« Les fils qui se touchent » : SOS mémoire du peuple
Nicolas Burlaud mêle souvenirs personnels et collectifs.
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© Fonds Masharawi & Coorigines Production
Les fils qui se touchent / Nicolas Burlaud / 1 h 19.
Nicolas Burlaud se retourne sur son passé. Un effet de la crise de la cinquantaine ? D’un genre particulier : le réalisateur est soudain en proie à l’épilepsie, qui l’oblige à passer des IRM du cerveau. Avec l’aide de médecins, il découvre que son hippocampe a une anomalie. Or cette structure cérébrale joue un rôle déterminant dans l’élaboration de la mémoire. Et voici le réalisateur plongeant dans ses souvenirs et, dans un geste plus large, s’interrogeant sur la façon dont une mémoire collective s’édifie et se transmet.
Pour ce faire, il s’appuie sur les archives considérables que constituent vingt-cinq années d’existence d’une télévision locale à Marseille due au collectif Primitivi, fondé par Burlaud et qu’il anime encore aujourd’hui. Une télévision attentive aux quartiers pauvres, aux habitants des cités, aux populations précaires, aux étrangers, aux minoritaires.
Intime et politique liés
Les fils qui se touchent : excellent titre ! Il dit bien le choc que représente une crise d’épilepsie à la manière d’une électrisation. Il décrit aussi la forme que le cinéaste donne à son film, qui tresse ces trois fils conducteurs : le fonctionnement de son cerveau, les grandes étapes de sa vie (qu’il évoque notamment avec des photos, comme la naissance de l’un de ses enfants) et des reportages de Primitivi. Dont un sur un loto organisé en 2013 pour défendre un carnaval populaire attaqué par la police, ou un autre montrant l’intérieur d’appartements moisis rue d’Aubagne, quelques années avant l’effondrement tragique de 2018.
Au vrai, les fils font plus que se toucher : ils s’interpénètrent. Chez Burlaud, vie privée et vie professionnelle ont tendance à se confondre, l’intime et le politique sont profondément liés. Ce qui donne aux Fils qui se touchent, premier long métrage de son réalisateur, cette émotion devant laquelle, comme le dit un scientifique, les neurosciences, elles, sont perdues.
Un autre aspect du film questionne la fragilité de la mémoire collective des dominé·es. Burlaud accompagne ainsi un homme qui décrypte, à la manière d’un archéologue du contemporain, les rares traces laissées dans l’espace public par des manifestations d’habitants. C’est passionnant et cela donne aussi une idée de l’utilité du travail de Nicolas Burlaud.
Pour aller plus loin…
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