De Le Pen à Trump, d’un fascisme à l’autre

Avec la mort de l’ex-président du FN et l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et de son docteur Folamour, Elon Musk, nous entrons dans un moment de bascule, fait d’alliances sinistres de conservatismes anti-immigrés et de libertarianisme économique.

Denis Sieffert  • 15 janvier 2025
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De Le Pen à Trump, d’un fascisme à l’autre
© Annie Spratt / Unsplash

Avec la mort de Jean-Marie Le Pen et l’arrivée à la Maison Blanche du duo de l’apocalypse, Trump-Musk, on change de fascisme. Mais c’est plus que cela. Un changement d’époque. Le premier était un fasciste à l’ancienne, bien de chez nous, raciste, antisémite, colonialiste, tortionnaire quand l’histoire lui en donnait l’occasion, capable de tabasser une députée de gauche sur un marché, violent par le verbe comme par le geste. Contre lui, on pouvait dresser des « fronts républicains » et des « cordons sanitaires ». Il est mort en nous laissant un legs politique que s’empressent de revendiquer la droite et l’extrême droite : la haine des immigrés, et la quête éternellement coloniale de la nation ethniquement pure. Mais, Dieu merci, il n’a jamais eu le pouvoir.

Trump est comme Chaplin dans Le Dictateur, jonglant avec le globe terrestre, ivre de puissance.

À l’inverse, Trump et son Docteur Folamour sont gorgés de pouvoirs. Ceux du dollar et de la high-tech. Ils ont en commun de porter sur le visage l’arrogance joyeuse de la puissance mondialisée. À leur propos, on parle de « populisme ». Un doux euphémisme. Musk nous dit sa vérité quand il soutient l’extrême droite allemande et tente de déstabiliser le premier ministre britannique. À distance, il peut s’ingérer dans toutes les campagnes électorales. Mieux que Poutine. Il paraît insaisissable. Manifesterait-on contre lui qu’il n’en aurait cure. Il peut tout se payer : des réseaux sociaux qui inondent le monde ou l’âme de Marc Zuckenberg qui ne valait visiblement pas cher. Au fond, c’est la démocratie qu’il se paye. Et la vérité, qu’il peut tordre et distordre à sa guise. Il fait équipe avec un acolyte de son acabit qui s’apprête à jurer sur la Bible le 20 janvier.

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De Musk et de Trump, on ne sait qui est l’âme damnée de l’autre.Trump rêve de s’emparer du Groenland et de ses métaux précieux, du canal de Panama, route stratégique du commerce international, et pourquoi pas, d’annexer le grand voisin canadien et de mettre à genoux l’économie chinoise. Il promet l’enfer aux Palestiniens, comme s’ils n’y étaient pas déjà. Il est comme Chaplin dans Le Dictateur, jonglant avec le globe terrestre, ivre de puissance. On a beau se rassurer en se disant que Trump est le roi de la rodomontade, on a beaucoup à craindre. S’il fait le quart de ce qu’il promet, ce sera déjà un désastre planétaire.

Bien au-delà du mensonge, la vérité alternative déconstruit le réel de façon industrielle.

Mais tout dépend de la résistance que le reste du monde lui opposera. Et, singulièrement, l’Europe, qui est censée encore incarner quelques vertus morales, peut-être d’un autre temps. Or, de ce côté, l’espoir est mince. Que va-t-il se passer quand les géants de la tech vont décider de libérer sur le Vieux Continent des flots de désinformations comme ils viennent de le faire aux États-Unis en supprimant les programmes de vérification ? Bien au-delà du mensonge, la vérité alternative déconstruit le réel de façon industrielle. Les grandes tragédies de l’histoire sont les fruits vénéneux de la propagande. Pas de guerres à Gaza sans une opinion israélienne gavée de « menace existentielle ». Pas d’invasion de l’Ukraine sans une fiction de « grande guerre patriotique ». Nous voilà dans un moment de bascule. 

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On se désole des silences de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Est-elle seulement tétanisée ? N’est-ce pas plutôt que le monde d’Elon Musk est un peu le sien ? Un monde déréglementé dans lequel le capitalisme est libéré de toute entrave. L’histoire a commencé avec Reagan et Thatcher, dans les années 1980. Les ultralibéraux butaient alors sur les limites de la technologie. En appelant l’Europe à nous sauver, est-ce qu’on ne se trompe pas de grille de lecture ? Ce n’est peut-être plus l’Europe contre l’Amérique. Musk compte déjà, de ce côté-ci de l’Atlantique, plus d’amis qu’on ne croie. De l’AfD allemande à Giorgia Meloni et, au-delà de l’Union européenne, de Poutine à Netanyahou. Une alliance sinistre de conservatismes anti-immigrés et de libertarianisme économique. Les héritiers de Le Pen devraient y trouver leur place.

Il nous faut prendre conscience du péril qui nous guette.

Au fond, c’est d’abord une guerre culturelle qui nous attend. Il faut défendre, là où nous sommes, les lieux de savoir et de citoyenneté. La priorité de Trump sera de s’attaquer à tout ce qui pense « mal » et à tout ce qui fait société, les universités, la presse, les services publics, les syndicats… On peut espérer que le tandem infernal se brise plus vite que prévu. Si possible dès les élections du midterm, dans deux ans. En attendant, il nous faut au moins prendre conscience du péril qui nous guette. Un système massif de manipulation qui n’est jamais que l’accomplissement ultime du capitalisme.

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