Zuckerberg, Musk : la tech à droite toute !
Mark Zuckerberg, dirigeant de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) annonce un virage de modération suivant le modèle de Musk sur X. Ce tournant libertarien rapproche toujours plus les géants de la tech de l’extrême droite. Une dérive qui fragilise la démocratie et amplifie les discours haineux face à une Union européenne prête à riposter.
Mark Zuckerberg vient d’annoncer, dans une vidéo, un tournant stratégique majeur pour Meta, le groupe propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp qu’il dirige : la suppression du programme de fact-checking (1) au profit d’un système de « notes communautaires », inspiré du modèle d’Elon Musk sur X (ex-Twitter). Ce système permet aux utilisateurs d’ajouter des informations à des messages jugés trompeurs ou véhiculant des fausses informations.
Vérification des informations.
Cette décision s’accompagne d’un assouplissement important des règles de modération, notamment sur des sujets comme le genre. Présentés comme un retour aux « racines de la liberté d’expression », ils s’inscrivent dans un contexte de rapprochement croissant entre les plateformes numériques et des figures politiques comme Donald Trump.
Trump, Musk et Zuckerberg : une rhétorique commune
Elon Musk, Donald Trump et Mark Zuckerberg ont adopté une rhétorique commune autour de la liberté d’expression. Présentée comme un principe fondamental, cette liberté s’accompagne d’une tolérance accrue envers des contenus haineux. Par exemple, les récentes modifications des règles de modération de Meta permettent des propos stigmatisants à l’égard des minorités de genre ou sexuelles, sous prétexte de refléter les débats politiques et religieux.
Nous autorisons les allégations de maladie mentale ou d’anomalie lorsqu’elles sont fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle
C’est dans ce sens que des changements discrets ont été effectués au sein de la politique de Meta sur sa gestion des comportements haineux aux États-Unis. La phrase « Nous autorisons les allégations de maladie mentale ou d’anomalie lorsqu’elles sont fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle » est désormais mentionnée. Il sera dorénavant possible d’utiliser un « langage insultant » concernant les débats sur les « droits des transgenres, de l’immigration ou de l’homosexualité ». Dire qu’une femme n’a pas sa place dans l’armée ou qu’une personne trans ne devrait pas travailler dans l’enseignement est dorénavant tout à fait autorisé sous couvert de « liberté d’expression ». « Nos politiques sont conçues pour laisser une place à ce type de discours », explique Meta.
D’autres parties ont été supprimées. Dans la section des discours déshumanisants non autorisés, plusieurs lignes ont disparu. Des expressions telles que « certains objets (les femmes en tant qu’objets ménagers ou biens ou objets en général ; les Noirs en tant qu’équipement agricole ; les personnes transgenres ou non binaires en tant que « ça ») », semble, par exemple, désormais tolérées.
Une vision libertarienne de la liberté d’expression
Dans sa vidéo explicative, Mark Zuckerberg a justifié ces changements par un besoin de simplifier les politiques de contenu et de réduire les erreurs de modération. En réalité, ce virage aligne Meta sur la vision de Musk et les intérêts de l’administration Trump. Tous les deux critiquent les régulations qu’ils considèrent comme une forme de censure. Ces figures revendiquent une opposition commune aux efforts des gouvernements pour réguler les discours en ligne.
Pour eux, la « liberté d’expression » doit primer, même au risque d’amplifier des discours haineux. L’abolition des partenariats avec les médias de fact-checking renforce cette orientation. Avec les « notes de la communauté », déjà présentes sur X, ce sont les utilisateurs qui jugent de la véracité d’une information et non des professionnels. Mises en place dès 2021 et généralisées depuis 2023, ces notes sont souvent des lieux de batailles politiques et militantes sur X où l’utilisateur devient modérateur à sa façon.
L’utilisation quotidienne moyenne globale de mots-clés haineux a presque doublé.
