L’État visé par des actions en justice pour la contamination de l’eau au CVM

Plusieurs centaines de milliers de Français seraient exposés à la pollution des canalisations d’eau au chlorure de vinyle monomère (CVM), classé cancérogène. Les citoyens se mobilisent face à l’inertie des pouvoirs publics et lancent des actions en justice pour demander réparation.

Vanina Delmas  • 16 janvier 2025 abonné·es
L’État visé par des actions en justice pour la contamination de l’eau au CVM
© Nathan Dumlao / Unsplash

Il y a dix ans, Catherine Hergoualc’h voit débarquer chez elle un laboratoire chargé de faire des prélèvements d’eau directement à son robinet. Elle découvre alors que sa maison située à Pruillé-l’Éguillé, un village du sud de la Sarthe, fait partie d’une campagne de recherche lancée par l’Agence régionale de santé (ARS) pour détecter la présence de chlorure de vinyle monomère (CVM).

« Nous ne savions pas ce que c’était. Nous n’avions rien compris au compte-rendu de l’ARS à part qu’ils avaient trouvé un taux de CVM s’élevant à 1,8, soit trois fois la limite autorisée. Ça nous a alertés. Surtout que pendant deux ans, rien n’a été mis en place dans le secteur pour faire face à cette pollution », raconte-t-elle.

Une directive européenne sur la qualité de l’eau de 1998 a défini la valeur limite de 0,5 μg (soit 0,5 millionième de gramme) par litre d’eau, et celle-ci est dans le droit français depuis 2003. Celui-ci est classé cancérogène certain depuis 1987 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) qui affirme qu’il favorise l’apparition de deux formes de cancer du foie : l’angiosarcome hépatique, et le carcinome hépatocellulaire.

Tout le territoire potentiellement touché

En 2015, le Comité citoyen Sarthe est créé avec pour mission globale de « mettre la chose publique sur la place publique ». Les dessous de la pollution inconnue au CVM devient leur préoccupation principale. Ils découvrent alors que cette contamination touche potentiellement tout leur département, et même tout le territoire français puisque ce gaz inodore, incolore provient des canalisations en PVC qui ont été installées avant 1980, essentiellement en zone rurale.

Les habitations situées en bout de réseau de distribution de l’eau (hameaux, fermes…) sont particulièrement exposées car l’eau stagnant dans les tuyaux se charge davantage en gaz. Et en effet, en lisant notamment la presse locale, on s’aperçoit rapidement que de nombreux départements sont concernés : le Loiret, la Manche, la Dordogne, le Gers, l’Indre-et-Loire, les Côtes d’Armor…

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Dans le Loiret, des habitants de Châtenoy, Sury-aux-Bois et Combreux ont été informés en 2023 que l’eau du robinet était contaminée au CVM et au manganèse et qu’elle n’était donc plus consommable, sur recommandations de l’ARS. Or, certains usagers ont découvert que le dépistage du gaz et les résultats non-conformes à la loi sont connus par l’ARS et le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (Siaep) depuis 2014. Une action devant le tribunal judiciaire d’Orléans contre le Siaep est en cours car, selon Me Gabrièle Gien, du cabinet Phusis Avocats, celui-ci n’a pas respecté le code de la santé publique en ne garantissant pas une eau potable et en n’informant pas les habitants de la qualité de leur eau.

Le risque de développer un cancer du foie dans les 50 ans est supérieur pour des personnes exposées sur le long terme.

Me Gabrièle Gien

« Nous estimons qu’il y a plusieurs préjudices : un préjudice financier puisque les usagers de l’eau ont versé une redevance annuelle à leur fournisseur d’eau sans être informé que l’eau n’était pas potable, un préjudice de jouissance car ils ne peuvent plus consommer l’eau du robinet, un préjudice moral car n’étant pas informées de la contamination, certaines familles ont continué à boire l’eau. Et enfin, un préjudice d’anxiété car certaines personnes sont exposées depuis des dizaines d’années au CVM et on sait que le risque de développer un cancer du foie dans les 50 ans est supérieur pour des personnes exposées sur le long terme », détaille l’avocate en droit de l’environnement. Une première audience aura lieu le 13 mars au tribunal d’Orléans, mais seize autres dossiers sont en cours d’instruction.

