Devant vous je suis là
Nous publions avec son accord le texte prononcé par Nadege Beausson-Diagne lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.
-t’es épilée comment en bas ? Ticket de métro ou pas ?
-eh la bamboula vos personnages vont vraiment bien ensemble avec Ludo !
-tu peux faire plus, Y a bon Banania ?
-t’habites porte de Champerret je peux venir te voir le soir quand je promène mon chien mais faut être discret je suis marié et en tant que star télé faut faire attention aux paparazzi ! Après quand ma femme est pas là j’ai une piscine chez moi ! On t’a déjà baisé dans une piscine ? Oui je suis ton boss mais tu pensais quand même pas que je t’avais invité à déjeuner pour parler boulot !
-tu couches aussi avec des blancs ?
-regarde dans quel état tu me mets ? Tu me fais bander dur. Tu veux pas t’asseoir sur ma bite avant le tournage ?
-oh ta mère aussi est bonne ! C’est un truc de famille !
-wouah ce cul ben t’étonne pas que les mecs aient envie d’y mettre les doigts ?
-ma tigresse tu dois être bien chaude au lit toi !
-on t’aurait bien donné le premier prix mais t’es noire donc tu feras pas carrière !
-t’es tellement intelligente t’aurais mérité d’être blanche !
-ce qui est chiant avec vous les renoi c’est que quand vous nous sucez avec vos tissages c’est relou quand on vous tient par les cheveux !
-quand je te regarde avec ton afro ben ça sent le monoï à la télé !
-c’est vraiment du gâchis… ton mec le musicos il est malvoyant donc il te voit pas vraiment ! Avec un corps pareil c’est con avec moi t’aurais pas eu ça !
-mais du coup tu peux le tromper il verra pas ha ha ha !
-il sait que t’es noire comme il te voit pas ha ha ha ?
-la répétition était super bravo ! T’aimes la sodomie ? ! Si pour Noël je t’offre un string rouge c’est déplacé ?
-si je paie ton loyer tu couches avec moi ?
-si je t’offre des diamants tu couches avec moi ?
-vous les Sénégalaises c’est dingue vous adorez vraiment les chaussures !
-t’as dû te fermer beaucoup de portes à pas laisser d’ambiguïté avec les hommes avec ta grande gueule !
-ça va je t’ai touché rapidement les seins tu vas pas faire chier pour ça !
-t’es Eye Haïdara toi c’est ça ?
-t’es Aïssa Maïga toi c’est ça ?
-t’es Amandine Gay toi c’est ça ?
-t’es Sara Martins toi c’est ça ?
-t’es Sandra Nkaké toi c’est ça ?
-ta voix grave ça fait vraiment travelo ! Tu peux pas la changer ? Sinon tu parles africain ?
-bon ben ok c’est la photo d’une autre actrice dans le journal pour illustrer un article sur toi. Mais le principal c’est que la critique sur toi soit géniale non ? Oui bon ils ont confondu deux noires mais ça aurait pu arriver aussi avec deux blondes !
-si tu t’es fait agresser sexuellement par cette productrice c’est que t’as encore des trucs à régler ! Je veux dire tu t’es fait violer enfant ben c’est que tu cherches un peu nan ?
-c’est vraiment pas féministe de porter plainte contre une femme !
-si les policiers t’ont cru quand t’as porté plainte c’est parce que t’as joué la commissaire Douala dans Plus belle la vie !
-je savais pas qu’on n’avait pas le droit de toucher les cheveux des noires ? Ben ouais moi j’ai pas beaucoup de cheveux donc quand je te vois avec ta grosse touffe ben ça me donne envie d’y mettre les mains !
-je peux pas avoir mis la main sur ton sexe comme tu dis je suis pas lesbienne !
-une main sur la chatte entre amies ça va on va pas porter plainte pour ça !
-oh ça va toutes les femmes ont été violées hein !
-je t’ai coupé au montage ok mais c’est pas parce que t’as pas voulu coucher avec moi ! Sinon tu veux pas qu’on se voie en scred juste comme ça ! Attention c’est pas une story !
