Dans l’Allier, le lithium mine la transition énergétique

Face à l’objectif d’électrification du parc automobile européen, ce métal mou aiguise l’appétit de plusieurs projets industriels en France. Une course à l’exploitation minière qui semble ignorer les principes de sobriété et de nombreux enjeux écologiques.

Tristan Dereuddre  • 8 janvier 2025 abonné·es
Dans l’Allier, le lithium mine la transition énergétique
© Tristan Dereuddre

En plein cœur de l’Allier, la forêt des Colettes constitue l’une des principales richesses naturelles du département. Dans un dédale de troncs imposants où les gouttes de pluie peinent à percer l’épaisseur de la canopée, Jacques Morisot nous présentait, en mai dernier, la biodiversité foisonnante de cet espace protégé. «Cette forêt est exceptionnelle pour sa faune, sa flore et ses activités de plein air », glissait le porte-parole de l’association Préservons la forêt des Colettes.

Classé Natura 2000, ce massif forestier d’environ 2 900 hectares s’étend sur des sols granitiques de la petite commune d’Échassières. Ces derniers regorgent de mica, un minerai au sein duquel se trouve du lithium. ­Présenté comme indispensable pour la transition énergétique, ce métal est l’un des composants essentiels à la production de batteries pour véhicules électriques. Alors que le parc automobile thermique européen sera progressivement remplacé par l’électrique à partir de 2035, le lithium endosse le costume du nouvel or blanc.

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Dans l’ancienne carrière de kaolin de Beauvoir, qui surplombe Échassières, un imposant gisement du précieux métal a été découvert par des géologues. Une aubaine économique pour la France et le département de l’Allier. Dès lors, un projet d’exploitation baptisé Emili (Exploitation de mica lithinifère par Imerys), mené par la société privée Imerys, a vu le jour afin de créer une gigantesque mine composée de plusieurs kilomètres de galeries. L’objectif : extraire une importante quantité de lithium à partir de 2028 pour produire, selon Imerys, entre 700 000 et 800 000 batteries pour véhicules électriques par an.

ZOOM : Les fonds marins, précieux réservoirs de minerais

La ruée minière se propage également dans les profondeurs océaniques, notamment pour pallier la pénurie de métaux qui guette les mines terrestres. Les zones ciblées contiennent du manganèse, du cuivre, du cobalt, du lithium, de l’or ou encore des métaux rares, qui entrent dans la composition des batteries, des turbines d’éoliennes et des ordinateurs. Depuis 2023, des négociations internationales tentent en vain de définir un code minier pour encadrer ces futures exploitations des fonds marins, preuve de l’importance géopolitique et économique d’un tel sujet.

La Norvège est particulièrement visée par la pression citoyenne internationale. Il y a un an, la députée travailliste Marianne Sivertsen Næss déclarait sans sourciller que son pays avait « besoin de minéraux pour mener une transition verte sous la forme de cellules et de panneaux solaires, de voitures électriques, de téléphones mobiles ». Finalement, le gouvernement a décidé de suspendre pour 2024 et 2025 l’attribution de permis de prospection minière sous-marine dans ses eaux arctiques. Une pause non définitive mais qui tend à rassurer les scientifiques et les ONG environnementales.

Si les connaissances scientifiques sur ces zones abyssales restent encore trop peu nombreuses, les alertes se multiplient sur les risques de destruction d’espèces et d’habitats encore inconnus mais potentiellement vitaux pour la chaîne alimentaire. Sans compter le risque de perturber la capacité de l’océan à absorber le dioxyde de carbone lié aux activités humaines. Deux axes majeurs de la lutte climatique et de la survie sur Terre.

Vanina Delmas

Sur le papier, ce projet minier est présenté comme une perspective de décarbonation alléchante, mais il est loin de faire l’unanimité, car il constitue malgré lui le laboratoire d’une exploitation plus massive du lithium à l’échelle nationale. À l’extrémité de la route qui longe la forêt des Colettes, le mot « Mine » a été ajouté à la peinture blanche sur un panneau Stop.

