Le Sénat, voix de la FNSEA
Ces 27 et 28 janvier, le Sénat a examiné une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc., celle-ci s’attaque violemment aux normes environnementales, au plus grand bonheur de la FNSEA.
dans l’hebdo N° 1847 Acheter ce numéro
Depuis le 7 juillet dernier, tous les yeux sont rivés sur l’Assemblée nationale. Encore ces dernières semaines, chaque jour est rythmé par des tractations politiques concernant le vote du budget. Censure ? 49.3 ? Dans ce flux continu de rebondissements, une actualité parlementaire est plutôt restée dans l’ombre. Une proposition de loi, que le Sénat a examinée ces 27 et 28 janvier. Pourtant, celle-ci, visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (sic), est explosive.
Et pour cause, elle surfe sur la colère agricole pour prendre des mesures à rebours de toute considération environnementale : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines, remise en cause des autorités environnementales et sanitaires, le texte ne fait pas dans le détail. Et comment s’en étonner ? À l’initiative de celui-ci, on retrouve Laurent Duplomb, et Franck Menonville, deux sénateurs de droite. Le premier, qui porte à bout de bras cette proposition de loi, a ainsi été… président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire.
Parce que c’est bien cela qu’il faut voir derrière cette attaque en règle contre l’environnement et l’avenir même du métier d’agriculteur : la marque de la FNSEA. Toutes ces mesures sont fortement inspirées d’un texte de loi rédigé par le syndicat agricole majoritaire à la fin de l’été et transmis aux parlementaires. Intitulé « Entreprendre en agriculture », celui-ci promet un « projet global » permettant de « donner une réelle ambition à l’agriculture française ». Et les mesures proposées par les deux sénateurs de droite y figurent, sans surprise, presque toutes. En novembre, sur la préfecture de Gap, la FNSEA avait même affiché une banderole : « PPL [proposition de loi, N.D.L.R.] Duplomb : la solution ».
Pourtant, comment croire une seule seconde que cette PPL est « de nature à répondre aux demandes du monde agricole », comme l’indique la FNSEA ? Depuis plus d’un an désormais, de nombreux paysans témoignent d’une importante colère. Celle-ci a d’ailleurs émergé en marge du syndicat majoritaire, pris de court l’hiver dernier. Au cœur des revendications des protestataires, figure la question du revenu dans une profession marquée par de très fortes inégalités.
L’idiocratie est en marche.
D. Salmon
Ne cherchez pas plus longtemps, aucun article ne contient ne serait-ce qu’une demi-mesure pour tenter d’améliorer les revenus des agriculteurs les plus pauvres. « La méthode Duplomb c’est le moins-disant social et environnemental. Et, au bout du bout, c’est l’économie qui prend le pas sur la santé humaine et sur le vivant », raille Daniel Salmon, sénateur écolo, pour qui ce texte est l’illustration que « l’idiocratie est en marche ».
Comment ne pas lui donner raison, alors que le dérèglement climatique touche en premier lieu les agriculteurs, notamment les plus petits ? Peu importe, finalement, pour la majorité des sénateurs qui ont donc décidé de violemment s’attaquer aux normes environnementales pour promouvoir une agriculture intensive et productiviste à bout de souffle.
Une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.
Surtout, dans un contexte d’instabilité politique chronique, rien ne dit que ce texte ne soit pas rapidement transmis au Palais-Bourbon. La ministre actuelle de l’Agriculture, Annie Genevard, du même bord politique que Laurent Duplomb, est tout aussi attentive que son collègue aux demandes de la FNSEA. Et celui-ci a d’ailleurs mis en garde le gouvernement en novembre dernier, assurant qu’il « ne serait pas rapporteur de la loi d’orientation agricole » sans la garantie d’un examen rapide du texte. Il faut espérer qu’il n’ait pas obtenu gain de cause car le passage d’une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.
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