-on n’a jamais vu quelqu’un qui voulait rompre un contrat ! 12 000 euros c’est pour le préjudice moral ! On t’a pas choisie parce que t’étais noire ! Et je te rappelle qu’à la base tu devais avoir qu’un petit rôle ! On t’offre un second rôle et pour nous remercier tu pars tourner un rôle principal pour une série ? Oui ok on te fait pas faire de promo et tu es moins payée que les autres ! Mais faut comprendre que y a les stars et justement y a les autres ! Oui on sait ton partenaire de jeu te regarde par le trou de la serrure quand tu te déshabilles dans ta loge ! Oui on sait l’autre actrice a exigé que t’aies qu’une chanson et pas de solo de danse ! Oui on sait elle t’a poussé pour te faire tomber mais ça va t’as qu’une entorse ! Oui on sait tu chouines tous les jours dans ta loge parce que t’es harcelée qu’est-ce que vous pouvez être victimaire vous !… Mais comme on te répète on t’a pas choisi parce que t’étais noire ! Donc c’est 12 000 euros si tu veux partir. Oui en une seule fois et pour info… je te grille dans tout Paris ! Tu travailleras plus ma pauvre fille ! Et lettres recommandées tous les jours ! Ta production de télé je vais les appeler pour qu’ils te prennent pas et quand tu voudras rejouer au théâtre j’appellerai la production pour leur dire que si ils te dégagent pas je leur ferai pas faire de promo dans mon émission ! Ah et toutes les fois où je devrais te présenter dans mon émission… je dirai pas ton nom ! Je dirai les noms de tout le monde mais pas ton nom ! Je suis le roi de la télé moi ma pauvre fille toi t’es rien ! Et sache que ta metteuse en scène te dira plus bonjour jusqu’à ton départ c’est pas nécessaire ! Je te répète on n’a jamais vu quelqu’un qui voulait rompre un contrat ! Jamais !
-quand tu seras Beyoncé tu pourras avoir des exigences !
-alors oui le personnage s’appelle Blanchette c’est parce que Michel est sur le plateau il t’appelle Blanchette, Blanchette ! Et quand t’arrives ben ça fait marrer les gens !
-moi je déteste les Arabes toi ça va t’es noire mais les Arabes ! Pis en plus t’as les traits fins, ta mère est métisse c’est ça ? Ta grand-mère est blanche ça passe mais les Arabes je peux vraiment pas ! Rien à voir je suis pas raciste regarde j’taime bien ! Mais bon on la fait pas trop belle avec le maquillage quand même hein !
-comment ça, ça va pas le fond de teint, ben c’est celui pour Firmine Richard ! C’est quoi le problème !
-j’ai tellement envie de sucer ton petit frère c’est fou ! Qu’est-ce qu’il est sexy ! C’est vrai la légende des grosses bites ?
Florilège de ce que j’ai déjà entendu
Des extraits tout dire j’aurais pas pu
Femme noire survivante du néant
Depuis plus de 30 ans
Théâtre télévision cinéma
Vous parle mais déjà j’ai mal déjà
Morte tellement de fois
Fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus
Je ne me tairai pas
Prix à payer ? Je le connais déjà
Poids de la liberté ? Je le traîne avec moi
Femme noire survivante du néant
Morte tellement de fois
Fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus
Je ne me tairai pas
Entendre mon corps pleurer
Mes larmes laisser hurler
Apaisée ici bas
Révolution trauma
Artiste aux mille voies
Mes passions mes grandes joies
Rêve de petite fille devenu réalité
Pensais jamais ma vie voir broyée
Déchiquetée
Hypersexualisée
Objetisée
Rêves dans les égouts jetés
Noire avant d’être moi conservatoire déjà
Que les bonnes chez Molière
Point de Juliette Camille brutalité amère
J’en parle pas à ma mère
J’ai 17 ans et toute une vie
J’ai 17 ans et c’est fini
Mais la guerrière en moi travaille
De violence en déni les larmes en bataille
Instant de répit : Alain Maratrat
Première pièce de ma vie je suis choisie pour moi
Alors naïvement j’ai soudain crû
Mon talent plus fort que d’être nue
J’ai 21 ans premier cachet pas gâché
Point le temps de détailler
Tous les rôles que j’ai interprétés
Mais politiquement je peux expliquer
Combien nos corps racisés sont exploités
Racisme et violence de notre société
Dans notre industrie en miroir bien reflété
Femme noire la spécificité
Racisme et sexisme au taquet
Misogynoir de mes regrets
Chanceuse j’ai travaillé
Combien de sœurs ont renoncé
Malgré la douleur
Malgré les traumas
Je suis là
Savez-vous combien c’est douloureux
De rabâcher pour elles
Pour nous
Pour moi
Pour eux
Corps paillasson pour essuyer
Domination de la société
Vous m’avez convoqué
J’aurais préféré être invitée
Les mots ont un sens et un poids
Dans ce cas il est lourd de nos traumas
J’eus espéré que cela allait changer
Noire n’est pas mon métier
Ouvrage collectif nous avons livré
Merci Aïssa Maïga pour la sororité
Mais c’est une question politique
Je sais ça gratte ça pique
Pas une question d’éthique
Violences systémiques
Patriarcat erratique
Ma noirité les oppressions
Question des représentations
Liée à notre histoire
Dire que je suis noire pas black est un devoir
Esclavage colonisation capitalisme
Besoin de certains corps à inférioriser pour exploiter avec cynisme
Organisation de domination raciste
En lettres d’or pour violences systémiques
Pas une question morale
Suprématie blanchité rose pâle
Notre industrie du divertissement ne peut échapper
Au système de privilèges exacerbés
Ras le bol d’être essentialisée
Réfléchir à qui détient quoi ?