Un débat public local s’est déroulé de mars à fin juillet 2024 et a mobilisé plus de 3 600 participants, sans apaiser les tensions. En outre, le gouvernement a simplifié les procédures liées au code minier et a reconnu ce projet d’« intérêt national majeur » par décret, avant même la fin des réunions publiques. Deux associations locales, Stop Mines 03 et Préservons la forêt des Colettes, ont déposé un recours devant le Conseil d’État pour le faire annuler.

Des impacts environnementaux incertains

Chaque jour, 5 500 tonnes de roches seront extraites du gisement de Beauvoir à Échassières, soit 2,1 millions de tonnes à l’année. Le mica sera isolé du granite avant d’être acheminé jusqu’à l’usine de conversion de Montluçon, où 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium seront produites annuellement pour être commercialisées. Une logistique rodée, des débouchés commerciaux lucratifs, pour un coût environnemental qui inquiète. « Aujourd’hui, c’est tout l’écosystème qui entoure la mine qui est en danger », s’alarme Jacques Morisot.

Le cycle de l’eau souffre déjà profondément, alors une mine, c’est ajouter de la perturbation sur un affluent déjà en tension.

J. Morisot

Au menu des préoccupations majeures : l’utilisation massive d’eau. «Cette mine sera extrêmement gourmande», commente-t-il. Chaque année, pas moins de 1,2 million de mètres cubes seront puisés directement dans le lit de la Sioule, un cours d’eau dont le débit a déjà drastiquement chuté ces dernières années, en grande partie à cause du réchauffement climatique. « Le cycle de l’eau souffre déjà profondément, alors une mine, c’est ajouter de la perturbation sur un affluent déjà en tension », ajoute Jacques Morisot.

L’impact potentiel sur les écosystèmes dépendants de cette ressource interroge, et les études apportées par la société Imerys sont loin de convaincre en l’état. Un avis de l’Autorité environnementale (AE) sur le projet Emili, publié le 21 novembre 2024, dresse le constat suivant : « [Le dossier du projet] omet d’aborder ou d’approfondir des éléments qui sont, selon l’AE, dimensionnants pour le projet. » Parmi ces éléments, on retrouve la sensibilité au changement climatique des ressources en eau, les incidences de la gestion des résidus de conversion ou les effets de l’opération de conversion de lithium sur la santé.

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D’autres points suscitent l’inquiétude de l’Autorité environnementale, comme la gestion des déchets : « Le dossier est étonnamment peu détaillé sur les déchets et les résidus miniers, alors qu’ils constituent, pour une mine en général, un des sujets majeurs de préoccupation », indique-t-elle. L’organisme reproche au dossier d’Imerys de ne pas avoir engagé de réflexion pour traiter les déchets miniers.

«Pour l’AE, cette réflexion aurait déjà dû conduire, dès la phase pilote, à une meilleure connaissance du devenir des résidus en phase industrielle, dont l’impact peut être considérable. Les options de traitement de ces résidus doivent être décrites dès maintenant, incluant un travail important de réduction de leur volume», peut-on lire dans le rapport.

Une souveraineté limitée

En dépit des potentiels impacts sur l’environnement, d’autres projets de mines sont à l’étude. C’est le cas en Alsace, mais aussi dans le Finistère, où le sous-sol du site de Tréguennec regorgerait de près de 66 000 tonnes de lithium. «Nous voulons garantir notre indépendance en matière d’approvisionnement en lithium», déclarait l’ex-ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie Bruno Le Maire en mai 2024, lors d’une visite sur le site breton.

Le gisement découvert dans l’ancienne carrière de kaolin pourrait fournir, dès 2028, de quoi produire 700 000 à 800 000 batteries par an. (Photo : Tristan Dereuddre.)

