Incendies en Californie : les stars d’abord
Certains médias ont préféré s’émouvoir du sort des villas des vedettes plutôt que parler des personnes plus vulnérables ou d’écologie. Première chronique en partenariat avec le site Arrêt sur images.
dans l’hebdo N° 1845 Acheter ce numéro
Des incendies d’une ampleur gigantesque dévastent la région de Los Angeles aux États-Unis. Vingt-quatre morts, 130 000 personnes évacuées, plus de 9 000 bâtiments et maisons détruits par des feux dévorants, portés par des vents extrêmement puissants, et un foyer d’incendie plus important que la superficie totale de Paris : c’est la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la ville.
De nombreux habitant·es de Los Angeles ont tout perdu. On peut lire, dans Le Monde, le témoignage de voisins qui ont vu tout leur quartier brûler ; d’un couple à la retraite qui a fui avec sa chèvre pour seule possession. Des Français expatriés dans la Cité des anges témoignent également, par exemple sur BFMTV : eux aussi ont vu leur maison partir en flammes.
Les stars font partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles.
Mais ce n’est pas sur ces gens que se focalise une partie de la couverture médiatique française de la catastrophe. C’est, bien sûr, sur les paillettes de Hollywood et les répercussions de l’incendie sur les stars françaises. « Patrick Bruel annonce que sa maison est ‘partie en fumée’ » (BFMTV) ; « ‘Je suis dévastée’ : la villa de Laeticia Hallyday détruite par les flammes à Los Angeles » (Le Parisien) ; « Le ‘cœur brisé’, Paris Hilton a vu en direct ‘sa maison brûler à la télévision’ » (TF1) ; « ‘On a tout perdu’ : Laeticia Hallyday pleure la destruction de sa maison dans l’incendie de Los Angeles » (BFMTV, encore) ; « Tom Hanks, Anthony Hopkins, Ben Affleck… ces stars d’Hollywood évacuées ou dont la maison a brûlé à cause des incendies » (Le Parisien, encore).
Trompeur
Alors, oui : si même les stars de Hollywood sont touchées par la catastrophe climatique – car ces incendies hors normes sont avant tout causés par la crise climatique : c’est la sécheresse extrême qui les a déclenchés –, peut-être qu’elles vont enfin mettre leur influence mondiale au service de la lutte contre le réchauffement. Ou peut-être pas : elles font, après tout, partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles et la production excessive de CO2.
Mais, dans tous les cas, les mettre ainsi en avant comme les grandes victimes de cette catastrophe est trompeur : Laeticia Hallyday n’a pas vraiment « tout perdu ». Patrick Bruel a vu brûler son « autre refuge », ce qui signifie que ça n’est pas son « refuge » principal. Paris Hilton n’est pas la seule à avoir « le cœur brisé », mais tout l’espace médiatique qu’elle occupe ne sera pas dédié aux milliers d’inconnu·es qui n’ont pas la chance d’être né·es héritier·ères et pour qui la perte est bien plus colossale.
Plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday (…) qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es.
D’autant plus qu’il y a quelques mois, des compagnies d’assurances ont modifié les contrats de milliers d’habitant·es de la région de Los Angeles – dont beaucoup de gens à Pacific Palisades, le quartier qui a presque entièrement été détruit par les flammes – pour des questions de risques… d’incendie. Ces gens ont tout perdu et ne toucheront même pas les assurances pour lesquelles ils ont cotisé pendant des années. Et n’ont pas la fortune des stars pour reconstruire leur vie ailleurs.
Double traitement
Cette avalanche de témoignages d’habitant·es désespéré·es d’avoir perdu leur toit, on ne l’a pas autant observée dans les médias quand Mayotte se relevait tant bien que mal du cyclone Chido. La catastrophe était pourtant aussi destructrice, et la population dans une situation bien plus précaire. Mais on ne voit pas Mayotte sur nos écrans de cinéma : plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday, ou de « Français expatriés » qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es, apparemment.
C’est le fameux « double traitement médiatique » occidental, celui qui s’illustrait au début de la guerre en Ukraine en 2022 dans les propos d’un journaliste de BFM : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime […]. On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie. » Saupoudrez ces « Européens qui sont comme nous » de quelques paillettes hollywoodiennes, et vous obtenez la couverture française des incendies de Los Angeles.
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