Trump : vers une démondialisation agressive et dangereuse
Les règles économiques et commerciales de la mondialisation ayant dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique.
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Il y a les gens que l’on voit aux mariages et aux enterrements. Et puis il y a Donald Trump, qui orchestrera le 20 janvier prochain un baroque mélange des deux. La grand-messe de l’extrême droite mondiale restera comme la date de la liquidation définitive d’un monde bâti sur la victoire de la Seconde Guerre mondiale puis sur l’effondrement soviétique… et l’avènement d’un monde de la loi du plus fort. L’économie mondialisée et libre-échangiste construite successivement par les accords de Bretton Woods en 1944, puis le consensus de Washington dans les années 1980 et l’OMC en 1995, ne survivront pas à ce dernier coup de boutoir.
Sur le plan intérieur, la doctrine néolibérale de dérégulation, de privatisation et de restriction des dépenses budgétaires a de beaux jours devant elle, mais le mandat de Donald Trump la portera au plus haut. Cela fait bien longtemps que l’État, par ses diverses politiques, sert les grandes entreprises américaines. La plus emblématique restant l’intégration du « complexe militaro-industriel ». Mais cela s’accompagnait de règles dans l’attribution des marchés, de souvenirs de lois antitrust, de règles sociales pour régir le code du travail ou assurer au fil des ans quelques protections aux Américains.
Ce n’est qu’un début
Comme le proclame si joliment Mark Zuckerberg, la nouvelle doctrine est de jeter les moins productifs et de conserver les plus efficaces. Mieux, c’est dans la maison du magnat de l’immobilier élu président, à Mar a Lago, que se négocient les futurs marchés, que se préemptent les prochaines affaires. Elon Musk a non seulement propulsé ses idées d’extrême droite en soutenant Trump, mais il a valorisé considérablement toutes ses sociétés. Et ce n’est qu’un début.
Au niveau international, on voit déjà que la pression mise par Trump pour que cesse la guerre contre Gaza s’articule à la relance en format XXL des accords d’Abraham. Sur les bords de la Méditerranée, il espère voir s’ériger un nouveau Dubaï. Ce serait bon pour toutes les affaires, licites et illicites. Cela fait longtemps que plus personne ne croit à « la mondialisation heureuse » : on va vers une démondialisation brutale et dangereuse.
On assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama.
B. Bürbaumer
Même si ces dernières années la Chine avait souvent pris le relais des financements internationaux auprès des pays du sud, le FMI et la Banque mondiale avaient dû intégrer d’autres critères de développement que la seule rentabilité et efficacité des capitaux. Ils constituaient un ultime recours pour les pays les plus pauvres, qui, ce faisant, le payaient très cher.
« Go find another sucker ! »
Trump n’en a cure et a déjà annoncé son mépris à leur égard et son désengagement. Les tarifs douaniers délirants, discrétionnaires et variables selon les pays sont totalement contraires aux règles de l’OMC. Trump s’en moque tout autant. Il écrase tout sur son passage. « Go find another sucker ! » (« Allez trouver un nouveau pigeon ! »), a lancé le 47e président en direction des BRICS (1) avant même son entrée en fonction, si d’aventure leur venait l’idée de se desserrer de l’étau du dollar.
Brésil-Russie-Inde-Chine et Afrique du Sud.
Certes tout ceci n’est pas neuf. « Trump est le plus affirmatif, mais on assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama », résume Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. L’auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte). Il rappelle qu’une des dernières lois passées par Obama a mis en place un groupe de travail pour « défendre la supériorité américaine en matière d’intelligence artificielle », composé de parlementaires et de dirigeants des grandes sociétés de la tech, qui allaient devenir les GAFAM.
Les traités de libre-échange interdisent pourtant de tels soutiens à un secteur ou à une entreprise en particulier. Trump a embrayé avec les sanctions sur la Chine et Biden n’a pas changé de cap avec son fameux Inflation Reduction Act, déclinant de nombreuses politiques industrielles protectionnistes, certaines focalisées sur les industries technologiques.
En un sens, ces politiques illustrent « l’hypocrisie » de la position libre-échangiste des États unis. Benjamin Bürbaumer explique : « Quand le libre-échange les arrange, les États-Unis le promeuvent partout. Mais quand les choses se compliquent et que cela ne se fait plus à leur bénéfice avec le rattrapage technologique et commercial de la Chine, ils lâchent complètement cette doctrine. »
Chaos multipolaire
L’ancien économiste de la Banque mondiale, Branko Milanovic, a lui aussi noté que ce sont ces économistes orthodoxes qui ont progressivement abandonné la doctrine libérale. Clauses miroirs, politiques de sanctions commerciales, politiques migratoires restrictives… autant de mesures dorénavant défendues par la presse d’affaires, et qui contreviennent par définition aux principes fondateurs de la globalisation et de ses institutions.
« Comment imaginer qu’une mission de la banque mondiale en Égypte pourrait recommander de baisser les tarifs douaniers, alors qu’en même temps, son membre le plus important économiquement et doctrinairement – les États-Unis – est en train de les augmenter ? » explique l’économiste spécialiste de la pauvreté et des inégalités dans un article récent.
Un système international est en train de péricliter. Lequel prendra sa place ? Si le monde merveilleux de la globalisation néolibérale du FMI n’avait rien d’un paradis terrestre, celui du chaos multipolaire agressif dominé par les technologies américaines et les énergies fossiles n’a pas encore livré tous ses secrets. Rien ne dit qu’il sera plus clément.
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