Qui raconte quoi ?
Qui gagne quoi ?
Qui parle pour qui pour quoi ?
Qui sont les décideurs de télévision ?
Qui sont les directeurs directrices de théâtres ?
Qui sont les distributeurs de films ?
Qui dirige les festivals ?
Des miettes souvent seront distribuées
Aux Buttes Chaumont du mépris pour nous calmer
Mais les rôles importants sans préjugés
Les récits inclusifs bien racontés sans
Poncifs biais racistes sur ma main peux compter
Noire avant d’être moi je n’échappe pas
Au cliché plafond de verre même si je ne veux pas
Je vous invite à contacter la brillante
Marie-France Malonga
Ses travaux sur la question sont déjà là
À l’initiative du #MeToo dans le cinéma africain
#Memepaspeur
Avec Azata Soro ma courageuse sœur
Ma parole sur la pédocriminalité que malheureusement j’ai expérimentée
Mes travaux mes idées souvent copiées voire exploitées
Systématiquement effacée jamais citée
Du #MeToo du cinéma français
Actrice française violée trop loin
Pas imaginé de visa avoir besoin
Pour être reconnue ici bas
Comme victime de ce combat
Mais rassurez-vous j’ai été violée ici aussi ben oui
Animateur télé producteur productrice tutti quanti
Je ne suis pas une exception
Une triste chaîne de ce maillon
Faible mais forte courageuse en bataillon
Je n’ai pas le choix
Je me le dois
Le prix à payer est redoutable
Ma vie déjà précarisée lourd cartable
Femme racisée je parle j’ai payé
Mon travail a petit à petit diminué
Pour finalement plus exister
Mais moi je ne suis pas privilégiée
On nous demande inlassablement de parler
Sans jamais être politiquement écoutés
Je ne travaille plus comme actrice
Je dis non aux rôles stéréotypés
Je crée et joue ma propre pièce Mon corps est une révolution !
Je ne suis plus intermittente parce que je ne fais plus mes heures depuis des années
Je paie mes prises de parole en étant blacklistée
Je suis menacée de mort parce que j’aide à dénoncer des pédocriminels des agresseurs du métier
Je suis surendettée parce que j’ai dû payer une production pour retrouver ma liberté qui des années après m’a fait virer d’un projet
Je n’ai pas gagné mon procès en tant que victime d’agression sexuelle contre une productrice blanche bourgeoise relaxée pas innocentée
Je n’ai pas pu aller à l’audience en choc et réminiscence de trauma après un an de crise d’agoraphobie quand appelons-la… Paupiette, elle était à l’audience accompagnée du gratin dauphinois du cinéma français puis en itw dans un grand magazine, moi j’étais avalée par mon canapé en état de crise tétanisée
Idées de suicide à mes côtés
Boulimie dégoût de moi-même et autres joyeusetés
Je refuse d’éduquer sans être payée des blancs et blanches bourgeois adultes qui ont accès à des ouvrages sur le racisme la misogynoir les différentes oppressions
C’est politique
Tout cela est politique
Je vous regarde en silence
C’est politique
Écrire c’est mon métier ma passion mais ce texte-là
M’aura coûté des larmes des cris psychiques des insomnies pourquoi ?
Citoyenne je fais mon devoir ça je le dois
Aux générations qui arrivent après moi
Déblayer la gravité violente des gravats
De ce métier qui m’anime mais des fois
Est douloureux quand il ne dépend pas
De la dynamique interne de ma poésie trauma
Pour Ebony qui à la staracadémy reçoit
La merde vomit des racistes ici bas
Pour Aya Yseult Nozha Aïssa Camélia Tatiana
Candice Djébril Franck et ceux celles que je ne cite pas
Je hurle lève mon poing arc-en-ciel vers l’au-delà
Je ne fais qu’un constat et compte sur vous déjà
Pour écouter en alliés ça serait un premier pas
Pour ne pas justifier l’horreur systémique de tout cela
Je vous invite à réfléchir à la question des quotas
Qui a permis entre autres à plus de femmes d’être là
Je vous invite à réfléchir à une dynamique positive de casting inclusif avec des personnes dont c’est la problématique pour le mettre en place
Je ne viens pas d’un pays qui s’appelle la diversité
Fourre tout hypocrite dans lequel on peut tout trouver
Je vous invite à travailler profondément sur les biais racistes avec lesquels vous avez été élevés pour ne plus les perpétuer
C’est un travail indispensable
Je vous invite comme je l’ai fait dès 2019 à travailler sur la question de la réception de la parole des victimes de violences sexuelles dans les différentes productions
Sachant que notre industrie obéit au droit du travail et ne doit aucunement bénéficier d’un traitement de faveur
Je vous invite à réfléchir à comment imposer au sein des différentes directions des personnes racisées compétentes et à les payer à la hauteur de leur travail
Je vous invite à chaque fois que vous êtes les seuls blancs et blanches dans une pièce à vous demander où sont les personnes racisées
Où sont les personnes en situation de handicap ?
Je vous invite à vous demander pourquoi de toutes les actrices que vous avez entendues sur la question des violences sexuelles, aucune n’était racisée ou si peu et si vous ne perpétuez pas de la violence de la discrimination et de l’invisibilisation sachant que nous femmes racisées sommes plus victimes de racisme sexisme et violences sexuelles où sommes nous dans cette commission ?
Le prix à payer pour cette parole est tel qu’elles ont plus à perdre qu’à gagner
C’est vrai et je les comprends
Elles ont raison
Je pense à vous mes sœurs nous sommes ensemble
Sur ce sujet lisez impérativement l’article du journal La Déferlante des brillantes journalistes Christelle Murhula et Estelle Ndjandjo
Nous victimes de violences sexuelles de racisme de sexisme dans notre industrie et notre société
Devrions être protégées
Choyées et soulagées
Une partie de moi est morte avec la brutalité endurée dans la société et dans mon métier
C’est un fait
Cela le sera à jamais
Une tragédie grecque à l’heure d’internet
Ce poids des abus subis
Physique psychique cela a un prix
À chaque fois effraction ressenti
Sur l’échelle de Richter en fracas
Magnitude un milliard de traumas
La société devrait me dédommager
Pour la violence depuis que je suis née
Au lieu de cela je ne fais que parler
Parler parler parler parler et encore parler
Quand la société ne nous écoute pas
Piétine nos vies nos traumas
Je paie mes soins psy pas remboursés
Pas une collectivité de soins c’est délibéré
Stratégie cynique d’inverser la charge
Des victimes et bourreaux qui se déchargent
Après ce texte-là je ne parlerai plus
Je l’ai fait tant de fois en vain suis vaincue
Ce n’est pas contre vous c’est pour moi
J’ai miraculeusement réussi à être là
Maintenant je repars en poésie
Celle qui transforme la violence de ma vie
Pendant que nous pleurons sur nos souffrances
Les puissants ironisent produisent gagnent de l’argent ô douce France
Cher pays de mon enfance
Oui je repars en poésie mon désormais pays
Femme noire survivante du néant
Morte tellement de fois
Fantôme vivante devant vous suis-je vraiment là ?
Je ne me tairai plus
Je ne me tairai pas
Entendre mon corps pleurer
Mes larmes laisser hurler
Apaisée ici bas
Révolution trauma
Chevalière des arts et des lettres récemment nommée
Saute dans ma rutilante armure dorée
Siffle mon nuageux fidèle destrier
Plus jamais peur je ne vais pas m’arrêter
Kéry l’a déjà dit à l’échec pas condamnée
Milliard de fucking étoiles de combats à livrer.
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