Pass culture :  l’action culturelle et artistique en danger

Alexandre Sepré dénonce le coup de rabot sur la part collective du Pass culture destinée aux collèges et aux lycées.

• 10 février 2025
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Pass culture :  l’action culturelle et artistique en danger
© Felix Ngo / Unsplash

La part collective du Pass culture destinée aux collèges et aux lycées vient de subir un coup de rabot, dont les chefs d’établissement ont été prévenus par mails les 30 et 31 janvier. Ne restent plus que 50 millions d’euros à se partager entre tous jusqu’à juin. Cette annonce brutale met un coup d’arrêt à de multiples projets d’action culturelle impliquant artistes et publics scolaires.


Je m’appelle Alexandre Sepré dit « HDW », j’ai 36 ans. Je suis artiste slameur professionnel et pédagogue. Je paie mes factures en écrivant, en jouant et en donnant des ateliers dans les structures sociales, médicales, carcérales et surtout scolaires. Je suis très fier de ce que je fais.

La découverte du slam en 2009 à l’âge de 20 ans a été une bouffée d’épanouissement dans ma petite vie de provincial isolé. Cela m’a permis de faire des rencontres, de découvrir des lieux et des façons de faire qui m’étaient étrangères. Alors en 2011, après deux ans à écumer les scènes et les ateliers slam de l’Ouest, j’ai décidé de lancer ma propre activité pédagogique en parallèle de mes spectacles. D’abord pour le complément financier (soyons honnêtes) puis très rapidement par intérêt humain. Partager sa passion et théoriser sa propre pratique pour mieux la transmettre se sont révélés bien plus intéressants que venir jouer puis repartir juste après.

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En octobre 2018, après cinq années de précarité, j’accède au statut d’intermittent du spectacle. C’est l’assurance de toucher enfin un revenu décent un tant soit peu proportionnel au travail fourni. Du moins, c’est ce que je pensais naïvement. Sept mois plus tard, c’est le burn-out. Il sera suivi de quatre épisodes de surmenage au cours des années suivantes. Un par an à l’exception de 2020. Je vous laisse deviner pourquoi.

En 2019, après une formation professionnelle, j’accède à l’agrément de l’Éducation nationale pour mes activités pédagogiques. En 2022, après six mois d’instruction administrative, je suis référencé sur la plateforme Adage (part collective du Pass culture), censée faciliter les connexions entre établissements scolaires et équipes artistiques. Dans la pratique, c’est plus lourd. Elle demande une implication du corps enseignant, des directions (parfois peu coopératives) et des validations à obtenir dans les temps. C’est un peu flou et on se demande où se situent les droits du travail dans ce mécanisme complexe. Bien que financée par l’État, la plateforme reste privée.

Tant pis pour les projets en cours, tant pis pour les élèves, tant pis pour les cachets des artistes.

Le 30 janvier dernier, le ministère de l’Éducation nationale annonce par son intermédiaire et sans aucune concertation le gel des crédits de ces actions culturelles. Traduction de la langue de bois : « Il reste 50 millions d’euros jusqu’à juin. Une fois ce montant de réservation dépassé, on ferme jusqu’en septembre. » Tant pis pour les projets en cours, tant pis pour les élèves, tant pis pour les cachets des artistes.

L’annonce est un choc. Enseignant·es et artistes se précipitent sur la plateforme pour tenter de valider leurs projets en cours. En vain, pour la plupart. J’ai réussi à passer entre les gouttes. Mais pour combien de temps ? J’ai pu constater à quel point l’accès à la culture est un formidable levier d’émancipation pour les élèves. Ces rencontres artistiques stimulent leur expression, renforcent leur confiance en eux et développent leur esprit critique, autant d’éléments essentiels à leur éducation.

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Au gel des crédits de l’action culturelle s’ajoute celui de la part collective du Pass culture, qui menace directement l’action culturelle. Ce dispositif permettait aux établissements scolaires, notamment ceux situés en territoires ruraux ou défavorisés, d’organiser des projets culturels riches et accessibles. Sa suppression brutale privera de nombreux élèves d’une ouverture à l’art et à la culture, renforçant ainsi les inégalités. Cette décision impacte aussi gravement les artistes et professionnels du secteur qui, comme moi, consacrent leur énergie à la transmission et à l’éducation.

C’est toute une vision de l’éducation artistique et culturelle qui est remise en cause.

Après des années d’engagement, mon statut d’intermittent est désormais fragilisé, tout comme celui de nombreux collègues. Plus largement, c’est toute une vision de l’éducation artistique et culturelle qui est remise en cause. Je vous appelle à défendre le maintien de la part collective du Pass culture et à porter la voix des artistes et des enseignant·es qui œuvrent chaque jour pour une éducation plus juste et plus inspirante.

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