Il y a du Trump dans Valls
Interrogé sur les attaques terroristes de janvier 2015, le nouveau ministre des Outre-Mer a évoqué l’antisémitisme après le 7-Octobre. Quel rapport ? N’avait-il donc rien d’autre à dire sur les fractures françaises et les traumatismes collectifs qu’ont suscités ces attentats sans précédents ?
Dans le même dossier…
« ‘Je suis Charlie’ est devenu un slogan-valise, récupéré parfois par des gens mal intentionnés » Dix ans après… « L’esprit du 11 janvier » : de l’émotion partagée à l’émotion obligatoire Aurel : « Charlie quand ça leur chante »Pardonnez-moi, je vais prendre quelques lignes de ce parti pris pour revenir sur les mots affligeants de notre ancien premier ministre, désormais ministre d’État chargé des Outre-mer, Manuel Valls. Invité de la matinale de BFM mardi 7 janvier pour évoquer les dix ans de l’attentat contre Charlie Hebdo, la réponse étonne. Au bout de 3 minutes 20 d’entretien, il sort déjà du funeste souvenir pour aller sur un tout autre terrain, tout aussi sensible, sans qu’on l’ait interrogé sur le sujet : « L’antisémitisme connaît une recrudescence après les attentats du 7-Octobre », lâche-t-il.
On ne peut hélas que lui donner raison. Mais quel rapport, en dehors de l’acte terroriste en lui-même, avec les commémorations de la barbarie qu’a été cette attaque et qui a coûté la vie à douze personnes ? N’avait-il besoin que d’un peu plus de trois minutes d’antenne pour rappeler l’horreur de ce 7 janvier 2015, l’horreur pour les familles, l’horreur pour la rédaction, l’horreur pour nos libertés, nos démocraties, l’horreur pour les Français ? Ou simplement pour s’interroger sur ce qu’il reste de l’esprit Charlie, dix ans plus tard ? N’avait-il donc rien d’autre à dire sur les fractures françaises et les traumatismes collectifs qu’ont suscités ces attentats sans précédents ?
Il y a longtemps que le malheureux candidat à la mairie de Barcelone a perdu ce qui fait la grandeur des hommes et des femmes politiques.
Pas sûr qu’on aurait partagé ou validé beaucoup de ses analyses tant sa grille de lecture n’est mue que par une haine viscérale de « la gauche, les intellectuels, la presse » qu’il ne manque pas de qualifier « de complices [des islamistes] et d’idiots utiles » dans cette même interview. Comme si le retour de Manuel Valls sur la scène politique prenait des allures de revanche. Un peu comme Donald Trump prévenait, lors d’un meeting de campagne en octobre dernier, vouloir s’en prendre « aux ennemis de l’intérieur », « les personnes folles et les tarés d’extrême gauche » contre qui il promettait d’envoyer l’armée. Rien que ça.
Il y a longtemps que le malheureux candidat à la mairie de Barcelone a perdu ce qui fait la grandeur des hommes et des femmes politiques, de celles et ceux qui pensent, qui doutent aussi parfois. N’a-t-il jamais été un grand homme ? « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser », avait-il lancé alors qu’il était premier ministre et qu’il faisait face aux attentats. Une faute, une erreur politique impardonnable. « La sociologie, ce n’est pas la culture de l’excuse ! », lui avaient alors répondu les sociologues Frédéric Lebaron, Fanny Jedlicki et Laurent Willemez, dans une tribune dans Le Monde.
Quelqu’un saura-t-il lui rappeler que c’est lorsqu’il était à Matignon que la France vendait des armes à l’Arabie Saoudite ?
Ce même journal avait qualifié la marche du 11 janvier de « marche monstre ». Cette marche qui avait réuni plus de quatre millions de personnes en France et où, à Paris, il était convenu de défiler, sans que Valls n’y trouve à redire, derrière Viktor Orbán, Benyamin Netanyahou, Sergueï Lavrov, Ali Bongo, Ahmet Davutoglu ou Nizar Madani, comme nous le rappelle l’anthropologue Alain Bertho dans une tribune publiée sur notre site et qui donne matière à réfléchir sur ce qu’ont produit, d’un point de vue collectif, ces manifestations. « Rarement dans l’histoire une journée nationale de rassemblements et de défilés aura autant pesé sur le devenir de la politique française et du débat public », assure-t-il.
Manuel Valls est ainsi revenu sous les ors de la République, non pas pour penser, douter, rassembler, mais pour distribuer les bons points, pulvériser Mélenchon dès qu’il le peut et fustiger les islamo-gauchistes et autres wokistes. Sans doute n’a-t-il pas suffisamment de quoi s’occuper dans nos territoires oubliés des Outre-mer. N’est-il pas comptable aussi de cet abandon d’État ? Et enfin, dans ce combat contre « l’islamisme ou l’islam radical » – comme il le nomme –, quelqu’un saura-t-il lui rappeler que c’est lorsqu’il était à Matignon que la France vendait des armes à l’Arabie Saoudite – pays bien laïc comme chacun sait – ? Armes qui s’abattaient massivement contre le peuple yéménite.
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don