« Presence », au-delà du dispositif

Le nouveau film de Steven Soderbergh lie avec maestria drame familial et film de fantômes.

Pauline Guedj  • 4 février 2025 abonné·es
« Presence », au-delà du dispositif
Prouesse technique, réflexions sur la mise en scène, Presence réussit toutefois à dégager une vraie puissance émotionnelle.
© Peter Andrews / The Spectral Spirit Company

Presence / Steven Soderbergh / 1 h 25.

Lorsque le scénariste Jean-Claude Carrière évoquait son ami Louis Malle, il expliquait : « II n’y a pas deux films de Louis qui se ressemblent. On a d’ailleurs pu lui reprocher qu’il ne soit pas un auteur au sens où il n’y aurait pas dans son œuvre de continuité. Mais Louis Malle était un chercheur et, dans chaque film, il essayait d’explorer un terrain nouveau. »

Cinéaste révélé, comme Louis Malle, au Festival de Cannes – c’était en 1989 pour Sexe, mensonges et vidéo –, Steven Soderbergh partage avec son aîné cette versatilité, ce goût pour la recherche qui, s’il ne l’empêche pas de développer des approches et des thèmes précis, fait parfois de lui un réalisateur difficile à catégoriser. Dans sa carrière, semblent s’opposer des films à succès (la trilogie des Ocean’s, Erin Brockovich, Contagion) et des créations à plus petit budget qui se déploient autour de dispositifs de mise en scène, de montage ou de narration.

Presence, trente-cinquième long-métrage de Steven Soderbergh, avec son décor unique et ses onze jours de tournage, s’inscrit dans cette seconde tendance. À l’origine du projet, une expérience personnelle, une présence surnaturelle qui se serait invitée chez les Soderbergh à Los Angeles, et une interrogation : à quoi pourrait ressembler une mise en récit dont le filmage adopte intégralement le point de vue d’un fantôme ?

Lorsque Presence débute, nous sommes donc à l’intérieur d’une maison bourgeoise du New Jersey, habitation dont nous percevons les différentes pièces, la texture des sols et des murs, les accès vers l’extérieur, par le biais d’une caméra subjective. Une jeune femme se gare puis pénètre dans la maison avec fougue – elle est en retard – avant d’être rejointe par une famille, le père, la mère et deux adolescents.

Suivent alors une série de vignettes plus ou moins longues lors desquelles le fantôme expose les nouveaux habitants de la maison et rend compte de leurs actions. Son regard véhiculé par la caméra prend plusieurs formes. À certains moments, la caméra, qui se veut témoin, garde une distance avec les protagonistes. À d’autres, elle se meut en personnage agissant, échangeant avec eux. Parfois, elle use des éléments, des objets qui l’entourent – les verres, du jus d’orange, des livres et des lampes –, réalités matérielles qui lui permettent d’influencer le cours du récit. Parfois, enfin, elle se dissimule, par peur ou pudeur, dans les placards ou dans les escaliers.

La nature du regard

Dispositif oblige, Soderbergh a dû, pour ce film, expérimenter avec une nouvelle caméra permettant de toujours coller aux perspectives de son fantôme. Le jeu fluide induit par cette méthode pousse constamment le spectateur à s’interroger sur la nature du regard qu’il suit. Nécessairement actives, ses interrogations se complexifient lorsqu’il prend en compte les spécificités techniques de la réalisation : comme à son habitude, c’est bien Soderbergh lui-même qui cadre, jouant cette fois-ci au fantôme, réglant son regard et ajoutant à ses casquettes habituelles de réalisateur, chef opérateur, monteur et cadreur celle de personnage.

C’est avec douceur que la présence du fantôme révèle les réalités contemporaines d’une famille américaine.

Prouesse technique, réflexions sur la mise en scène, Presence réussit toutefois à dégager une vraie puissance émotionnelle. L’alliage entre exploration des chaos d’une famille et film de fantômes est une combinaison bien connue, au cœur de propositions aussi différentes que le Beetlejuice de Tim Burton ou Hérédité d’Ari Aster, lequel a souvent décrit son film comme un drame modelé en film d’horreur. Chez Soderbergh, pourtant, la présence du fantôme ne provoque aucun sursaut.

Bien au contraire, c’est avec douceur qu’elle révèle les réalités contemporaines d’une famille américaine, les conflits et incompréhensions qui la divisent, l’obsession de certains pour la performance, la dictature du paraître et la menace des addictions et du harcèlement. Lorsqu’il filme les adolescents, Soderbergh parvient à radiographier leurs troubles et leurs traumas. C’est dans cette mise en image que le film glace et inquiète.

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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes