Défaire la ploutocratie
Un impôt plancher sur les fortunes, inspiré des travaux de Gabriel Zucman et soumis à l’Assemblée par les députées Clémentine Autain et Eva Sas, ne serait qu’un retour à un ordre naturel des choses : reprendre ce qui a été volé à la communauté.
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© Guillaume Deleurence
Les députées Clémentine Autain et Eva Sas proposent « un impôt plancher sur la fortune » (IPF) pour contrer l’évitement fiscal des ultra-riches, ces 0,01 % qui paient proportionnellement moins d’impôts que le reste de la population française. Voté en commission des finances, le texte passe en plénière de l’Assemblée nationale le 20 février. Les députées s’inspirent des travaux de Gabriel Zucman, qui ont été aussi défendus au G20 par le Brésil en février 2024 (1).
Gabriel Zucman, « A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals », 25 juin 2024.
Cet impôt se calcule comme la différence entre 2 % de la fortune patrimoniale (immobilière et professionnelle) supérieure à 100 millions d’euros et les impôts déjà versés (impôt sur le revenu, CSG, CRDS, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, impôt sur la fortune immobilière). L’Institut des politiques publiques (IPP) souligne que, pour les 0,1 % les plus riches, l’imposition globale devient régressive, chutant de 46 % à 26 % pour les 0,0002 % les plus fortunés (2).
Laurent Bach et al., « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », note IPP n° 92, 2023, urls.fr/WPway5
Depuis 2017, les inégalités de revenus et surtout de patrimoine n’ont cessé de croître. Par ailleurs, selon un rapport d’Oxfam France (3) publié en septembre 2024, les 0,1 % des héritiers les plus riches reçoivent en moyenne 13 millions d’euros, soit 180 fois l’héritage médian, et ne paient qu’environ 10 % d’impôts sur ces montants.
Le XXIe siècle ressemble au XIXe : une ploutocratie gouverne à la place du peuple, en détournant les principes de la démocratie. Nous sommes dans une situation paradoxale où le déficit budgétaire est alimenté par la baisse des impôts des plus fortunés, qui bénéficient en plus d’aides publiques sans contreparties. Macron a, depuis 2017, pratiqué un « keynésianisme de droite » : augmentation des dépenses publiques, baisse de la fiscalité des entreprises, transformation de l’ISF en IFI, flat tax, tout en multipliant les niches fiscales.
Menace sur les démocraties
Ce phénomène est mondial et atteint son paroxysme aux États-Unis avec un gouvernement de milliardaires et sa figure de proue, Elon Musk. Placé à la tête du nouveau département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE) états-unien, il est chargé de réduire les dépenses publiques alors qu’il n’aurait jamais atteint une telle fortune sans les commandes de la Nasa. En France, la première fortune, Bernard Arnault, polytechnicien dont les études ont été payées par l’État français, a commencé à bâtir son empire LVMH en dépeçant le groupe Boussac grâce à des aides publiques.
Face à une planète victime du productivisme, les capitalistes n’ont pas perdu de leur avidité.
Le capitalisme a changé de nature par rapport au XIXe siècle, mais, face à une planète victime du productivisme, les capitalistes n’ont pas perdu de leur avidité, et la ploutocratie menace à nouveau les démocraties. L’extraction de la plus-value devient plus complexe et les capitalistes ont étendu leur domaine d’exploitation, du travail à l’usine à celle de la nature et surtout à tous les biens communs que les États ont développés au XXe siècle.
L’impôt plancher sur les fortunes n’est qu’un retour à un ordre naturel des choses : reprendre ce qui a été volé à la communauté. Et c’est pour cela que même une partie de la droite républicaine comprend qu’il est nécessaire de l’établir pour éviter l’avènement de la ploutocratie, qui précède souvent le fascisme dans l’histoire.
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