« A Real Pain », le voyage en Pologne

Jesse Eisenberg signe une comédie qui ne manque pas de gravité.

Christophe Kantcheff  • 25 février 2025 abonné·es
« A Real Pain », le voyage en Pologne
Un film souriant par politesse et qui approche, mine de rien, des abymes.
© Walt Disney Studio

A Real Pain / Jesse Eisenberg / 1 h 30.

Le cinéma est aussi une affaire de doigté. On connaît la fameuse « Lubitsch touch ». À voir A Real Pain, son deuxième long métrage, on pourrait également invoquer la « Jesse Eisenberg touch », toute proportion gardée. L’acteur de The Social Network et de Night Moves, passé derrière la caméra, signe en effet une comédie dans un contexte grave avec une grande subtilité.

David (Jesse Eisenberg) et Benji (Kieran Culkin), deux cousins qui, dans l’enfance, étaient comme deux frères, sont chacun devenus l’antithèse de l’autre. Le premier est policé, a un boulot sans intérêt, habite Brooklyn avec femme et enfant. Le second est oisif, marginal et brut de décoffrage. Leur grand-mère adorée vient de mourir. C’est pour honorer sa mémoire qu’ils se retrouvent pour un voyage particulier : destination la Pologne, sur les lieux où elle a vécu le martyr, car, juive polonaise, elle a été détenue à Majdanek, un camp d’extermination d’où elle a eu la chance de sortir.

Ligne de crête

Pour le ressort comique, le cinéaste joue sur le contraste de personnalité entre les deux cousins, David étant souvent mis mal à l’aise par le franc-parler de Benji. Même si son comportement est parfois limite, ce dernier a un naturel (il se moque des conventions sociales) et une sensibilité exacerbée qui surprennent.

La comédie de caractères s’amorçant au début est donc bien plus sérieuse qu’elle n’en avait l’air.

Par exemple, la drôlerie d’un épisode tient au fait que Benji ne supporte pas d’être assis dans un train en première classe eu égard aux conditions de déportation que les juifs ont subies. Parce qu’il est fantasque et touchant, il a une capacité à charmer quiconque, et en particulier les membres du groupe participant comme eux au voyage organisé vers le souvenir de la Shoah.

C’est là toute l’intelligence du film, aux accents parfois « woody-alleniens », qui joue sur deux régimes. Le premier est celui de la tragédie historique, en arrière-plan jusqu’à ce que les protagonistes arrivent au camp de Majdanek – visite que Eisenberg filme avec la retenue nécessaire et en éteignant toute musique (la bande-son est par ailleurs trustée par Chopin, à la fois cliché « touristique » et réelle splendeur romantique). Le second se situe au plan individuel et au présent : que peut-on confier de son mal existentiel avec, précisément, la Shoah en ombre portée ? David se sent empêché quand Benji y donne libre cours.

La comédie de caractères s’amorçant au début est donc bien plus sérieuse qu’elle n’en avait l’air. Avançant sur une ligne de crête sans tomber dans le pathos ni dans le mauvais goût, A Real Pain est un film souriant par politesse et qui approche, mine de rien, des abymes.

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Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes