En finir avec la surenchère sécuritaire et la surpopulation carcérale

À la suite des derniers chiffres records de surpopulation carcérale et des dernières annonces du nouveau garde des Sceaux, l’Observatoire international des prisons (OIP) exprime, à travers son président Matthieu Quinquis, sa vive préoccupation.

• 16 janvier 2025
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En finir avec la surenchère sécuritaire et la surpopulation carcérale
Mur d'une prison française, à Villeneuve-les-Maguelone.
© Xavier Malafosse / Wikipédia CC BY-SA 1.0

L’année 2024 s’est achevée sur une note amère. Les derniers chiffres publiés sont désastreux : 80 792 personnes enfermées au 1er décembre, un nouveau record. Et les projections de l’administration pénitentiaire sont glaçantes : plus de 86 000 en 2027 si les dynamiques actuelles se poursuivent (1). On enferme toujours plus, toujours plus longtemps, dans des conditions toujours plus dégradées et maltraitantes.

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« Inflation carcérale, Durcir les peines, remplir les prisons », Florence de Bruyn, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, mars 2024.

Dans certaines prisons, la température est de l’ordre de 13 °C cet hiver. Les nuisibles grouillent. Les établissements sont délabrés. Les carences en termes d’accompagnement sont titanesques et les conditions de détention reconnues indignes par les instances nationales et internationales. Pour près de sept personnes détenues sur dix, dont toutes celles en attente de jugement et donc présumées innocentes, l’enfermement est d’environ vingt-deux heures sur vingt-quatre dans une cellule de neuf mètres carrés, entassées à plusieurs.

Au 1er décembre, la moyenne d’occupation des maisons d’arrêt frôle 157 %. À Majicavo (à Mayotte), il approche le taux effarant de 324 %. Au total, 4 255 personnes ne disposent pas d’un vrai lit et dorment sur un matelas posé à même le sol.

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À rebours des discours politiques démagogiques, le durcissement pénal ne répond pas à une augmentation des faits de délinquance subis par les ménages. La Cour des comptes l’affirmait il y a un an, l’administration pénitentiaire il y a six mois : « Les chiffres de la délinquance n’expliquent pas la croissance du nombre de personnes détenues. »

Cette dernière répond principalement, précise l’administration, à « deux contextes conjoncturels » : les crises économiques, avec la hausse du nombre de personnes précaires « pour lesquelles, à infraction égale, des peines de prison fermes sont plus fréquemment prononcées », et « les périodes où prédomine le thème de l’insécurité dans l’actualité médiatique ». Mi-décembre, le service statistique ministériel de la Justice indiquait que six personnes sortant de prison sur dix récidivent dans les quatre ans.

Les politiques pénales actuelles fabriquent la récidive et conduisent à de nouvelles victimes.

En enfermant toujours plus dans une réalité déshumanisante et sans avoir les moyens d’accompagner dignement et individuellement, les politiques pénales actuelles fabriquent la récidive et conduisent à de nouvelles victimes. Le cercle vicieux est infernal, et la construction de nouvelles places de prison et le durcissement des peines – seules propositions politiques portées durant ces deux derniers quinquennats – ne cessent de l’alimenter, au détriment de la société tout entière.

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Plutôt que d’aborder ces problèmes structurels urgents et de traiter leurs causes, Gérald Darmanin s’engouffre à peine nommé ministre de la Justice dans cette voie avec de très inquiétants effets d’annonce : construction de prisons, allongement des peines, isolement en masse de personnes condamnées dans le cadre d’infractions liées aux stupéfiants, ou encore multiplication des fouilles. Ces mesures déconnectées de la réalité carcérale, pour certaines contraires au droit, vont à l’encontre des recommandations des institutions nationales et internationales, et des alertes récurrentes de nombreux·ses expert·es du monde pénitentiaire.

Avec une véritable volonté politique, il est possible de réagir rationnellement face à l’urgence d’une situation explosive.

Plusieurs dizaines d’entre elleux dénonçaient fin octobre cette fuite en avant : « L’argent public est gaspillé dans une surenchère sécuritaire aux effets désastreux. » (2) De fait, le projet stratégique et budgétaire de l’administration pour 2025 consiste à frôler une dette de 5,4 milliards d’euros (3) pour dépasser 164 % d’occupation moyenne dans la majorité des prisons (4). Face à une dette record, il est grand temps de penser le sens de la peine et la réintégration des personnes détenues dans la société à leur sortie de prison.

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Somme des loyers du titre 5 dus au titre des contrats de partenariat (667,3 millions) et les crédits relatifs aux opérations immobilières (4,7 milliards). Source : Administration pénitentiaire, Projet annuel de performances, Annexe au projet de loi de finances pour 2025.

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Ibid.

Il y a quatre ans, il y avait 18 000 personnes détenues de moins et le taux d’occupation national des prisons était proche des 100 %. Les mesures exceptionnelles de libérations anticipées dans le cadre de la crise sanitaire montraient qu’avec une véritable volonté politique il est possible de réagir rationnellement face à l’urgence d’une situation explosive. Le drame de la surpopulation carcérale impose aujourd’hui de faire de même.

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Il n’y a rien à inventer : alternatives à la prison, aménagements de fin de peine, limitation de la détention provisoire ou encore suppression des comparutions immédiates. Il faut lutter contre la désinformation de masse pour permettre à toutes et tous de penser le système pénitentiaire à partir de ce qu’il est et de ce qu’il produit. Il faut substituer les faits à l’idéologie sécuritaire qui, fondée sur aucune donnée chiffrée tangible, s’auto-alimente en nourrissant dans l’opinion publique un sentiment d’insécurité croissant.

Il faut accepter que le risque zéro n’existe pas, cesser cette politique dictée par les faits divers dramatiques.

Il faut accepter que le risque zéro n’existe pas, cesser cette politique dictée par les faits divers dramatiques mais isolés, tirer des leçons de nos échecs structurels et s’inspirer de ce que nous ou d’autres pays avons su mettre en place en faveur d’une vie en société plus apaisée. Et, surtout, retrouvons notre capacité à nous indigner face à l’indigne commis en notre nom. Pour que 2025 soit une année riche en luttes contre des politiques pénales coûteuses, contre-productives et attentatoires aux droits humains.

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