À la recherche de la grande coalition…
Pour maintenir aux affaires le bloc central, rassembler droite et gauche dans un même gouvernement ne garantit plus une majorité parlementaire, encore moins dans le peuple.
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© Ludovic MARIN / POOL / AFP
La France se trouve dans une situation de blocage. Les institutions de la Ve République qui devaient nous en préserver ne sont plus efficientes en la matière. La situation n’est pas inédite chez nos voisins européens. Elle s’y est vérifiée dans d’autres pays, où la simple constitution de gouvernements tourne à la gageure et au parcours du combattant. Et ceci sans parler de la durabilité et de la stabilité des gouvernements ainsi péniblement constitués.
Le stratagème a ses limites
Ce blocage politique correspond à ce que certains ont théorisé, avec plus ou moins de justesse, comme l’ère de la « démocratie minoritaire ». Il était évident depuis belle lurette que les gouvernements ne pouvaient s’appuyer sur une quelconque adhésion majoritaire au sein du corps civique et électoral. Minoritaires dans le peuple, ils s’en remettaient à des majorités parlementaires engendrées par des modes de scrutin les permettant de manière plus ou moins artificielle. Une étape fut ensuite franchie quand les gouvernements devinrent minoritaires au sein de la représentation parlementaire où aucune majorité n’émergeait de manière claire. À ce compte, ce sont les conditions mêmes de l’expression démocratique qui ne sont alors plus réunies : respect de l’expression populaire, respect des engagements programmatiques, possibilité de l’alternance, etc.
La France se pensait immunisée contre ce rétrécissement démocratique, avec sa tradition de clivage idéologique, de bipolarisation et d’antagonismes politiques.
Le recours au stratagème de la grande coalition, dans lequel majorité et opposition supposées s’entendent pour gouverner, a permis dans un premier temps d’y remédier. L’Allemagne l’a incarnée, quand d’autres pays s’y livraient de manière moins médiatisée. Mais la grande coalition devint insuffisante à dégager des majorités mêmes relatives ou de circonstances, tant la démocratie minoritaire progressait. Avec l’éloignement d’une véritable alternance relevant davantage de l’alternative que du « pareil au même » (en fait la déclinaison de la seule politique possible inspirée du TINA thatchérien), la grande coalition se retrouvait dans l’incapacité d’offrir une majorité à un quelconque gouvernement s’en réclamant.
Le tour de passe-passe du macronisme
La France se pensait immunisée contre ce rétrécissement démocratique, avec sa tradition de clivage idéologique, de bipolarisation et d’antagonismes politiques. Pourtant la montée de l’abstentionnisme et le désamour croissant des partis institutionnels dominants auraient dû alerter. Ceux qui le firent en utilisant la notion de « dégagisme » ne furent pas suffisamment pris en compte. C’est pourtant de cela qu’il s’agissait réellement.
Dans cette optique, peu prirent la mesure de la nature fondamentale de l’élection présidentielle de 2017 en France. En quelque sorte, la grande coalition se réalisa sans qu’on s’en soit vraiment aperçu. Car l’opération ne s’est pas effectuée par le rassemblement de forces politiques anciennes, quoique plus ou moins moribondes, la droite incarnée par Les Républicains et la social-démocratie portée par le Parti socialiste. Mais elle se constitua, par un concours de circonstance incroyable, que d’autres qualifieraient de tour de passe-passe savamment orchestré par les oligarchies en recherche d’un plan B, après les naufrages des deux quinquennats précédents censés incarner l’alternance démocratique, ceux de Nicolas Sarkozy et de François Hollande), au bénéfice d’un seul homme, Emmanuel Macron.
Celui-ci se substitua en effet au bipartisme générateur d’alternances sans alternatives. Une telle aventure relevant de la mystification et de l’imposture ne pouvait cependant pas être durable. Il faut bien que les masques tombent pour que le réel reprenne ses droits.
Il convient de rappeler un fait politique ultérieur considérable qui n’a pas été suffisamment relevé. En 2022, Emmanuel Macron fut le seul président, élu ou réélu, à ne pas être capable d’obtenir une majorité parlementaire stable un mois après son succès à la présidentielle. Pourtant le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral présidentielle-législatives depuis 2002 était censé assurer des majorités stables au locataire de l’Elysée. La situation s’est même aggravée après le coup de poker de la dissolution en 2024 qui se traduisit par le recul du camp présidentiel.
L’élargissement jusqu’au RN
Devant l’instabilité illustrée par la censure du gouvernement Barnier et la précarité du gouvernement Bayrou, le bloc central recherche désespérément de nouvelles formes de grande coalition. La synthèse macronienne de 2017 a tenu le temps d’une législature, cinq années caractérisées par des députés godillots. Il tente désormais d’expérimenter d’autres expédients avec le concept de non-censure proposé à ses différentes marges et autres périphéries. Cela semble fonctionner avec la droite républicaine, acquise à la formule, moyennant quelques maroquins et une droitisation assumée de ses orientations programmatiques. L’offensive est déclenchée sur sa gauche à l’attention du Parti socialiste, avec d’illusoires négociations pourtant vouées à l’échec contre une promesse de non-censure.
Toutes les carambouilles sont valables pour permettre le maintien aux affaires du bloc central, quelle que soit son appellation.
D’autres opérations de séduction existent, de manière forcément moins visibles car s’adressant au Rassemblement national. Les glissements au moins sémantiques en témoignent incontestablement, si besoin était. Le premier ministre François Bayrou ne s’est-il pas laissé aller à utiliser l’expression de « submersion migratoire » ? La nomination à des ministères régaliens comme Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, sans parler de Manuel Valls, en témoigne également. À tel point que les députés d’extrême droite se muent en béquille du gouvernement. Car l’élargissement rendu nécessaire de cette forme de grande coalition passe par l’intégration, sous une forme ou une autre, de l’extrême droite. Sans doute une resucée de « Monsieur Hitler plutôt que le Front Populaire » ?
Toutes les carambouilles sont valables pour permettre le maintien aux affaires du bloc central, quelle que soit son appellation, socle commun ou grande coalition dissimulée. Quand bien même elles éloignent et récusent les revendications et les préoccupations de la majorité de la population.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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