Fin de vie : François Bayrou se range derrière le lobby conservateur
En déclarant vouloir « scinder » la réforme en deux volets, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide à mourir, le premier ministre rejoint les opposants religieux de ce texte, tournant le dos à plusieurs années de débats démocratiques.
Catholique pratiquant, François Bayrou l’est jusqu’à Matignon, où ses choix politiques, en théorie motivés par l’intérêt général, semblent guidés par sa foi toute personnelle. Le premier ministre en a fait l’ultime démonstration, mardi 21 janvier, lorsqu’il a affirmé aux députés macronistes sa volonté de « scinder » la réforme sur la fin de vie en deux parties : l’un sur le renforcement des soins palliatifs, l’autre sur l’aide à mourir.
Cette division figure depuis longtemps parmi les arguments des opposants à ce texte. Parmi lesquels, une grande partie de la galaxie religieuse, et notamment catholique, convaincue que l’aide à mourir ne peut être un soin, et qu’une telle pratique est contraire à leur conviction.
« Mesure de sagesse »
Cette annonce n’a fait que ravir des associations marquées par leur positionnement conservateur, voire réactionnaire. C’est le cas, par exemple, d’Alliances Vita. Présente à la marche contre l’IVG de dimanche 19 janvier, cette structure, créée en 1993 par Christine Boutin, est contre l’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel et la PMA. Son président, Tugdual Derville, a réagi sur X après les déclarations de François Bayrou en espérant que « le développement des soins palliatifs ne serve ni de caution ni d’excipient sucré au poison de l’euthanasie ».
Autre acteur très actif dans le mouvement dit « provie », qui se qualifie souvent de rempart face à de nouveaux droits menaçant la civilisation, le site Gènéthique a lui aussi repris l’information venant de François Bayrou. Son directeur de publication, Jean-Marie Le Méné, préside aussi la Fondation Jérôme Lejeune dont les recherches scientifiques sur les maladies génétiques s’accompagnent aussi d’une posture de « vigilance » dans un contexte où « l’accélération des progrès scientifiques et la pression idéologique posent à la société des interrogations fondamentales. »
Invité d’Ici Champagne-Ardenne, le président de la Conférence des Évêques, Éric de Moulins-Beaufort, s’est lui aussi montré rassuré. S’il ne qualifie pas la décision de François Bayrou de « victoire », il la voit toutefois comme « mesure de sagesse ». L’archevêque rappelle que son organisation insiste « beaucoup sur les soins palliatifs » et leur développement « en France comme dans tous les pays ».
Enthousiasme
Cette position n’est pas sans rappeler celle de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Farouchement opposée à tout texte sur l’euthanasie ou le suicide assisté, la Sfap mène un intense lobbying auprès des parlementaires sur la question de la fin de vie. L’organisation s’est félicitée de l’annonce venant de Matignon.
« Pour les organisations membres de ce collectif, cette décision est la bienvenue car elle permet d’apporter une réponse rapide aux urgences vécues par nos concitoyens », note un communiqué. La Sfap se réjouit que les soins palliatifs ne soient pas encadrés par un même texte comportant aussi l’agrandissement des droits en matière d’aide à mourir. « La séparation de l’ancien projet de loi ‘fin de vie’ en deux textes est essentielle », rappelle-t-elle.
L’enthousiasme de la Sfap a pu bénéficier, dès le lendemain, du porte-voix des médias de Vincent Bolloré. Le 22 janvier, Sonia Mabrouk recevait sur CNews et Europe 1, la présidente de l’organisation, Claire Fourcade, venue faire la promotion de son livre, Journal de la fin de vie. Un livre publié aux éditions Fayard, la nouvelle antenne de l’empire réactionnaire de l’industriel breton. La médecin s’est réjouie de la « crainte » d’un député de voir disparaître le texte sur l’aide à mourir, ne bénéficiant pas du soutien de Matignon. « Moi je dis que ce n’est pas une crainte, mais une chance ! », espère-t-elle, voyant clair dans la stratégie politique du maire de Pau.
C’est une manière d’enterrer l’aide à mourir.
