Devant l’Assemblée nationale, François Bayrou parle pour ne rien dire
Avec un discours de politique générale sans ambition, le premier ministre centriste ne réussit pas à élargir son périmètre de soutiens et reporte toutes les urgences à demain.
La politique, c’est surtout le choix des mots. Une expression mal choisie ou pas assez convaincante peut tout chambouler. François Bayrou doit en être conscient. Depuis le 30 décembre, son gouvernement mène des négociations avec la droite mais aussi les socialistes, les écologistes et les communistes, dans le rêve de trouver une ligne budgétaire qui pourrait convaincre le plus de députés possibles. Ou, a minima, de ne pas provoquer le rejet brutal d’une majorité de parlementaires pour ne pas être déchu par la censure.
La tâche est-elle possible ? « L’Himalaya de difficultés », qu’il a décrit lors de la passation de pouvoir, se trouve devant lui. Face aux 577 députés de l’Assemblée nationale, tous réunis ce mardi 14 janvier pour entendre le discours de politique générale du premier ministre, François Bayrou a tout à prouver.
Quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage.
F. Bayrou
Quelques instants avant de prendre la parole, le centriste de 73 ans se tient debout, juste à côté de Patrick Mignola, ministre des Relations avec le Parlement, et de Manuel Valls, bombardé ministre des Outre-mer. Il serre les mains des députés du bloc central qui passent devant lui. La chemise orange qui comporte son discours de 35 pages est sur son pupitre. Avant de monter à la tribune peu après 15 heures, il salue Rachida Dati, la ministre de la Culture reconduite.
Au micro, il a la voix calme, posée. « En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable, annonce d’emblée le locataire de Matignon à l’assise parlementaire la plus précaire de la Ve République, détrônant ainsi son prédécesseur Michel Barnier. Au risque de vous surprendre, cette situation est un atout. Car quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers. Et quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. »
Le courage d’avouer le rejet aux européennes et aux législatives de la politique macroniste menée depuis sept ans ? Certainement pas. Fidèle soutien d’Emmanuel Macron depuis 2017, le président du Modem ne s’apprête pas à modifier le macronisme en profondeur. Bien au contraire. Après un propos liminaire sur la dette, le désordre mondial et la composition de son gouvernement qui refléterait, selon lui, « l’union des différentes sensibilités du pays », le Premier ministre entre dans le dur. Ou presque.
Un petit quart d’heure après avoir commencé, il se perd dans son discours, se mélange dans les pages censées exposer les grandes lignes de ce qu’il compte entreprendre à la tête du gouvernement. « Je suis un néophyte, je suis bien obligé d’apprendre le métier », concède-t-il avec le sourire. Après qu’une fonctionnaire de l’Assemblée lui apporte une nouvelle page, pendant cet interlude un brin humoristique, il s’attaque au cœur du blocage : la réforme des retraites.
« Le déséquilibre du financement des retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés », commence-t-il. Une façon de rassurer la droite et le bloc central qui le soutiennent. Les députés du « socle commun » applaudissent timidement. « Plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financements de notre système de retraites […]. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier avec les partenaires sociaux, explique-t-il. Je souhaite fixer une échéance à notre automne pour rechercher une voie de réforme nouvelle sans aucun totem, sans aucun tabou, pas même l’âge de départ à la retraite, les fameux 64 ans. »
Tour de magie sur les retraites
Le premier ministre annonce demander une mission flash à la Cour des comptes pour établir un diagnostic sur l’état du système de retraites et la mise en place dès le 17 janvier d’une délégation réunissant les partenaires sociaux pendant trois mois « pour rechercher une voie de réforme nouvelle ». Si un accord est trouvé, le Parlement s’exprimera sur la question lors du prochain projet de loi de financement ou même avant. Dans le cas contraire, l’ancienne réforme restera en place.
Abrogation, suspension ? Ni l’un, ni l’autre. François Bayrou décide d’aborder la question mais de dessaisir, de fait, le Parlement du débat. Une position très éloignée de la suspension de cette réforme réclamée par le Parti socialiste (PS) lors des négociations avec Bercy depuis le 30 décembre.
Soucieux de « réconcilier » la France, François Bayrou rêve d’être l’homme qui remettrait de la stabilité dans le pays, loin des clivages et des jeux de posture qui mineraient, selon lui, le débat politique. Néanmoins, il profite paradoxalement de son seul en scène pour attaquer l’un de ses opposants, le fondateur de La France insoumise (LFI) et triple candidat à la présidentielle : « Je connais bien Jean-Luc Mélenchon, je sais qu’il est un homme cultivé et un esprit stratège. Mais je n’approuve pas sa stratégie qui est de tout conflictualiser, de faire de tout sujet un conflit. »
Au chapitre des annonces, il veut créer une « banque de la démocratie » pour que le financement des partis et des campagnes électorales « ne dépende plus de choix de banques privées, mais puisse éventuellement être le fait d’organismes publics placés sous le contrôle du Parlement ». La figure du Modem, aujourd’hui défenseur du cumul des mandats, fait un pas de plus vers la proportionnelle et ouvre clairement la voie à une réforme du mode de scrutin.
