Jean-Marie Le Pen n’est pas mort

Sans exercer les responsabilités du pouvoir, le leader d’extrême droite est parvenu, en imposant ses thèmes, à droitiser fortement la scène politique.

Michel Soudais  • 7 janvier 2025
Partager :
Jean-Marie Le Pen n’est pas mort
Jean-Marie Le Pen à Vincennes, le 28 septembre 1996.
© Pierre VERDY / AFP

« Le diable de la République » est décédé, ce 7 janvier, à l’âge de 96 ans. Avec Jean-Marie Le Pen disparaît la figure centrale du retour de l’extrême droite au premier plan politique. Tout au long de sa carrière politique d’une exceptionnelle longévité, marquée par cinq candidatures à l’élection présidentielle, l’homme n’a eu de cesse de réhabiliter les idées et les figures de ce qu’il appelait « la droite nationale », compromises par la collaboration. Si son parcours est indissociable de l’histoire du Front national, c’est sous la IVe République et dans les années 1950 qu’il l’inaugure.

À 27 ans, l’étudiant en droit batailleur du quartier latin est élu député de Paris sous l’étiquette poujadiste et se fait remarquer par son verbe gouailleur et son engagement militaire volontaire en Algérie. Réélu en 1958 sous l’étiquette « Indépendants de Paris », il perd son siège en 1962, victime de la vague gaulliste. Commence alors une traversée du désert, durant laquelle il crée sa maison de disques spécialisée dans l’édition historique. L’un de ses disques sur le IIIe Reich lui vaut en 1969 sa première condamnation pour « apologie de crime de guerre et contestation de crimes contre l’humanité ».

Sur le même sujet : Lepénisation des esprits, les digues ont sauté

Il participe à l’élection présidentielle de 1965 comme directeur de campagne de l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour et regrettera plus tard ne s’être pas présenté lui-même. Son heure arrive en 1972 quand le mouvement néofasciste Ordre nouveau (ON) vient le chercher pour prendre la présidence d’un mouvement destiné à fédérer les chapelles de l’extrême droite sous une bannière commune aux élections : le Front national. La dissolution d’ON en conseil des ministres lui permet d’évincer ses militants et de s’affirmer comme le seul chef à bord de ce qui n’est encore qu’un groupuscule. L’élection présidentielle de 1974 et l’héritage Lambert, deux ans plus tard, lui permettent d’asseoir sa notoriété et sa fortune.

Le père de Marine Le Pen, n’en déplaise à Jordan Bardella, était bel et bien antisémite.

En 1983, le FN enregistre de premiers succès dans des municipales et des élections partielles en dénonçant l’immigration, l’insécurité et le fiscalisme. Une percée amplifiée à l’élection européenne de 1984, où avec 11 % le FN envoie 10 élus, dont Jean-Marie Le Pen, siéger à Strasbourg. Deux ans plus tard, il compte 35 députés et 130 conseillers régionaux élus à la proportionnelle. Le FN devient une force qui compte, tout juste contrariée dans son ascension par les déclarations provocatrices de son chef qui lui valent de multiples condamnations. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris pour l’affaire des assistants parlementaires européens du FN, dans laquelle il n’a pas comparu en raison de son état de santé, en recensait onze rien qu’entre 1998 et 2021.

Sur le même sujet : Du FN au RN : les emplois fictifs, une affaire de père en fille

Le père de Marine Le Pen, n’en déplaise à Jordan Bardella, était bel et bien antisémite. Nombre de déclarations l’attestent. De même avait-il reconnu croire à l’inégalité des races. Des analystes et des cadres du FN en ont tiré la conclusion qu’en se comportant ainsi il n’avait jamais cherché à gagner le pouvoir. Et s’il a été pris de vertige en apprenant sa qualification pour le second tour de la présidentielle en 2002, Jean-Marie Le Pen cherchait avant tout à influer sur le débat public.

Je pèse en m’exprimant, j’oblige toute la politique française à se droitiser, à se déterminer par rapport à moi.

J-M. Le Pen

« C’est ça la politique, déclarait-il en novembre 1984 dans un entretien au Monde, peser sur son temps, sur les décisions du pouvoir, sur la pensée politique. Je pèse en m’exprimant, j’oblige toute la politique française à se droitiser, à se déterminer par rapport à moi. » Qui peut dire, et on ne peut que le déplorer, qu’en cela il a échoué ? Jean-Marie Le Pen est mort, mais ses idées hélas sont devenues bien courantes.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don