Agriculture : tout savoir sur un scrutin décisif
Le monde agricole doit élire ses représentants syndicaux jusqu’au 31 janvier. Des élections professionnelles qui favorisent depuis des décennies l’hégémonie de la FNSEA à la tête des chambres d’agriculture. Décryptage.
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© Maxime Sirvins
Mise à jour le 11 février 2025
Selon les premiers résultats des élections professionnelles agricoles pour le collège 1 (chefs d’exploitation et assimilés), l’alliance FNSEA-JA conserve la majorité des chambres d’agriculture, mais n’a pas remporté 50 % des voix au niveau national. La surprise vient de la Coordination rurale, qui remporte 14 chambres : l’Indre-et-Loire, le Cher, la Dordogne, la Charente, la Charente-Maritime, la Gironde, les Ardennes, la Lozère, le Tarn, le Loir-et-Cher, le Gard, le Gers ainsi que la Vienne, la Haute-Vienne et le Lot-et-Garonne, déjà acquises en 2019. La Confédération paysanne n’a gagné que les chambres de l’Ardèche et de la Guyane, et conserve provisoirement la chambre de Mayotte. En Corse, c’est la liste A l’iniziu una terra, soutenue par la Confédération, qui l’emporte.
Première publication le 23 janvier 2025
Depuis plus d’un an, les mobilisations du monde agricole ont créé un bouillonnement sur tout le territoire. Une révolte multiforme que les principaux syndicats agricoles ont tenté de ne pas lâcher, voire de récupérer, en vue des élections professionnelles, qui ont lieu jusqu’au 31 janvier.
Quels rôles jouent les chambres d’agriculture ?
Une chambre départementale est composée de 33 personnes élues : 18 par le collège des exploitant·es agricoles et les 15 restantes par neuf autres collèges, notamment les salariés agricoles, les coopératives agricoles, les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) les caisses du Crédit agricole, les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA), les retraités, etc.
Les chambres d’agriculture ont des missions concernant l’installation des agriculteurs, la formation sur les aides européennes, le conseil agricole notamment sur le développement durable des territoires ruraux, l’agroécologie, la préservation des ressources naturelles et la lutte contre le changement climatique.
Les chambres restent un instrument d’orientation des politiques agricoles mais ne sont qu’un maillon.
S. Brunier
« Mais quand on regarde l’organisation générale de l’agriculture, c’est avant tout la politique agricole européenne, et l’action des opérateurs économiques qui ont un poids déterminant pour le quotidien des agriculteurs. Là dessus, les chambres d’agriculture n’ont aucun pouvoir », tempère Véronique Lucas, sociologue rurale à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
« Les chambres restent un instrument d’orientation des politiques agricoles mais ne sont qu’un maillon, et probablement pas le plus déterminant. Par exemple, sur certains territoires, où sont implantées des grosses coopératives céréalières ou laitières, les conseillers des coopératives ont plus de poids sur les orientations techniques et économiques que les conseillers chambres », complète Sylvain Brunier, sociologue et historien, chargé de recherche au CNRS et au Centre de sociologie des organisations (CSO), à Sciences Po.
Quel est le mode de scrutin des élections pro ?
C’est un scrutin majoritaire à un tour. Le syndicat arrivé en tête de l’élection – pour le collège des exploitants agricoles – obtient d’emblée la moitié des sièges, même si cela se joue à quelques voix près. L’autre moitié des sièges est répartie selon le nombre de voix de chaque syndicat. Lors des dernières élections, la liste FNSEA˗JA est arrivée en tête du collège des exploitants, avec 51,89 % des suffrages, puis venait la liste Coordination rurale avec 20,17 % des voix, puis la liste Confédération paysanne avec 18,66 % des votes, et enfin la liste Modef avec 1,39 %.
Résultats : la FNSEA a dirigé 97 chambres d’agriculture sur les 102 alors qu’ils n’ont obtenu que 55 % des voix tous collèges confondus. Cette prime majoritaire est dénoncée par les syndicats minoritaires qui ont du mal à avoir voix au chapitre. La Confédération paysanne réclame une « rénovation de la démocratie agricole » et plus de proportionnelle. Un rapport de l’Assemblée nationale publié en 2020 affirmait que « le mode de scrutin limite le pluralisme ». Même écho du côté de la Cour des Comptes en 2021 : « l’évolution de la gouvernance pourrait enfin favoriser la pluralité syndicale. » Une mécanique électorale qui est un verrou considérable.
Mais ouvrir la réflexion sur une réforme du mode de scrutin est un sujet éminemment politique, potentiellement explosif. « Quand la gauche est arrivée au pouvoir au début des années 1980, les syndicats minoritaires n’étaient même pas reconnus comme des interlocuteurs des pouvoirs publics. Rien que la reconnaissance de la pluralité syndicale a déjà créé des tensions, certains refusant de siéger pendant des mois, raconte Sylvain Burnier. Aujourd’hui, on pourrait poser les mêmes questions concernant la représentativité des salariés. En effet, le système accorde trois fois plus de représentants au collège patronal qu’au collège salariés alors que sur le plan démographique, nous sommes loin de ce ratio. »
La Cour des comptes avait même recommandé en 2017 de refondre le collège des anciens exploitants, moins enclin à la transition écologique, et à ouvrir les chambres d’agriculture à la société civile que ce soient des industries agroalimentaires, des associations de protection de l’environnement, de défense des consommateurs ou des élus locaux. En 2019, le journaliste spécialisé Gilles Luneau appelait même à transformer les chambres d’agriculture en « parlements de la nature et de la nourriture ».