Scandale démocratique

Ce scandale sanitaire est également un scandale démocratique car le manque de transparence des données de contamination est flagrant. Combien de personnes sont véritablement concernées, contaminées ? S’il est difficile d’avoir des chiffres précis, une note de l’Institut de veille sanitaire estimait en 2010 que 600 000 personnes pouvaient être concernées par des contaminations au CVM au-dessus de 0,5 microgrammes par litre d’eau.

Depuis huit ans, le Comité citoyen Sarthe met également la pression sur les préfets qui se succèdent, sur l’ARS, les services publics de l’eau… Les Sarthois déplorent une « gestion chaotique » dans leur département, et demandent un comité de suivi spécifique pour le CVM sur le département depuis 2016. En 2023, ils ont finalement été conviés à une réunion à la préfecture, en présence de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, de FNE Sarthe et l’UFC-Que choisir.

Selon nos analyses, il y aurait eu 1463 dépassements de limites de qualité dans la Sarthe entre 2013 et 2023.

H. Conraux

La réponse de la préfecture les déçoit fortement : « Au lieu de mettre en place ce comité de suivi, le préfet a préféré renvoyer ce dossier aux trois sous-préfets qui doivent alors réunir leur syndicat d’eau sur leur territoire, et gérer au mieux la problématique du CVM », regrette Catherine Hergoualc’h.Comme si une fois de plus, les services de l’Etat se débarrassaient de la patate chaude contaminée.

Le Comité pallie également le manque de données officielles en faisant de la collecte, de l’analyse et de la publication des données pour informer la population. Ils saisissent la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) et obtiennent des informations de l’ARS. Ils épluchent des milliers de résultats d’analyses issus de la base SISE-Eaux du ministère de la Santé mais remarquent que ceux-ci restent parcellaires.

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« Le ministère de la Santé parle de 37 cas dépassements de limites de qualité, c’est-à-dire au-delà de 0,5 µg/L, pour la période 2016-2023, tandis que nous en avons relevé 1100. Selon nos analyses, il y aurait eu 1463 dépassements de limites de qualité dans la Sarthe entre 2013 et 2023 », détaille Hervé Conraux. Une différence de taille.

300 000 km de réseau seraient concernés

Pour tenter d’avoir un panorama national de la contamination, un chercheur en sciences politiques à l’université d’Angers, Gaspard Lemaire, a lancé une étude de cas précieuse mais difficile à mener. Il a ainsi sollicité toutes les ARS du pays. Huit lui ont répondu (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Grand-Est, Hauts-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur), permettant d’identifier 6 410 inconformités entre 2014 et 2024, et des dépassements de limites de qualité atteignant jusqu’à 1 400 fois le seuil fixé par la réglementation européenne.

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L’un des nœuds du problème est l’absence d’inventaire complet de l’état patrimonial du réseau d’eau français pourtant obligatoire depuis 2013. Celui-ci permettrait de connaître l’emplacement des secteurs défectueux et d’engager des opérations de purges ou de changement de canalisations. En 2020, le ministère de la Santé estimait qu’environ 140 000 km de canalisations étaient contaminées tandis que des chiffres fournis par certains services publics de l’eau parlent de 300 000 km de réseau concernés.

« Que ce soit sur la question des pesticides ou du CVM, toutes les petites collectivités sont en difficulté, faute de moyens humains et financiers. Par ailleurs, l’État n’invoque qu’un seul principe : l’eau paye l’eau. Pour eux, la solution pour régler les problèmes est d’augmenter le prix de l’eau. Mais ils n’évoquent jamais le principe de pollueur-payeur alors que quand même, l’origine de la pollution au CVM, c’est quand même les industriels de la plasturgie qui ont mis sur le marché des canalisations dont on a su après coup qu’elles polluaient. », s’indigne Hervé Conraux.

Nous sommes face à une double négligence donc nous pouvons engager la responsabilité de l’État pour carence fautive.

Me G. Gien

Pour Me Gabrièle Gien, la faute de l’État est évidente : « Le dénominateur commun est le ministère de la Santé qui n’a pas pris les mesures suffisantes ni pour se mettre en conformité avec les obligations de la directive de 1998, ni pour diffuser les informations à l’attention de la population. Nous sommes face à une double négligence donc nous pouvons engager la responsabilité de l’État pour carence fautive ».

Une plateforme nationale Mon Recours CVM a été mise en place par le cabinet Phusis Avocats, afin d’informer les citoyens sur cette contamination et leurs possibilités d’agir, que ce soit pour se faire indemniser en cas de contamination connue, ou pour obtenir la réalisation d’une analyse CVM dans une zone à risque.

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