ? Où est la normalisation quand on retrouve des députés de cette formation politique dans des groupes Facebook où fleurissent les propos racistes et homophobes ?

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Surtout, nous proposerons un autre chemin pour le pays qui n’est pas condamné à choisir entre le chacun pour soi macroniste et le tous contre tous de l’extrême droite. Car c’est sur les reniements de la gauche à proposer une rupture avec l’ordre établi que prospère le Rassemblement national. Une raison de plus pour refuser toute forme de compromission avec le macronisme.

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