Une marche contre l’IVG aux très forts relents d’extrême droite

Quelques milliers de manifestants étaient présents le 19 janvier à Paris, lors de manifestation annuelle contre l’interruption volontaire de grossesse, en cette 50e année du vote de la loi Veil. Dans ses rangs, des catholiques ultra-conservateurs, des royalistes et l’extrême droite.

Pauline Migevant  • 20 janvier 2025 abonné·es
Une marche contre l’IVG aux très forts relents d’extrême droite
Quelques milliers de manifestants ont défilé à Paris dans une « Marche pour la vie », le 19 janvier 2025, en cette année de 50e anniversaire de loi Veil.
© Maxime Sirvins

C’est un dimanche glacial en plein Paris. Le froid brumeux n’a pas découragé les quelques milliers de manifestants de venir lors de l’annuelle « Marche pour la vie », qui s’est tenue le 19 janvier. Place du Trocadéro, des barrières de sécurité ont été installées. Des hommes vêtus de K-way orange fouillent les sacs à l’entrée. Des bénévoles distribuent des pancartes : « Mon corps, sa vie ». Sous des tentes blanches, plusieurs associations anti-IVG.

En guise de goodies, l’une d’elles, Va Prie Vie, distribue des chapelets orange. Au stand de la Lejeune Académie, un bénévole cherche à recruter des jeunes qui souhaiteraient se former cet été pour devenir les prochains leaders anti-IVG. One of us, le lobby européen contre l’avortement est là aussi, aux côtés de la fondation Lejeune. La marche n’a pas encore commencé mais des jeunes femmes sautent déjà de joie en tenant la banderole qui mènera le cortège.

Manifestation anti-IVG Paris janvier 2025
(Photo : Maxime Sirvins.)

À quelques minutes du début de l’événement, à 14 heures, la place du Trocadéro reste parsemée. Au total, l’événement réunit quelques milliers de participants. La veille, les plus motivés se sont rassemblés à l’église Saint-Roch, lieu prisé des catholiques identitaires, pour une nuit de prière et d’adoration. Le lieu avait fait parler de lui en 2022 lors d’une messe en hommage à Charles Maurras, le fondateur de l’Action française.

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Sur des écrans installés de part et d’autre de la scène, avant que les discours ne commencent, des clips défilent. L’un d’eux est produit par les Survivants, un groupuscule à l’origine d’une action anti-IVG sur les vélibs parisiens et dont le site a été fermé par la justice. C’est indiqué en fin de clip, le texte a été écrit par Jacques de Guillebon, un proche de Marion Maréchal. En haut de la scène, une banderole indique : « 50 ans de défense de la vie », en référence à la loi Veil légalisant l’avortement, votée en janvier 1975. Les mots « défaites politiques » sont barrés.

(Photos : Maxime Sirvins.)

Sur scène, militantes italiennes pro vie, femmes témoignant d’un avortement et le président de la Marche pour la vie, reprennent la rengaine classique des anti IVG. Ils se voient comment des « résistants ». L’une se réjouit en évoquant « l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade » qui a remis en cause l’avortement aux États-Unis. Aux revendications habituelles des militants anti IVG, s’ajoute cette année la lutte contre l’euthanasie pour « résister à une culture de la mort qui colonise les esprits ». L’avortement est décrit comme « la première cause de mortalité de l’espèce humaine dans notre pays ».

Quatre servantes écarlates

Alors que l’extrême droite gagne du terrain, les droits reproductifs sont directement menacés, y compris en France.

Alors que les manifestants entament une minute de silence pour les « 10 millions de bébés morts à cause de la loi Veil » (des foetus), quatre femmes, militantes à #NousToutes, s’approchent des trois camionnettes Kiloutou recouvertes de slogans anti-IVG. Elles sont vêtues de robes pourpres, et portent un couvre-chef blanc, à l‘image des femmes dans la série La servante écarlate. Sur leur banderole, un message écrit en rouge : « Les anti-IVG ont du sang sur les mains. »  « IVG ! Mon corps, mon choix ! » scandent-elles. Il faut peu de temps, une minute à peine, pour que le service d’ordre de la Marche pour la vie les entoure et déplie des couvertures de survie, empêchant quiconque de les voir.

(Photos : Maxime Sirvins.)

Elles se font asperger d’eau mais crient encore « IVG, c’est à nous de décider. » Elles reprennent leur slogan jusqu’à la bouche de métro, à une cinquantaine de mètres, vers laquelle les conduisent des CRS, sous la huée des bénévoles. « Alors que l’extrême droite gagne du terrain, les droits reproductifs sont directement menacés, y compris en France, où l’inscription de l’IVG dans la Constitution reste insuffisante face à ces attaques », expliquent-elles dans un communiqué de presse diffusé après l’action.

Visages jeunes, ambiance milice

La marche commence. En tête de cortège, les jeunes femmes qui tiennent la banderole et Nicolas Tardy Joubert, le président de la Marche pour la vie. Les manifestants dansent sur du Louise Attaque, Tryo, et même un remix de Bella Ciao. Ambiance kermesse. Les visages sont jeunes. Des garçons ont le crâne rasé, quelques-uns ont des bérets vissés de travers sur la tête, ambiance milice. Une ado, chantant debout sur un banc, arbore un sweat de La Manif pour tous. Sur leurs sacs, certains hommes ont accroché des insignes militaires.