Entre quelques citations d’Henri IV, de Pierre Mendès-France ou de Jean de La Fontaine, l’agrégé de lettres évoque aussi les gilets jaunes, un « mouvement que nous avons tous négligé ». « Ils ont dénoncé l’État qui renonçait à notre société, la division entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas, ceux qui passent à la télévision ou ceux qui habitent près des milieux de pouvoir et ceux qui ont la certitude d’être oubliés, négligés, développe Bayrou qui souhaite reprendre l’étude des cahiers de doléances. La promesse française suppose d’abattre le mur qui existe entre les uns et les autres. »
Continuité macroniste
Mais sans surprise, François Bayrou s’inscrit dans la continuité du macronisme, défendant les entreprises, abordant de nombreuses thématiques sans annoncer de mesures concrètes, renvoyant sans cesse la décision à des débats futurs.
L’écologie ? « L’écologie, au contraire de ce que certains pensent, n’est pas le problème, c’est la solution. » L’éducation ? « Je pense que, dans notre système scolaire et universitaire, il faut que puissent être acceptés et même favorisés les réorientations, les changements de formation. » L’immigration ? « Une question de proportion. » Le logement ? « Nous avons besoin d’une politique du logement repensée et de grande ampleur. » La Nouvelle-Calédonie ? « J’inviterai, en janvier, les forces politiques à venir à Paris pour ouvrir ces négociations en demandant au ministre des Outre-mer de suivre particulièrement ce dossier. »
En toute fin de discours, il promet toutefois une « hausse notable » de l’objectif national de dépenses de l’Assurance-maladie et le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025. Au bout d’environ 1 h 20, il conclut son discours qui manque clairement d’envergure. « Nous n’allons pas d’un seul coup passer de l’ombre à la lumière. Nous n’allons pas vivre le grand soir, admet-il. Mais si nous parvenons à nous faire entendre de vous, élus de la nation, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu mais raisonnable. » Peu d’ambitions.
Nous sommes atterrés face à ce discours indigent qui avait tendance à noyer le poisson.
C. Chatelain
Dans la salle des Quatre-Colonnes, seuls les partenaires du gouvernement s’y retrouvent. La gauche qui a tenté de négocier un budget est plus que déçue. « Nous sommes atterrés face à ce discours indigent qui avait tendance à noyer le poisson. Rien n’était clair, rien n’était précis, lâche Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social. La seule chose qu’on a retenue, c’est que le gouvernement ne reviendra pas sur la réforme des retraites. Et l’autre chose, c’est que l’écologie importe peu. »
Les socialistes dans le flou
Du côté des insoumis, qui ont déposé une motion de censure qui sera discutée jeudi 16 janvier, la note est salée… Mais elle était prévisible. « C’est décevant, mais le contraire aurait été surprenant. Il n’y a absolument rien de ce pour quoi les Français ont voté en juillet dernier, regrette Aurélien Taché, député LFI du Val-d’Oise. Pourquoi, au sein du Nouveau Front populaire, des gens espèrent encore quoi que ce soit de ce Premier ministre et de son projet ? »
Les socialistes sont encore dans le trouble. « Il y a eu énormément de déceptions. On n’a pas d’accord à ce stade », évacue Philippe Brun, le député PS de l’Eure qui faisait partie de l’équipe des négociateurs à Bercy. « Pour le moment, on n’a pas pris de décision. Est-ce que l’argument de la stabilité est suffisant pour ne pas censurer ? Est-ce que les concessions et la marge de manœuvre pour encore négocier sont suffisantes ? Est-ce que cette négociation sur les retraites vaut la suspension que l’on demandait ? », phosphore un député rose, dans le flou.
Nous censurerons sauf si nous avons une réponse claire.
O. Faure
Invité au 20 heures sur TF1, Olivier Faure, premier secrétaire du PS, implore François Bayrou d’accepter que le Parlement se prononce sur les retraites s’il n’y a pas d’accord après le conclave de trois mois entre les partenaires sociaux. « Nous censurerons sauf si nous avons une réponse claire », dit-il, renvoyant ainsi la balle vers le gouvernement. En semant le doute parmi les socialistes, François Bayrou a peut-être réussi à négocier un court sursis. Mais le sommet de « l’Himalaya » qu’il rêve de gravir est encore loin.