« La Peur », une Église sans silence
À travers le portrait en mouvement d’un prêtre, la pièce de François Hien propose une enquête complexe et passionnante sur les ressorts de la pédocriminalité au sein de l’Église et de sa dissimulation.
La Peur. Du 24 janvier au 16 février au Théâtre de la Tempête à Paris.
Avec la double programmation à Paris de La Peur et de La Crèche : mécanique d’un conflit en début 2025 – la première au Théâtre de la Tempête du 24 janvier au 16 février, la deuxième au Cent-quatre du 8 au 10 février –, l’auteur et metteur en scène François Hien sort avec éclat de la relative confidentialité où évoluait jusque-là son travail. Ces deux créations de sa compagnie lyonnaise L’Harmonie communale offrent un riche aperçu de sa démarche très exigeante, faisant du théâtre un espace d’exploration de la complexité des grandes questions sociales et politiques de l’époque.
À rebours d’une tendance théâtrale très forte à la pédagogie et aux bonnes intentions, François Hien tient à déployer au plateau tous les points de vue possibles sur le même sujet. Soit une fiction adaptée de l’histoire vraie de Baby-Loup dans La Crèche, où la question du port du voile agite toute une communauté. Et, dans La Peur, le parcours d’un prêtre, lui aussi librement inspiré d’un fait réel : le procès du cardinal Barbarin, accusé de n’avoir pas révélé des actes de pédocriminalité dont il avait connaissance.
Distance et épure
Nul Barbarin sur le plateau de La Peur, simplement occupé par une grande table et un banc, mais un père Guérin incarné par Arthur Fourcade, qui cosigne aussi la mise en scène du spectacle. Ce nom inventé permet à François Hien d’instaurer la distance ténue avec le réel qu’il recherche dans chacun de ses spectacles. C’est ainsi qu’il peut déplier, avec une impressionnante précision et autant d’épure, la pensée de chaque protagoniste, de toutes les institutions impliquées dans les affaires sensibles, qui aiguisent son désir de théâtre.
Nourries par des sources multiples telles que Sodoma de Frédéric Martel, enquête sur l’homosexualité dans l’Église, les analyses du prêtre et théologien ouvertement homosexuel James Alison ou encore les témoignages de victimes recueillis par l’association La Parole libérée, les propos des différents personnages participent d’une recherche de vérité totale. Les mots d’un cardinal dissimulateur (Marc Jeancourt), d’une victime qui cherche à briser le silence du père Guérin ou encore de son ancien amant marocain et de sa sœur forment un passionnant paysage social où la condamnation de la violence n’élude aucune complexité ni n’empêche les nuances.