Il y a aussi quelques bonnes sœurs et des prêtres en soutane noire. L’un d’eux a une bible à la main. Régulièrement, un char sur lequel sont juchés deux jeunes s’arrête : « Comment expliquez-vous qu’un enfant soit tué toutes les deux minutes en France aujourd’hui ? » « Comment expliquez-vous que les deux-tiers du budget du Planning familial soit de l’argent public ? » « Qui, ici, veut des élus courageux ? » Ils exhortent les participants à faire du bruit. « Génération… Pro-vie ! » crient-ils. D’autres slogans s’enchaînent : « Papa, maman, je suis un être ! » Ou encore « la vie, la vie, tralalalalala. La vie, la vie, tralalalalère ! »

Une femme sort d’un immeuble avec deux enfants en bas âge. Elle regarde, effarée, les jeunes danser en brandissant leurs pancartes. « IVG un droit fatal pour les femmes », lit-elle. « Je suis choquée », lâche-t-elle à son mari. Plus loin, depuis son balcon une femme brandit deux feuilles de papier : « Pour l’IVG. Mon corps, mon choix ». D’autres, à la fenêtre, saluent amicalement les manifestants.

« Vive le roi ! »

À l’approche de la place du Trocadéro où revient la marche, une jeune femme qui passe par là, 18 ans peut-être, tombe nez à nez avec le cortège. Comprenant de quoi il s’agit, elle crie spontanément à destination des manifestants : « C’est la honte ! » Une policière s’approche et lui intime de se calmer. Quelques minutes plus tard, des jeunes hommes s’agitent. « Vive le roi ! », hurle l’un d’eux en brandissant son drapeau royaliste.

Un peuple qui choisit de sous-traiter la fabrication des enfants à des populations immigrées.

P. de Villiers

Quelques personnes courent et voilà qu’un petit groupe s’est amassé autour de Louis d’Anjou, le duc de Bourbon, « prétendant au trône de France » qui a rejoint la marche. (Arrière petit-fils de Franco dont il a défendu la mémoire, « le roi » est également proche du parti d’extrême droite espagnol Vox.) « Vive le roi ! », reprennent d’autres. C’est à qui criera le plus fort. « À bas la République ! » entend-on. Deux jeunes femmes, la vingtaine à peine, exultent. Elles ont réussi à se frayer un chemin pour prendre un selfie avec le duc.

Louis d’Anjou, le duc de Bourbon, « prétendant au trône de France », proche de l’extrême droite espagnole. (Photo : Maxime Sirvins.)
Philippe de Villiers, sur scène. (Photo : Maxime Sirvins.)

Le cortège est revenu au point de départ, face à la Tour Eiffel. « Les Bretons, vous êtes là ? » Les animateurs de l’événement hurlent dans la sono : « La Vendée, vous êtes là ? » Au milieu de prises de paroles des différentes associations présentes, Philippe de Villiers, invité spécial de l’événement, monte sur scène pour faire son discours. Le public l’ovationne. Il est venu de Vendée et sa semaine était chargée. Il était il y a quelques jours à la messe d’hommage à Jean-Marie Le Pen.

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Quand il s’adresse au public, il reprend presque mot pour mot, ce qu’il a déjà dit à Cnews dans son émission du 17 janvier. Un discours aux relents de grand remplacement. « Cette marche est une marche pour la survie. La survie d’une civilisation, d’un peuple qui ne veut pas mourir. » Entre chacune de ses phrases, le public crie. « Un peuple qui choisit de sous-traiter la fabrication des enfants à des populations immigrées, un peuple qui n’est plus capable de se reproduire lui-même est un peuple qui est condamné à s’effacer, à sortir de l’histoire. » « Philippe président ! » s’exclame une femme.

Organisation antisémite

Vers 17 h 30, la manifestation touche à sa fin. Deux associations sont récompensées pour leur action « pour la vie » – et reçoivent 2 500 euros chacune. Le prochain événement anti-IVG « forum Viva » est annoncé, un week-end entier qui aura lieu en mars au bois de Vincennes. Une porte-parole de la marche prend la parole, citant Georges Bernanos, un écrivain engagé dans l’Action française lorsqu’il était étudiant. Le public entame un chant scout, « L’Espérance ». Peu sont ceux qui ne connaissent pas les paroles.

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Quand les animateurs de l’événement balancent des t-shirts pro vie aux derniers manifestants, ceux-ci se mettent à sauter, se rentrant dedans, et d’autres se hissent sur les épaules de leur camarade pour tenter de les attraper. À part ceux-là qui restent pour chanter, la place s’est vidée. Certains ont encore en main un prospectus soigneusement distribué par deux jeunes femmes lors des prises de parole. Un prospectus pour l’Academia Christiana, une organisation antisémite, rassemblant la jeunesse d’extrême droite. Hormis l’action de #NousToutes, rien n’est venu perturber la marche. C’est un dimanche glacial en plein Paris.

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Société
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