« Bonjour l’asile », une politique de l’accueil
Judith Davis invente un lieu utopique au gré d’un film généreux, fantaisiste et très sérieux.
dans l’hebdo N° 1850 Acheter ce numéro
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© UFO Distribution
Bonjour l’asile / Judith Davis / 1 h 47. En salle le 26 février.
Reprendre. Reprendre encore. Le cinéma de Judith Davis est celui de la reprise. Dans son premier long métrage, Tout ce qui me reste de la révolution (2019), on réinvestissait le sens des mots, depuis longtemps usé, galvaudé. L’actrice-réalisatrice, sous la peau du personnage principal, tentait aussi de remettre son corps à l’endroit, en équilibre, à la manière d’un Buster Keaton contemporain dans un monde bouleversé.
Un asile où tout ce qui touche à l’humain doit pouvoir être abordé, de manière collective.
C’est ce monde-là – plus abîmé encore six ans plus tard – qu’ambitionne de reprendre Bonjour l’asile, pour le rendre plus supportable et, pourquoi pas, meilleur. Parce qu’on a tout laissé partir à vau-l’eau, parce que le rapport de force face aux puissances capitalistes mortifères n’a pas été maintenu. Énorme ambition malgré la modestie des moyens, qui passe par l’élaboration d’une utopie.
Inutile de chercher le sujet que traite Bonjour l’asile, il y en a mille, même si certains sont plus saillants que d’autres : le poids du patriarcat dans le couple, la désintoxication des relations interpersonnelles, l’amitié entre femmes, le fonctionnement du collectif, les échanges avec la nature… Judith Davis n’a pas peur de la profusion. C’est d’ailleurs la vocation de cet asile où tout ce qui touche à l’humain doit pouvoir être abordé, de manière collective, avec empathie et bienveillance.
Humour et dialectique
Son nom : l’HP, sigle d’Hospitalité permanente. Jeanne (Judith Davis), l’un des personnages, travaille au sein d’une association dont le nom, Comme une histoire, fait aussi entendre le mot « communiste ». La cinéaste a le sens du jeu de mots, et du jeu tout court. Il y a quelque chose d’extrêmement ludique dans son HP, notamment en la personne de sa directrice, un ancien militaire travesti en femme et répondant au nom de Cindy (Simon Bakhouche), à la fois blagueuse et tendre, et concoctant des philtres miraculeux.
Mais le jeu est sérieux et tout en dialectique. C’est ainsi que le mode de vie instauré par l’HP oscille entre fantaisie et responsabilité. Par exemple, on cause avec un arbre imposant, appelé « Grosse Mama », à qui on fait des offrandes de shots de vodka, mais c’est aussi de cette façon qu’on se raccorde réellement aux arbres et aux êtres non humains. De la même façon, le film a le parfum du conte, rehaussé par l’architecture du bâtiment qui abrite l’HP, un château ancien qui, au cinéma, rappelle celui de La Belle et la Bête de Cocteau, ou de Peau d’âne de Demy. Mais il a également les deux pieds bien ancrés dans le réalisme.
L’intrigue ? Jeanne et Élisa font des livres ensemble mais sont éloignées. Jeanne est restée citadine ; Élisa (Claire Dumas) et son compagnon, Bastien (Maxence Tual), se sont installés avec leur jeune enfant à la campagne, près d’un tiers-lieu, l’HP. Jeanne se rend auprès de son amie pour quelques jours. Mais entre l’obsédée du travail et la mère de famille absorbée par les tâches ménagères, le torchon brûle.
Œuvre-monde
L’une après l’autre, elles se retrouvent à être hébergées par l’HP, la première pour des raisons pratiques, la seconde parce que sa mauvaise conscience lui apparaît comme par (dés)enchantement – c’est elle-même, mais dans une version ridiculement viriliste – et la pousse à prendre le large du foyer familial. Par ailleurs, autour de l’HP rôde Amaury (Nadir Legrand), chargé de persuader ses occupants de le vendre pour en faire un complexe touristique. En vain, ce qui le rend malade car il est sous la pression de la famille de sa femme, Victoire (Mélanie Bestel), de grands bourgeois pour qui tout est monnayable.
Bonjour l’asile est une œuvre-monde, un film du lien – rien n’est segmenté, tout est intégré et partie prenante – et un spectacle joyeux. Avec des séquences de grande émotion, comme celle, rarement vue au cinéma (pas davantage dans la réalité !), où deux hommes se prennent dans les bras parce que l’un des deux réapprend l’abandon du réconfort. Ce cinéma-là est aussi porté par un groupe, la compagnie L’Avantage du doute, que Judith Davis a fondée avec ses camarades actrices et acteurs du film. De là vient une énergie singulière, combattante, cohérente. Et, pour nous, très réjouissante.
Pour aller plus loin…
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