S. Rousseau
En divisant le texte en deux lois distinctes, François Bayrou met toutes les chances du côté des soins palliatifs, dont le renforcement est souhaité par tous les partis politiques. L’avenir de l’aide à mourir est, lui, bien plus incertain. Réputé complexe, le sujet divise au sein même des groupes à l’Assemblée nationale. « Scinder le texte, c’est isoler la question de l’aide active à mourir. Et donc lever toutes les résistances sur cette question. Alors que travailler sur un même projet permettait de renforcer les deux volets en même temps », regrette la députée Écologiste, Sandrine Rousseau, en pointe sur le sujet avec ses collègues, Sébastien Peytavie et Julie Laernoes. « C’est une manière d’enterrer l’aide à mourir », pointe-t-elle.
De fait, le projet de loi, tel qu’il était présenté aux députés en juin, n’oubliait pas le renforcement urgent des soins palliatifs. Dans son chapitre premier, le texte proposait la création de maisons d’accompagnement pour accueillir des patients en fin de vie – soit de nouvelles structures entre le domicile et l’hôpital. Mais aussi la création d’unités en soin palliatifs (USP), qui manquent dans de nombreux départements.
Levée de boucliers
Surtout, elle regrette que François Bayrou tourne le dos à des centaines d’heures de débats parlementaires tenus au mois de juin. « Avant la dissolution, l’Assemblée nationale passait un cap politique important où les député·es arrivaient à prendre de la hauteur et construire ensemble », se rappelle-t-elle. Une scission qui vient même à l’encontre de la volonté initiale d’Emmanuel Macron, en faveur d’un projet global en 2024.
D’où les levées de boucliers venant de son propre camp, à l’instar de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a rappelé son opposition sur France 5, mardi 21 janvier. Tout comme la députée (Horizons) Agnès Firmin-Le Bodo, qui voudrait voir « un continuum » entre les deux volets initialement prévus dans le projet de loi discuté au printemps dernier. Celui qui en était son rapporteur, le député (divers gauche), Olivier Falorni, maintient lui aussi la pression. En septembre, l’élu de Charente-Maritime avait repris le texte sous la forme d’une proposition de loi transpartisane, signée par 235 député·es. « Il faut que cela soit maintenant et en même temps ! », a-t-il déclaré à France 3.
« Pourquoi les religions sont si écoutées alors que nous sommes dans un pays laïc ? »
En voulant séparer le texte en deux, François Bayrou tourne aussi le dos à la Convention citoyenne sur la fin de vie. Dans leur rapport rendu en avril 2023, les 184 citoyens tirés a sort s’étaient prononcés en faveur du développement des soins palliatifs et de l’ouverture, sous conditions, du suicide assisté et de l’euthanasie. Cette conclusion était le fruit de 27 jours de débats et de neuf sessions de travail.
« On est un peu surpris, voire dubitatifs », a indiqué la présidente de cette Commission, Claire Thoury, sur Franceinfo. Elle a souligné la nécessité « d’un texte unique » et a rappelé que la proposition de François Bayrou était « à rebours de ce que les citoyens de la Convention ont préconisé. »
Des préconisations que François Bayrou a toujours refusé d’entendre. Un mois après leur rapport, en mai 2023, Le Figaro écrivait que François Bayrou n’avait « pas apprécié » l’initiative du chef de l’État de réunir des citoyens pour qu’ils réfléchissent ensemble autour de la fin de vie. « La convention citoyenne, lieu où l’on éclaire les sujets, n’est pas investie par des électeurs du pouvoir de choisir. La transformer en chambre de vote, cela me pose question », avait-il jugé à l’époque.
On est les derniers en Europe à légiférer sur la fin de vie.
A. Vivien
Un an et demi plus tard, face au grand retour en arrière promis par Matignon, la vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, Anne Vivien, ne cache pas sa colère. « Je trouve cela indécent », lâche-t-elle. « Ces citoyens ont réalisé un travail très sérieux, nuancé, autour de l’articulation entre les deux textes. Emmanuel Macron avait promis un projet de loi juste après, il a mis un an à arriver. Et aujourd’hui, six mois après la dissolution, on revient au point de départ ? On est les derniers en Europe à légiférer sur la fin de vie, alors qu’une grande majorité des Français se prononcent pour un élargissement des droits des malades en fin de vie afin de leur autoriser à demander l’aide à mourir. »
Et finit par se demander : « Pourquoi les religions sont si écoutées alors que nous sommes dans un pays laïc ? ». Aux lobbys conservateurs, les voies de Matignon ne restent pas impénétrables.