Pourquoi cette élection est-elle un enjeu majeur pour l’avenir de l’agriculture française ?
Parmi les enjeux majeurs pour le monde agricole, deux sont préoccupants : le renouvellement des générations et la mise en œuvre de la transition agroécologique. Or, les chambres d’agriculture sont encore des outils pour ces deux volets intrinsèquement liés.
L’évolution vers des agricultures plus écologiques demande plus d’agriculteurs et agricultrices donc plus d’installations.
V. Lucas
« Aujourd’hui l’évolution vers des agricultures plus écologiques demande plus d’agriculteurs et agricultrices donc plus d’installations pour remplacer ceux qui sortent du métier, au contraire de la tendance actuelle favorisant l’agrandissement des fermes restantes… De plus, le nombre de sièges en chambre détermine les mandats de représentation de la profession agricole à la Safer et dans les commissions qui délivrent les autorisations d’exploiter, donc cela peut jouer un rôle important pour influer vers un contexte plus favorable à l’installation ou à l’agrandissement des fermes », explique Véronique Lucas.
À l’échelle nationale, les représentants des chambres d’agriculture sont, par exemple, présents au sein du comité de suivi du plan Écophyto – qui régit la réduction de l’usage des pesticides.
Ces élections ont aussi des conséquences financières pour les syndicats. Une règle simple et déterminante : plus une organisation récolte de voix, plus elle obtient des financements. En effet, le budget de 14 millions d’euros prévu par le ministère de l’Agriculture pour le fonds destiné au financement des syndicats est réparti en fonction des résultats : 75 % en fonction du nombre de voix obtenues et le reste en fonction du nombre de sièges.
« Les représentants jouent quand même un rôle dans les orientations agricoles, et sont aussi des interlocuteurs privilégiés des services de l’État comme les préfets. Il y a aussi un effet politique symbolique déterminant car parler avec son mandat de représentant de chambre d’agriculture est aussi une manière de parler pour tous les agriculteurs, de faire passer l’idée d’un discours unanime du monde agricole, et de construire sa visibilité au niveau national », ajoute Sylvain Brunier.
Ce scrutin intéresse-t-il toujours autant les agriculteurs ?
Plus de deux millions de personnes sont appelées à voter par courrier ou par voie électronique, afin d’élire pour six ans les représentant·es des 88 chambres agricoles départementales, interdépartementales et territoriales, dont cinq en outre-mer. Deux exceptions : en Île-de-France et en Corse, les électeurs voteront directement pour la chambre régionale.
« Nous constatons un mouvement de désaffection syndicale depuis quelques années, mais aussi un mouvement de plus en plus fort d’abstentionnisme aux élections professionnelles. Et un ressentiment qui augmente et pourrait aussi aller contre les syndicats », commente Véronique Lucas. En 2019, le taux de participation est passé pour la première fois sous la barre des 50 % (46 %) alors qu’il était de 54% en 2013 et de 65,5% en 2007. Dans une enquête menée en 2024 auprès de 1 434 chefs d’exploitation par l’économètre Pierre-Henri Bono et le sociologue François Purseigle, près de 30 % des agriculteurs ne se déclarent proches d’aucune organisation syndicale.
L’hégémonie de la FNSEA-JA peut-elle être remise en cause ?
Historiquement, la FNSEA a toujours dominé ces élections, devant la Coordination rurale et la Confédération paysanne. En 2019, elle avait obtenu 97 chambres sur 101 avec son allié les Jeunes Agriculteurs tandis que la Coordination rurale en avait conquis trois (Vienne, Haute-Vienne, Lot-et-Garonne) et la Confédération paysanne une seule (Mayotte).
Avec les manifestations, nous sommes depuis plus d’un an dans une séquence préélectorale. C’est assez inédit.
V. Lucas
Pour Sylvain Brunier, le maillage historique de la FNSEA a joué un rôle clé : « Les FDSEA avaient des représentants dans chaque canton, animaient des réunions, proposaient des services… De plus, leurs liens très étroits avec les politiques publiques ont instauré un effet de guichet non négligeable pour rendre service à des agriculteurs ou débloquer des situations rapidement. »
Même si la population agricole décroît, cette omniprésence de la FNSEA et des JA est encore réelle et importante. Mais leur discours unitaire tenu depuis les années 1950 tend à s’effriter. Comment comprendre aujourd’hui qu’ils défendent de la même façon de grands céréaliers et de petits éleveurs ? Un vote protestataire pourrait émerger cette année, notamment parce que c’est la profession la plus inégalitaires et hétérogène du pays.
Pour Véronique Lucas, ces élections vont permettre aux syndicats de se compter mais il ne faudra pas en tirer des conclusions trop hâtives : « Avec les manifestations, nous sommes depuis plus d’un an dans une séquence préélectorale. C’est assez inédit. Les syndicats ont donc pris davantage d’initiatives pour ne pas se faire déborder et ont sélectionné dans les motifs de revendications et de propositions politiques, ceux qui sont le moins susceptibles de faire débat au sein de leur électorat potentiel donc ce mouvement social ne peut pas être le seul pour comprendre les véritables problèmes qui se posent au monde agricole français aujourd’hui. » Résultats à partir du 6 février.
Pour aller plus loin…
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