Retraites : les socialistes pris à leur propre piège

En annonçant un « conclave » de 3 mois pour négocier des améliorations « sociales » de la réforme des retraites, François Bayrou a pris de court les socialistes, les obligeant à discuter de l’inacceptable.

Pierre Jequier-Zalc  • 15 janvier 2025
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Retraites : les socialistes pris à leur propre piège
Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure (au centre) entouré du président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner (à gauche) et du président du groupe parlementaire Socialistes et Apparentés Boris Vallaud (à droite) après une réunion avec François Bayrou, à Matignon à Paris le 16 décembre 2024.
© LOU BENOIST / AFP

Il y a eu comme un espoir. Vague, certes, mais tout de même. Depuis quelques jours, la macronie semblait prête à remettre sur la table le sujet de la réforme des retraites. Jusque-là, elle restait arc-boutée sur ce totem injuste et antisocial depuis son adoption en force, au printemps 2023. C’est, du moins, ce qu’ont cru les socialistes dont la crédulité n’a d’égal que le coup de Trafalgar que leur a adressé François Bayrou lors de son discours de politique générale.

Les députés socialistes ont été élus sur un programme on ne peut plus clair. Dans celui-ci, l’abrogation de la réforme des retraites d’Élisabeth Borne et d’Emmanuel Macron figure tout en haut de la liste des mesures défendues en juillet dernier. Mais, sans majorité claire dans l’hémicycle, les roses ont pris le parti de négocier avec ceux qui, un an et demi plus tôt, ont imaginé et mis en place cette même réforme. Et qui, depuis, et à de multiples reprises, ont tout fait pour éviter que le Parlement puisse revenir dessus.

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De jour en jour, le vocabulaire a donc changé. L’abrogation est devenue suspension, la suspension s’est transformée en gel temporaire. Et, après un vague coup de chaud, le gel s’est liquéfié en… rien du tout. Ainsi, à la tribune du Palais Bourbon, François Bayrou a commencé par annoncer qu’il voulait « remettre [le] sujet [des retraites] en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref. » Le tout, selon ses mots, avec « une méthode inédite et quelque peu radicale ». De quoi faire espérer aux parlementaires à la rose que leur esprit de « responsabilité » et de « gouvernement » allait – enfin ! – permettre d’obtenir des avancées concrètes pour les travailleurs et travailleuses du pays.

Enfumage

C’était sans compter sur la Macronie qui, pour le coup, tient sa ligne depuis sept ans : ne jamais prendre le risque de remettre en cause la politique économique néolibérale menée. Résumons donc la « méthode radicale » développée par le premier ministre. Un « conclave », de trois mois, sans suspension de la réforme actuelle, où les partenaires sociaux pourront « rechercher une voie de réforme nouvelle », « sans aucun totem et sans aucun tabou » – pas même l’âge, promet Bayrou – avec une seule contrainte : ne pas dégrader l’équilibre financier du régime.

Mais du discours lénifiant du maire de Pau, c’est sa dernière phrase qui, quoiqu’absolument pas étonnante, résume bien l’enfumage de cette annonce : « Si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer ». Autrement dit : si les syndicats et le patronat n’arrivent pas à se mettre d’accord, rien ne changera.

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Or, rappelons, sans exhaustivité, les récentes déclarations du président du Medef, Patrick Martin sur le sujet des retraites : « Il ne faut pas toucher au rendement de la réforme et le rendement de la réforme tient essentiellement à l’âge légal de départ en retraite de 64 ans », « ce n’est pas le moment de reprendre cette réforme ». Celui-ci va même plus loin, appelant à « faire levier de ces travaux qui s’engageraient sur la réforme des retraites pour poser beaucoup plus fondamentalement le sujet du niveau et du financement de notre protection sociale ». Selon lui, on aurait même « un niveau de dépenses sociales qui devient insupportable ».

Ne pas arrêter la réforme c’est la laisser avancer : le temps joue pour la réforme.

M. Zemmour

En résumé, le Medef ne veut surtout pas revenir sur les 64 ans. Et pour arriver à ses fins, il n’aura rien à faire. Si ce n’est de dire non à toutes les demandes syndicales. « Les patrons ont tout intérêt à faire échouer la négociation », soupire Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT qui rappelle que sans suspension, « la réforme est déjà en cours d’application, et fait déjà des ravages ». « Ne pas arrêter la réforme c’est la laisser avancer : le temps joue pour la réforme », rappelle aussi l’économiste Michaël Zemmour sur Bluesky.

Ne pas arrêter la réforme c'est la laisser avancer: le temps joue pour la réforme. Si on veut que les personnes de la génération 1963 (62 ans en 2025) puissent partir avant 62 ans et 9 mois et 42,5 annuité, il faut prendre la décision demain matin (et encore c'est serré).

Michaël Zemmour (@michaelzemmour.cpesr.fr) 2025-01-14T13:08:38.422Z

Méthode connue

La méthode, en Macronie, est bien connue et commence à être ficelée. Imposer un cadre intenable pour une des deux parties pour faire échouer les négociations. Et, in fine, poursuivre sa politique. Elle a déjà été testée et approuvée pour largement détricoter l’assurance-chômage.

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À vouloir jouer avec le feu, les socialistes se retrouvent donc ridiculisés et désormais divisés entre ceux pensant que cette annonce est suffisante pour ne pas censurer le gouvernement et les autres, visiblement plus lucides, qui ont bien compris que la censure était, encore une fois, la seule option réaliste pour éviter un budget austéritaire qui s’attaque aux services publics, et aux dépenses sociales du pays.

Un échec des négos (…) avec le retour à la réforme actuelle créera du fatalisme, de l’abattement et, au final, de l’émiettement social.

Parce qu’il faut le dire : accepter un tel « conclave », dans les conditions imposées par le premier ministre, sur les retraites pourrait avoir de graves conséquences. En premier lieu, celui de faire croire, à l’immense majorité des salariés du pays qui considèrent cette réforme comme injuste, inégalitaire et brutale, qu’il pourrait, potentiellement, y avoir un retour aux 62 ans.

« Les salariés attendent quelque chose de fort sur les retraites. Un échec des négos, dans quelques mois, avec le retour à la réforme actuelle créera du fatalisme, de l’abattement et, au final, de l’émiettement social », s’inquiète un syndicaliste habitué des négociations.

Surtout, cela met les organisations syndicales dans une position particulièrement inconfortable, les rendant, potentiellement, responsable d’un échec – probable – des négociations. Cette position est notamment difficilement tenable pour la CFDT, connue pour accepter la politique du compromis. Sera-t-elle, vraiment, en mesure de tenir comme ligne rouge de la signature d’un accord le retour aux 62 ans ?

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« Nos relations ont largement évolué grâce à la mobilisation contre les 64 ans. Cela ne se dissipera pas comme cela. On n’a pas forcément la même stratégie, mais le retour, a minima, à 62 ans reste quelque chose qu’on partage », veut croire un membre de la CGT qui assure qu’une intersyndicale se tiendra très prochainement pour homogénéiser les stratégies syndicales.

Enfin, cela donne du temps au gouvernement de François Bayrou pour poursuivre une politique austéritaire et déjà annoncée comme violente contre les immigrés. En voulant se montrer « responsable » et négocier avec le gouvernement, les socialistes se retrouvent donc piégés, emmenant dans leur chute les organisations syndicales et l’espoir d’une abrogation de la réforme des retraites. Tout ça pour des miettes qui ne représentent rien, ou presque.

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