Avec le retour de Trump, les minorités craignent le pire
L’arrivée de Donald Trump au pouvoir suscite des vives craintes chez certaines minorités. Le week-end qui a précédé son investiture a donné lieu à des manifestations et événements dans tout le pays pour marquer le terrain d’une opposition déterminée, et donner de l’espoir.
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Trump, un dinosaure au secours des fossiles Avec Donald Trump, les perspectives enterrées d’un État socialUne boîte de mouchoirs passe de main en main. Elle vient au secours de quelques reniflements et du mascara en train de couler. Une centaine de proches et d’amis se serrent debout dans les allées entre les rayons de la librairie. D’autres sont assis sur les chaises pliantes tournées vers l’arrière-boutique. Une arche de fleurs violettes décore le mur du fond.
« Si on veut survivre, on doit se préparer à se voir les uns les autres, à partager nos peurs, nos douleurs et, oui, aussi notre joie. C’est d’elle qu’il est question aujourd’hui. » Dans un costume assorti aux fleurs, Errol Anderson, un homme transgenre, responsable de l’association LGBTQ+ rattachée à la librairie, officie la cérémonie. Il est entouré de dix couples. Il marque une pause. Les enjoint de se parler. Les paires échangent des murmures. Puis Errol les invite à se passer la bague au doigt. Applaudissements et liesse dans l’assistance.
Beaucoup ont peur, dans une ambiance de malheur et d’obscurité, et se demandent que faire.
Errol
Ce dimanche 19 janvier, la librairie LGBTQ+ et féministe Charis Books & More, à Decatur en Géorgie, organise un « mariage de masse pour le peuple ». Le lendemain, Donald Trump doit prêter serment pour devenir le 47e président des États-Unis. « Beaucoup ont peur, dans une ambiance de malheur et d’obscurité, et se demandent que faire. Je voulais qu’ils se rappellent qu’on peut être pragmatique et utiliser les outils de l’État », dit le quadragénaire, crâne dégarni et barbe rousse, le regard abrité par des lunettes à grosses montures.
Il poursuit en expliquant qu’en plus de l’amour qu’il vient sceller le mariage est un outil pour se protéger. Le retour à la Maison Blanche du milliardaire inquiète en effet : il a promis de s’attaquer à « la folie transgenre » ; lors de son mandat précédent, il a provoqué, en nommant des juges conservateurs à la Cour suprême, la fin de la garantie du droit à l’avortement ; et il envisageait des « expulsions de masse » des migrants sans titre de séjour dès le premier jour de son mandat.
Face à l’angoisse de sa communauté, Errol Anderson a orchestré cette cérémonie. D’ordinaire, la librairie organise des réunions et des ateliers en soutien aux personnes transgenres – mineures et adultes. L’idée d’un mariage groupé, ouvert à tous et toutes, est venue à Erroll d’un souvenir de 2017. Alors que Donald Trump va devenir président, un couple d’amis l’appelle. Ils veulent se marier, craignant que ce droit pour les personnes du même genre soit révoqué. Errol dispose de l’autorité nécessaire, ayant une licence de pasteur acquise en ligne.
Il marie ses amis quelques heures avant que Donald Trump, la main sur la Bible, ne jure de protéger la Constitution. Quatre ans plus tard, Errol répète la célébration et l’ouvre à tout le monde. « Il fallait rappeler aux gens qu’ils ne doivent pas baisser les bras, se réjouit-il. C’est si agréable que toutes ces personnes se concentrent sur quelque chose de positif, qu’elles se retrouvent dans une communauté pour trouver le meilleur moyen d’être ensemble, et ne se focalisent pas sur l’aspect négatif de la période à venir. »
« On ne sait pas ce que le gouvernement va faire »
Les couples se regardent, se tiennent par le bras ou enlacés. Leurs proches et leurs ami·es viennent les embrasser. Un joyeux brouhaha a remplacé le silence habituel de la boutique. « C’était magnifique de voir ma sœur se marier », s’émeut une personne, aux côtés de ses parents. Son père renchérit : « J’ai adoré ». Il le répète trois fois. « Que les gens soient eux-mêmes, et au diable ceux qui ne comprennent pas que l’amour est pour tout le monde. »
Sa voix s’étrangle, il s’en excuse. « Ma fille est heureuse, elle réalise son rêve de pouvoir exprimer son amour pour la personne de son choix. » Sa mère ajoute : « C’est important de le faire maintenant, on ne sait pas ce que le gouvernement va faire. » Puis la troupe part étreindre la mariée et sa femme. Si Donald Trump n’a pas menacé le mariage pour les couples de même genre, la crainte est cependant présente chez certains ce dimanche, et pour les autres, il s’agit d’envoyer un message.
Les couples sortent de la boutique, acclamés sur le porche. Allie McCullen, 35 ans, et son désormais mari, Loren Milliken, 40 ans, restent dans la salle. « On voulait se marier avec des personnes qui pensent comme nous. Je l’ai vu comme un acte de résistance politique avant l’investiture », explique le mari, transgenre. Le couple est ensemble depuis huit ans. Les derniers mois ne les ont pas épargnés.
« J’ai surveillé l’élection de très près. C’était une sensation étrange d’être la cible pendant la campagne. C’est clair que le gouvernement de Trump ne soutient pas les personnes queers », continue Loren Milliken. Le couple avait prévu de se marier. Mais ils ont décidé de « le faire plus rapidement, au cas où », explique Allie McCullen, un bouquet de tulipes rouges à la main. Ces mariages « nous rappellent que, peu importe ce qui arrive, ces quatre prochaines années, nous avons une très belle communauté qui nous soutiendra jusqu’au bout », poursuit-elle.
