En refusant la censure, les socialistes fragilisent le Nouveau Front populaire

Les divergences stratégiques minent l’alliance des gauches. L’examen de la motion de censure ce 16 janvier marque le retour du bras de fer entre socialistes et insoumis.

Lucas Sarafian  • 16 janvier 2025 abonné·es
En refusant la censure, les socialistes fragilisent le Nouveau Front populaire
Olivier Faure, avant son discours lors du débat précédant le vote de la censure du gouvernement Bayrou, à l'Assemblée nationale, le 16 janvier 2025.
© Thibaud MORITZ / AFP

Le début de la fin ? Les tensions entre insoumis et socialistes n’ont jamais vraiment cessé depuis la constitution du Nouveau Front populaire (NFP). Mais l’union des gauches vient-elle d’atteindre un point de non-retour ? En refusant seuls de voter la motion de censure déposée par La France insoumise (LFI) ce 16 janvier, signée notamment par des parlementaires écologistes et communistes, les socialistes s’isolent un peu plus à gauche.

Après avoir voulu négocier jusqu’au bout un accord budgétaire avec le gouvernement malgré les très maigres concessions obtenues, les roses s’entêtent à croire qu’il existe un chemin de compromis pour voter un projet de loi de finances réorienté à gauche, et obtenir de nouvelles avancées budgétaires. Ne pas censurer François Bayrou est un choix stratégique sans conséquence réelle sur le destin de son gouvernement car le Rassemblement national (RN) avait déjà annoncé ne pas voter cette censure insoumise.

Très logiquement, la motion de censure a donc été rejetée : 131 députés ont voté pour. La quasi totalité des députés communistes et écologistes ont voté cette motion. La décision socialiste rallume le feu brûlant de la guerre des gauches.

Les opposants à Olivier Faure ont fait pression

Aux alentours de 15 heures, le coordinateur national du mouvement insoumis chargé de défendre la motion de censure, Manuel Bompard, monte à la tribune pour étriller les orientations politiques du discours de politique générale de François Bayrou, la composition de son gouvernement et… la stratégie des roses.

« Les raisons de vous censurer aujourd’hui sont nombreuses. Mais certains, élus pourtant pour en finir avec le macronisme, s’apprêtent aujourd’hui à sauver le gouvernement et à servir de béquille à la continuité de sa politique, lâche Manuel Bompard. Ils prétendent qu’il faut attendre de voir quelques jours ou quelques semaines. Quelle ridicule justification. Pensez-vous que le pays peut se payer le luxe de vos atermoiements ? » L’attaque est virulente. Mais personne n’est là pour l’entendre. Car les bancs socialistes sont vides.

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Pourquoi sont-ils en retard ? La faute à un bureau national qui s’est étendu dans la durée. Une réunion décisive car elle est censée trancher la position de leur formation, tiraillée depuis le discours de politique générale du 14 janvier. Selon plusieurs sources au sein du parti, environ les deux tiers du groupe parlementaire se seraient positionnés pour une non-censure, alors que les instances du parti auraient été plus partagées.

Les opposants au premier secrétaire du parti, Olivier Faure, ont mis la pression pour ne pas censurer le gouvernement : les soutiens du texte d’orientation de la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône), Hélène Geoffroy, et du courant de l’édile de Rouen (Seine-Maritime), Nicolas Mayer-Rossignol, penchent majoritairement vers une non-censure et souhaitent continuer jusqu’au bout les négociations avec le gouvernement.

Divisions dans le courant du premier secrétaire

Au sein du courant d’Olivier Faure, les défenseurs de l’actuelle direction sont plus partagés. Les eurodéputés Chloé Ridel et Emma Rafowicz (par ailleurs patronne des Jeunes socialistes), les députés Arthur Delaporte et Fatiha Keloua Hachi, mais aussi plusieurs cadres comme la conseillère régionale des Hauts-de-France, Sarah Kerrich-Bernard, le premier secrétaire fédéral de Seine-Saint-Denis, Mathieu Monot ou le maire des Ulis (Essonne), Clovis Cassan, étaient pour censurer le gouvernement.

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Lors de ce bureau national convoqué à 12 h 30, Olivier Faure, sous pression et un peu malgré lui, se serait rallié à la position qui se dégageait dans son parti : la non-censure. « À la fin des calculs, la non-censure était majoritaire », selon une source interne. Après deux heures de réunion, le bureau national vote. Résultat : 53 votes contre la censure, 10 pour et 2 abstentions. Les députés Laurent Baumel et Dieynaba Diop, les sénateurs Rémi Cardon et Alexandre Ouizille, le maire de Cherbourg-en-Cotentin (Manche), Benoît Arrivé, la conseillère municipale de Metz et membre de la direction du parti, Charlotte Picard, ainsi qu’Emma Rafowicz, Clovis Cassan, Sarah Kerrich-Bernard, Mathieu Monot ont voté pour la censure.

Ne pas censurer le ministre de l’Intérieur qu’est Retailleau, c’est renoncer à revendiquer son appartenance à la gauche.

