Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête

L’ex président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) est au cœur de l’enquête sur l’intoxication au plomb de plusieurs ouvriers sur le chantier de l’Opéra royal du Château de Versailles. Révélations.

Pierre Jequier-Zalc  • 6 février 2025 abonné·es
Mise en danger d’autrui, subornation de témoins… François Asselin, ex CPME, dans la tempête
François Asselin, lors d'une conférence sociale au Conseil économique, social et environnemental (CESE) à Paris, le 16 octobre 2023.
© Miguel MEDINA / POOL / AFP

Il a passé la main, comme si de rien n’était, le 21 janvier dernier. Les articles annonçant son départ – prévu – de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), à la tête de laquelle il s’est trouvé pendant 10 ans, dépeignent un homme important du paritarisme français, loyal défenseur des PME. Des portraits élogieux qui n’évoquent jamais le procès où François Asselin comparaîtra comme prévenu, du 10 au 12 février à Versailles.

Pour cause, et de manière assez inexplicable, le nom de ce dernier ne ressort jamais dans la très maigre couverture médiatique de l’affaire des ouvriers lourdement intoxiqués au plomb sur le chantier de restauration de l’Opéra royal du château de Versailles en 2009. Les rares articles évoquent, au maximum, le nom de sa société – pourtant éponyme, mais jamais le patron des petits patrons.

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Celui-ci ne serait-il alors qu’à la marge de cette histoire ? Loin de là. François Asselin est bien au cœur de l’enquête. Pas moins de trois infractions différentes lui sont reprochées – ainsi qu’à un de ses employé, chef d’agence, Éric G. au point qu’il est sans doute celui qui risque les peines les plus lourdes. Contacté et interrogé sur l’ensemble des points de cet article, François Asselin n’a pas répondu à nos questions, assurant qu’il « réserverai[t] [s]es réponses au tribunal comme cela se doit en matière pénale ». Il est présumé innocent.

En premier lieu, la société Asselin est, au moment des faits, l’entreprise utilisatrice des cinq ouvriers intérimaires intoxiqués au plomb, avec des niveaux atteignant plus de six fois le maximum réglementaire. En sa capacité d’employeur, elle a l’obligation d’assurer la sécurité et la santé de ses travailleurs.

Manquements « manifestement délibérés »

Or, il résulte des investigations qu’aucune mesure adaptée n’a été prise pour protéger les ouvriers du risque plomb : pas de système d’aération adapté, pas d’équipements individuels spécifiques de protection des salariés, absence de contrôle de l’exposition des travailleurs aux agents, dits CMR – qui ont, à moyen ou long terme, des effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction -, pas de mise en place de surveillance médicale, pas de formation adaptée. La liste de manquements « manifestement délibérés » soulevée par l’enquête est longue comme le bras.

Pour affirmer que ces manquements sont « manifestement délibérés » – une notion juridique qui augmente la peine encourue en cas de culpabilité, le juge d’instruction note que François Asselin « ne pouvait valablement ignorer que [ce chantier] était sujet au plomb ». C’est d’ailleurs un point qui interroge tout particulièrement : comment est-il possible qu’aucune mesure n’ait été prise pour prévenir et/ou éliminer ce risque pourtant courant dans le patrimoine ancien – dans laquelle la société Asselin est spécialisée depuis 1957 ?

On nous avait acheté des masques FFP2, pour les poussières de bois, ce qui est largement sous dimensionné.

Thierry B.

« On nous avait acheté des masques FFP2, pour les poussières de bois, ce qui est largement sous dimensionné pour le plomb qui nécessite des équipements beaucoup plus conséquents », raconte Thierry B, intérimaire et responsable du chantier de l’Opéra royal pour Asselin, intoxiqué au plomb et du côté des parties civiles dans cette affaire.

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L’enquête va même plus loin. En ne prenant pas les mesures pour protéger ses salariés, la société Asselin, son PDG et son numéro 2, auraient aussi « exposé autrui, notamment les autres ouvriers travaillant sur le chantier, à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une utilisation ou une infirmité permanente ». « Qui sait combien de personnes ont vraiment été intoxiquées ? Moi, étant chef d’équipe, j’étais moins au contact de la poussière et pourtant j’ai été intoxiqué », questionne Thierry B., qui a été exposé à des niveaux de plomb plus de quatre fois supérieur au maximum « normal ».

« Faux témoignage »

Surtout, c’est la manière de réagir François Asselin qui interroge sur les méthodes du patron des petits patrons. Selon de nombreux témoignages récoltés par les enquêteurs, celui-ci aurait demandé à son chef d’agence – également poursuivi pour les mêmes faits –, d’obtenir auprès d’intérimaires des attestations mensongères visant à disqualifier le témoignage du lanceur d’alerte, Didier Andrieu, menuisier intérimaire et premier à avoir porté plainte.

« Après que Didier a fait des examens prouvant son intoxication, j’ai reçu un appel d’Éric G. me demandant de faire un faux témoignage. Je devais me désolidariser de Didier et écrire qu’il ne portait pas ses équipements de protection – ce qui est totalement faux », assure Thierry B.

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Une pratique répétée sur un autre intérimaire, où la société Asselin est même encore allée plus loin. En effet, Éric G. s’est rendu sur le chantier de cet intérimaire pour lui faire signer cette attestation. « Cette attestation signée le 12 novembre 2009 par Mehdi* sur son lieu de travail et alors qu’il travaillait en qualité de travailleur temporaire et craignait de perdre son emploi, apparaît mensongère et met sur le compte des travailleurs les manquements avérés de l’employeur », assène, dans l’ordonnance de renvoi, le juge d’instruction.

*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Au cours de l’enquête, François Asselin assure ne pas être au courant des pratiques de son employé. Pourtant, le juge d’instruction ne croit pas qu’Éric G. ait agi seul, sans aucune directive de la part de son patron. Encore plus troublant, Thierry B. affirme avoir reçu un appel de François Asselin en personne, quelques jours après avoir refusé de réaliser ladite attestation. Une première pour cet intérimaire qui n’avait, jusqu’alors, croisé que quelques fois le patron de l’entreprise, lors de visites de chantier.

« Il m’a dit qu’il se passerait de mes services »

« Il m’a dit que désormais, il se passerait de mes services. Je bossais pour eux, en tant qu’intérimaire, depuis sept ans. Il m’a fait comprendre que c’était terminé », affirme Thierry B. Depuis ce coup de téléphone, plus jamais ce dernier n’a travaillé pour la société Asselin. Une peine qui n’aura pas attendu 16 ans.

Blessures involontaires avec incapacité totale de travail (ITT) supérieure à trois mois par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail, mise en danger d’autrui et complicité de subornation de témoin, les infractions retenues contre l’ex-président de la CPME sont lourdes et nombreuses. Il risque, au maximum, trois ans d’emprisonnement et plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende.

Pour éviter au maximum la médiatisation de ce procès, François Asselin a aussi tenté de trouver des arrangements financiers avec les plaignants. Si certains ont accepté, Didier Andrieu et Thierry B., eux, ont décliné. Le second conclut : « Ça fait 16 ans que cette procédure dure. Je ne fais pas ça pour l’argent. Mais pour que les responsabilités soient établies et les coupables, désignés ». Le procès démarre ce lundi 10 février, au tribunal de Versailles. Il durera trois jours.

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