Pour preuve, six mois après le rachat de Twitter par Elon Musk, des chercheurs dévoilaient « que l’utilisation quotidienne moyenne globale de mots-clés haineux a presque doublé ». Une autre étude publiée fin 2024 par le Centre de lutte contre la haine en ligne (CCDH) montre que Elon Musk a publié des déclarations fausses ou trompeuses sur l’élection présidentielle américaine entre le 1er janvier et le 23 octobre 2024, avec deux milliards de vues.
Le ralliement à Trump
Le rapprochement entre Meta et le discours de Trump illustre une tendance plus large d’alliance entre les géants de la tech avec des leaders politiques de droite et d’extrême droite. Meta et X ont ainsi contribué au financement de l’investiture de Trump en 2025. Elon Musk a donné 75 millions de dollars pour soutenir le candidat.
Après avoir dîné avec Trump dans son complexe hôtelier de Mar-a-Lago en novembre, Mark Zuckerberg, a via Meta, fait un don d’un million de dollars à un fonds d’investiture pour le président élu. Selon le média Axios, le PDG d’Apple, Tim Cook, a fait un don de la même somme. Ce soutien marque un revirement majeur, la Silicon Valley ayant massivement combattu Trump en 2016.
Musk et l’extrême droite européenne
Attaque contre notre élection.
En Europe, Elon Musk affiche son soutien à l’extrême droite. Jeudi 9 janvier 2025, le milliardaire a diffusé un entretien en direct avec la coprésidente du parti allemand d’extrême droite, Alice Weidel. « Seul l’AfD peut sauver l’Allemagne. », a-t-il ainsi affirmé. Le même jour, l’hebdomadaire allemand Stern, a publié en couverture un photomontage de Musk et de Poutine avec comme titre : « Attaque contre notre élection. »
En se positionnant comme des alliés stratégiques, ces géants de la tech gagnent un accès privilégié aux cercles de pouvoir. Les contributions financières et les ajustements politiques montrent que ces entreprises sont prêtes à utiliser leur influence pour sécuriser des environnements favorables à leurs activités. Un pari gagnant pour Elon Musk alors que Donald Trump a déclaré son intention de le nommer à la tête d’un tout nouveau ministère dédié à « l’efficacité gouvernementale ».
Le président élu a déclaré que cette initiative aiderait son administration à « démanteler la bureaucratie gouvernementale, à réduire les réglementations excessives, à diminuer les dépenses inutiles et à restructurer les agences fédérales ». Ces alliances montrent une continuité dans la stratégie des mastodontes de la tech : intégrer des sphères de pouvoir politique pour renforcer leur emprise économique.
Depuis plusieurs semaines, le propriétaire de X s’est aussi lancé dans une violente charge contre le premier ministre britannique, Keir Starmer, du Parti travailliste. Le 16 décembre 2024, Nigel Farage, leader du parti d’extrême droite Reform UK, posait fièrement aux côtés d’Elon Musk sous un portrait de Donald Trump. Selon plusieurs médias, Elon Musk s’apprêterait à injecter 100 millions de dollars dans son parti anti-immigration pour l’aider à s’imposer comme principale force d’opposition face aux travaillistes.
Une stratégie anti-européenne
Internationale réactionnaire.
Zuckerberg et Musk partagent une opposition commune aux régulations européennes, notamment le Digital Services Act (DSA) entré en vigueur en 2023. Ces lois, perçues comme un frein à l’innovation, sont décrites par Zuckerberg comme « institutionnalisant la censure ». Ce positionnement renforce l’émergence d’une « internationale réactionnaire » reliant les cercles nationalistes et les mastodontes de la tech, comme l’a discrètement expliqué Emmanuel Macron le 6 janvier 2025.
L’Europe tente depuis des années de défendre une vision alternative du numérique fondée sur la protection des utilisateurs. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a récemment insisté sur la nécessité pour la Commission européenne de renforcer sa fermeté face à ces « menaces d’ingérence ».