Le remède au désespoir politique, c’est l’action.
En deux semaines de campagne en octobre, le milliardaire et les groupes qui le soutiennent ont dépensé environ 95 millions de dollars pour des spots publicitaires, dont plus de 40 % dénigraient les personnes transgenres, selon le média PBS. Cela fait des années que les républicains multiplient les lois dans les législations locales contre les personnes trans, pour limiter leur accès aux toilettes publiques ou leur participation aux compétitions sportives.
Certains pouvoirs locaux conservateurs ont interdit les thérapies d’hormones et opérations chirurgicales pour les mineurs. L’élection pour la Chambre des représentants en novembre 2024 a tout de même offert une victoire aux communautés LGBTQ+ : l’accession de la première personne transgenre au Congrès. L’élue démocrate Sarah McBride représente désormais l’État du Delaware. Il n’aura fallu que deux semaines à une élue républicaine, Nancy Mace – qui se définit sur le réseau social X comme une « vraie femme » – pour introduire une proposition pour restreindre l’accès aux toilettes du Capitole en fonction du genre assigné à la naissance.
Le président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a validé la règle dans les espaces du Capitole qui dépendent de son autorité. La mesure a suscité une vague d’inquiétude parmi les personnes transgenres, tel un avant-goût de la nouvelle ère Trump.
« Chaque acte de résistance est un exemple pour les autres »
Ces communautés ne sont pas les seules inquiètes du second mandat de Donald Trump. Il a promis d’expulser les migrants sans titre de séjour. Entre 11 et 13 millions de personnes seraient concernées, selon les estimations. Partageant toutes ces craintes pour l’avenir, des milliers de personnes se sont rassemblées samedi à Washington pour une « marche du peuple ». Ce rassemblement est l’héritier de la Marche des femmes de 2017, où près de 500 000 personnes avaient dénoncé ce qu’était, à leurs yeux, la misogynie de Donald Trump. Cette année, les organisateurs voulaient élargir les revendications. Washington n’était pas la seule ville concernée.
Devant les colonnades du tribunal, à Cumming, ville de Géorgie de quelque 7 000 habitants, une cinquantaine de personnes sont rassemblées ce samedi 18 janvier. Des chaufferettes pour les mains sont proposées. Les pancartes sont brandies : « Nous n’acceptons toujours pas de retour en arrière », « Mettre fin à la violence des armes à feu », « Klaxonner pour le droit à l’avortement ». Deux organisatrices prennent la parole. « Vous êtes ici car vous savez que le peuple a le pouvoir. Peu importe qui est à la Maison Blanche, notre travail est le même : défendre nos valeurs de liberté et d’équité […]. Le remède au désespoir politique, c’est l’action […]. Chaque acte de résistance est un exemple pour les autres », clame l’une d’elles.
Le groupe fait le tour d’un pâté de maisons. Ansley, 21 ans, est une des plus jeunes. « Je veux pouvoir me sentir en sécurité en tant que femme dans mon comté, pouvoir aller au supermarché sans être paniquée à l’idée qu’une personne puisse me suivre ou pointer sur moi une arme à feu. Les lois régissant l’usage des armes à feu sont très peu restrictives, à tel point que j’ai moins de droits sur mon propre corps qu’en ont ces armes », tranche-t-elle.
« J’ai toujours su que j’allais voir des hommes puissants détruire le monde… »
Le comté Forsyth a voté à 66 % pour Donald Trump. Un conducteur, la vitre de son pick-up ouverte, le rappelle. « Donald Trump est votre président », hurle-t-il aux manifestants. Nadia, 25 ans, tient une pancarte. Au recto : « J’ai toujours su que j’allais voir des hommes puissants détruire le monde, je ne m’attendais pas à ce qu’ils soient de tels losers », et au verso : « Mon corps, mon choix ».
Pour elle, l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade, qui garantissait l’accès à l’avortement, « n’était que le début, un avertissement. Cela montre que d’autres droits des femmes pourraient être retirés, et des droits humains. Des responsables politiques veulent imposer plus de conditions pour divorcer, et de nombreuses femmes sont tuées par leur conjoint. On doit aussi faire en sorte de préserver l’accès à la contraception et à des centres de soins ».
Les manifestants s’apprêtent à revenir sur leurs pas. Une organisatrice marque une pause devant une plaque commémorative : « Le 10 septembre 1912, un homme noir de 24 ans du nom de Rob Edwards fut lynché et pendu dans le centre-ville. » Le comté a servi de bastion à des mouvements suprémacistes blancs. En 1987, le Ku Klux Klan y a attaqué des manifestants pour les droits civiques pendant une marche.
Je suis assez vieux pour me souvenir des personnes noires qui manifestaient pour les droits civiques.
James
« Des personnes noires ont commencé à revenir ici à partir des années 1990 », raconte James, 63 ans, Afro-Américain. Il défile « pour ne pas retourner en arrière ». « Je suis assez vieux pour me souvenir des personnes noires qui manifestaient pour les droits civiques, tabassées, et attaquées avec des canons à eau, poursuit-il. Donc je suis toujours inquiet d’un retour en arrière. Et quand nos dirigeants ne soutiennent pas ces mouvements et essaient, en réalité, de s’en débarrasser, il faut être inquiet. »