Cet argument d’indépendance de la transition écologique a souvent été avancé par les défenseurs des mines. La souveraineté s’est même imposée comme incontournable dans les débats : «Cette question est apparue lorsqu’on s’est rendu compte de la criticité des métaux pour la transition énergétique. En France comme ailleurs, une compétition industrielle est apparue sur les technologies de bas carbone, friandes de métaux», explique Emmanuel Hache, adjoint scientifique de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

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Une exploitation des sols français pourrait, selon les soutiens des mines, répondre à un double objectif : d’une part, l’acquisition d’une forme d’indépendance vis-à-vis des principaux pays producteurs et transformateurs de lithium – le Chili, l’Australie et la Chine. D’autre part, les règles socio-environnementales plus strictes en Europe et en France offriraient une extraction plus responsable.

Les coûts de production seront plus élevés dans les mines en France.

E. Hache

Mais selon Emmanuel Hache, l’apparition de ces mines sur le sol français s’ajoutera aux conséquences des exploitations les plus polluantes malgré l’argument récurrent affirmant que l’exploitation sera plus responsable que dans les pays du Sud grâce à nos normes. «Les mines les moins responsables d’un point de vue socio-environnemental ne seront pas substituées : les coûts de production seront plus élevés dans les mines en France, qui ne feront que s’ajouter à celles déjà existantes. »

De plus, une souveraineté sur la transition énergétique est loin d’être garantie. Tout d’abord, la conception des batteries électriques ne se limite pas au lithium. Elle nécessite d’autres métaux essentiels, comme le nickel, le cobalt ou le manganèse. Largement importés, ces métaux complexifient l’autonomie industrielle et la souveraineté nationale dans la chaîne d’approvisionnement.

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« On ne pourra jamais être souverain à 100 %. Aujourd’hui, nous n’avons pas les capacités de raffinages suffisantes et nous manquons de giga-factories opérantes », ajoute le chercheur de l’IFPEN. Même si des projets d’usines naissent dans le nord de la France, l’importance de l’Union européenne sur la chaîne de valeur des batteries Lithium-ion s’est considérablement affaiblie. En 2023, seules 14 % des batteries électriques étaient produites sur le sol européen.

Selon un rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) publié en octobre 2024, plus de la moitié de la production européenne est rattachée à des entreprises sud-coréennes ou chinoises. « Des entreprises américaines (Tesla, Microvast) sont présentes sur le sol européen, portant à plus de 60 % la part de la production imputable à des entreprises extra-européennes », indique le rapport.

Faire des véhicules plus sobres

Au-delà de l’indépendance économique et industrielle, une autre question s’impose : celle de la sobriété. Parmi les détracteurs des mines, les critiques pleuvent sur les usages et les objectifs des batteries. « L’ouverture de nouvelles mines répond à une augmentation constante de la demande en matériaux pour les technologies bas carbone, signale Emmanuel Hache. La communication d’Imerys est symptomatique de ce phénomène : le projet prévoit d’alimenter 700 000 à 800 000 véhicules électriques, mais on pourrait en faire deux fois plus si on faisait des voitures plus petites. »

On doit réfléchir à la sobriété d’abord, et ne pas détruire un environnement pour la folie de la bagnole.

E. Hache

Une réflexion sur la taille et le nombre des véhicules permettrait d’atteindre ces objectifs avec moins de ressources. «On doit réfléchir à la sobriété d’abord, et ne pas détruire un environnement pour la folie de la bagnole», dénonce Emmanuel Hache. La question de l’usage s’invite au centre du débat sur les mines. Les choix industriels favorisant les SUV au détriment de véhicules sobres accentuent la pression sur les matériaux rares, au détriment des environnements fragiles.

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L’option de la sobriété pourrait ouvrir la voie à des alternatives telles que les batteries au sodium, qui reposent sur des ressources abondantes et accessibles, sans recourir aux métaux rares. Bien que moins performantes que celles au lithium, ces batteries adaptées à des véhicules sobres pourraient correspondre à une transition énergétique durable. Mais une politique de la sobriété n’est pas la priorité.

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