Les algorithmes, outils du capitalisme numérique
Les algorithmes des plateformes jouent un rôle central dans cette dynamique. Conçus pour maximiser l’engagement, ils favorisent les contenus violents et haineux. Cette tendance renforce les discours extrêmes et réduit la possibilité de débats nuancés sur les plateformes. L’impact de ces algorithmes dépasse aujourd’hui le cadre des réseaux et influençant directement les débats publics, voir les résultats électoraux. Les contenus polarisants ne sont pas seulement une conséquence involontaire : ils constituent une stratégie intentionnelle pour maximiser le temps passé en ligne et les interactions.
Plaintes contre X
La lutte entre l’Europe et les géants de la tech prend une dimension géopolitique, opposant deux visions de la régulation du numérique : une approche européenne axée sur la responsabilité et une stratégie libertarienne américaine prônant la dérégulation. Jean-Noël Barrot a déclaré que si la Commission européenne ne parvenait pas à protéger efficacement les États membres contre ces ingérences, la France pourrait envisager des mesures nationales pour préserver son espace public démocratique. Comprendre, fermer les tuyaux et donc l’accès à ces plateformes.
De son côté, la députée européenne Aurore Lalucq – par ailleurs présidente de la commission des affaires économiques du Parlement – a saisi l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, d’une plainte contre X, le 9 janvier 2025, accusant Elon Musk de manipuler les algorithmes pour favoriser ses idées personnelles. D’après Le Point, elle accuse le milliardaire de mettre en avant massivement ses messages attaquant des gouvernements européens et soutenant l’extrême droite. L’eurodéputée s’interroge sur une possible manipulation des algorithmes de X à des fins personnelles, invoquant le Digital Services Act (DSA) qui impose aux plateformes de modérer les contenus illicites.
Des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’entreprise.
Cette plainte s’ajoute à une enquête de la Commission européenne sur les manquements de X en matière de désinformation de décembre 2023. Huit mois plus tard, la Commission a informé X de son avis préliminaire selon lequel la plateforme enfreint le règlement sur les services numériques (DSA) dans les domaines liés aux interfaces truquées, à la transparence de la publicité et à l’accès aux données.
« Cette décision pourrait entraîner des amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’entreprise et la Commission pourrait ordonner à X de prendre des mesures pour remédier à l’infraction. Pour l’ancien commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, l’interdiction en Europe de la plateforme X est même « légalement possible ».
Une alternative possible ?
Des plateformes décentralisées comme Mastodon tentent de proposer des modèles échappant à cette logique, mais elles restent marginales face aux géants de la tech. Une de ces alternatives à X a fait parler d’elle dernièrement après une arrivée massive d’utilisateurs : Bluesky, créée par le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, est devenue un refuge prisé des utilisateurs ayant quitté X. Le réseau peut se vanter d’avoir presque 27 millions d’inscrits, même si ce nombre reste faible comparé aux 400 millions d’utilisateurs supposés de X. Depuis son rachat par Elon Musk, X ne communique plus officiellement sur son nombre d’utilisateurs.
À l’heure où X/Twitter est instrumentalisé jusque dans l’algorithme par Elon Musk à des fins politiques, X est devenu dangereux pour les démocraties.
Avec la réélection de Trump et la décadence accélérée de X, de nombreux utilisateurs, entreprises et média ont fait le choix de quitter l’ancien oiseau bleu pour Mastodon et Bluesky. En France, le mouvement #HelloQuitteX (en référence au personnage d’Hello Kitty) pousse les utilisateurs à migrer le 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump. Des outils y sont mis à disposition pour faciliter au maximum le changement. Le mouvement explique dans son manifeste : « À l’heure où X/Twitter est instrumentalisé jusque dans l’algorithme par Elon Musk à des fins politiques, X est devenu dangereux pour les démocraties ».
Le virage idéologique de Meta et X représente bien plus qu’un simple repositionnement stratégique. Il traduit une volonté assumée d’influencer les débats publics en faveur d’une vision libertarienne de la liberté d’expression, quitte à désinformer massivement et à normaliser les discours haineux.