M. Monot

Ce dernier, patron des socialistes de Seine-Saint-Denis est atterré : « Tant que les ‘sociaux-démocrates’ se laisseront berner par les fausses promesses du libéralisme, le socialisme ne pourra pas être le ciment de la gauche. Dans le 93, ne pas censurer le ministre de l’Intérieur qu’est Retailleau, c’est renoncer à revendiquer son appartenance à la gauche. Dans le 93, travailler deux ans de plus, c’est vivre moins longtemps en bonne santé. »

« Hidalgoïsation » d’Olivier Faure

À l’Assemblée, les prises de parole continuent. Les députés du parti au poing et à la rose arrivent par grappe dans l’hémicycle. Tous sont froidement scrutés par les députés insoumis. À gauche, l’ambiance est bouillante. Lors de la prise de parole d’Olivier Faure, les mélenchonistes pilonnent le patron des roses.

« Nous sommes dans l’opposition mais nous avons signifié notre ouverture au compromis, commence-t-il. Nous avons fait le choix de négocier, non pas pour une place ou un avantage quelconque. Nous l’avons fait pour arracher des concessions. Nous n’avons pas de négociation honteuse […]. C’est notre honneur d’avoir évité aux Français ces mesures qui ont un impact sur leur pouvoir d’achat et d’avoir rétabli un minimum de justice fiscale. »

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Dans les rangs insoumis, il est notamment accusé d’« Hidalgoïsation », du nom de la maire de Paris, Anne Hidalgo, symbole de la gauche qui trahit, selon les troupes de Jean-Luc Mélenchon. « Si vous êtes gênés, prenez la parole après moi ! », s’énerve Olivier Faure alors que les interpellations des insoumis se multiplient.

C’est clair qu’il y a rupture.

É. Coquerel

Dans la Salle des Quatre-Colonnes ou dans les formations partisanes, les divisions à gauche ne s’effacent pas. Au contraire. La question de l’avenir de l’alliance se pose déjà. « Le NFP n’est pas mort. Mais partager une même stratégie au sein d’une alliance, c’est quand même un socle minimal », juge un cadre socialiste.

« C’est clair qu’il y a rupture. Un mouvement élu sur la base du Nouveau Front populaire et de son programme permet au macronisme de survivre, regrette Éric Coquerel, président insoumis de la commission des Finances. Cette motion de censure remplace, de fait, un vote de confiance. Ceux qui ne la votent pas se placent donc dans une forme de soutien à ce gouvernement. » « Comment un socialiste peut-il accepter que Bruno Retailleau reste ministre de l’Intérieur ? Que Gérald Darmanin reste ministre de la Justice ? Et Élisabeth Borne ? Et Manuel Valls ? », lâche Aurélien Le Coq, député LFI du Nord.

La maigre liste des « victoires » arrachées par le PS

Pour répondre aux attaques insoumises, les socialistes tentent de lister les « victoires » obtenues. Une hausse de la taxe sur les transactions financières de 0,1 point, une annulation des mesures de déremboursement des consultations médicales et des médicaments et une hausse de 3,3 % de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), une surtaxe provisoire sur l’imposition des grandes sociétés pour un montant de 8 milliards, l’abandon de la suppression de 4 000 postes d’enseignants…

Il ne faut pas modifier le récit. Ce sont des victoires.

B. Bellay

« Il ne faut pas modifier le récit. Ce sont des victoires. Ce ne sont pas les victoires écrites au sein du programme du Nouveau Front populaire mais ce sont des victoires que nous obtenons lorsque l’on se retrouve dans cette situation où le gouvernement et le président exercent une forme de déni du parlementarisme », explique Béatrice Bellay, porte-parole du groupe socialiste.

« Le groupe socialiste n’est pas là pour répondre aux attaques de Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes là pour obtenir des victoires, pour que le quotidien des Français s’améliore », estime Dieynaba Diop, vice-présidente des députés roses. Au moment du vote, huit députés n’ont néanmoins pas respecté la discipline de groupe pour voter la censure : Fatiha Keloua Hachi, Philippe Naillet, Alain David, Claudia Rouaux, Paul Christophle, Pierrick Courbon, Peio Dufau et Inaki Echaniz.

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« Ça va souffler très fort au Nouveau Front populaire », constate un socialiste. Au milieu de ce bras-de-fer entre socialistes et insoumis, les écologistes, comme les communistes, tentent d’éteindre les braises. « Un désaccord stratégique n’efface pas une alliance politique indispensable, regardée avec beaucoup d’espoirs par des millions de Français qui attendent de tourner la page du macronisme et d’éviter le lepénisme, considère Benjamin Lucas, porte-parole du groupe Écologiste et social. Il y a eu un désaccord. Mais nous refusons d’entrer dans une logique où il y aurait, d’un côté, la gauche de la vocifération et, de l’autre, la gauche de la trahison. Pour nous, la gauche doit rester unie. »

« Le principe de notre alliance est de respecter l’identité de chacun. Ne pas voter la censure ne signifie pas soutien. Ne donnons pas à ce vote une importance démesurée », relativise François Thiollet, membre de l’exécutif des Écologistes. Ce message sera-t-il vraiment entendu ?

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