« Aux États-Unis, l’existence des personnes trans pourrait être rendue impossible »

Alors que Donald Trump multiplie les décrets transphobes, Maud Royer, présidente de l’association Toutes des femmes et autrice de Le Lobby transphobe (Textuel, 2024) revient sur le poids que ces décisions peuvent avoir dans le contexte français.

Hugo Boursier  • 4 février 2025 abonné·es
« Aux États-Unis, l’existence des personnes trans pourrait être rendue impossible »
Manifestation pour les droits des personnes trans, à Londres, en avril 2022.
© Karollyne Videira Hubert / Unsplash

Maud Royer est présidente de l’association Toutes des femmes, qui défend les femmes, les personnes trans et cisgenres, et l’autrice de Le Lobby transphobe (Textuel, 2024). Elle analyse la manière dont les mesures prises par Donald Trump peuvent influencer le camp conservateur en France sur la question des transidentités.

Pendant toute sa campagne, Donald Trump a multiplié les discours transphobes, allant jusqu’à vouloir « stopper le délire transgenre », fin décembre. Dès son investiture, il a signé plusieurs décrets, imposant notamment une redéfinition fédérale du sexe. Comment observez-vous ces mesures ?

Maud Royer : C’est l’aboutissement d’une campagne contre les droits des personnes trans qui est menée, en réalité, depuis une dizaine d’années par les conservateurs mais qui a surtout explosé pendant le mandat de Joe Biden. En effet, dans les États conservateurs, avant même l’élection de Donald Trump, de nombreuses lois ont été votées pour attaquer directement les personnes trans. Soit des mineur·es, dans l’éducation, soit dans l’accès à la santé. Un suivi a été réalisé par le site Translegislation : il montre que de quelques dizaines de textes transphobes en 2019, on est passé à plus de 600 pour l’année 2024. Ce que fait Donald Trump, aujourd’hui, est la poursuite au niveau fédéral d’un mouvement initié sur le terrain par les États conservateurs américains.

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En quoi ces attaques contre les droits des personnes trans ont-elles inspiré le camp réactionnaire en France ?

Dès 2021, au printemps, on assiste à deux événements participant à donner de la visibilité aux arguments transphobes. D’une part, la création d’un certain nombre de petites organisations, comme L’Observatoire de la petite sirène, qui fonctionnent comme des lobbys auprès du ministère de la santé, de l’éducation et des parlementaires. D’autre part, la captation de ces sujets par l’extrême droite, avec des prises de position de la part d’Éric Zemmour et de Valeurs actuelles. L’aboutissement de ce mouvement, c’est la proposition de loi des sénateurs LR, en juin 2024, visant à interdire les transitions de genre pour les mineurs. Ce texte, adopté au Sénat en première lecture, constitue une véritable attaque des droits des personnes trans.

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Cet écosystème transphobe s’est-il réjoui des décisions de Donald Trump ?

Évidemment, avec plus ou moins de difficultés pour celles et ceux qui, il y a seulement quelques années, étaient considéré·es comme des personnalités de gauche. C’est le cas de Caroline Eliacheff, qui a créé l’Observatoire de la petite sirène, et qui a longtemps été perçue comme une personnalité de gauche avant de travailler, aujourd’hui, avec Les Républicains. Ou de Marguerite Stern, ancienne féministe qui assume désormais de publier un livre dans une maison d’édition d’extrême droite. Ce camp-là applaudit aujourd’hui les décisions du président américain.

Quand on attaque le droit à accéder au soin, les personnes sont forcées de détransitionner.

Quelles sont les répercussions sur la santé des personnes trans quand on attaque leur droit ?

Quand on attaque le droit à accéder au soin, les personnes sont forcées de détransitionner. Ce qui a très souvent des conséquences graves, puisque cela pousse les personnes trans à dégrader fortement leur santé mentale, en les plongeant dans la dépression ou en augmentant le risque de suicide. Mais ce sont aussi des attaques pour accéder à un travail, au logement, à l’éducation. Ce qui apparaît en filigrane avec la criminalisation en cours aux États-Unis, c’est l’impossibilité d’exister en tant que personne trans dans l’espace public.

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Cette volonté de rendre impossible l’existence même des personnes trans est-elle contenue dans la décision de Donald Trump d’effacer la lettre « T », désignant les transgenres, dans les politiques soutenant la lutte contre les discriminations envers les LGBT ?

Cette invisibilisation dans les politiques publiques, c’est un outil administratif pour s’assurer qu’il n’y ait plus de possibilités pour les personnes trans de se défendre en cas de discriminations. Quand je parle de répression dans l’espace public, ce n’est pas seulement de l’invisibilisation : ce sont des arrestations et des mesures qui criminalisent le simple fait d’être trans. De la même manière que les personnes trans ou homosexuelles étaient arrêtées dans les bars par des policiers américains dans les années 1960. Les émeutes de Stonewall (N.D.L.R. : une série de manifestations à partir de juin 1969 lancées après des raids policiers) ont commencé de cette manière-là. Cette répression est aujourd’hui visible en Russie.

Les victoires parlementaires des réactionnaires transphobes en France sont disproportionnées.

En France, la proposition de loi des sénateurs des Républicains signe-t-elle l’avancée du mouvement transphobe en France, alors qu’il n’était audible auparavant que lors de moments ponctuels, par exemple lors du Pacs ou de la Manif pour tous ?

Les victoires parlementaires des réactionnaires transphobes en France sont disproportionnées par rapport à leur place idéologique dans la société. Il y a eu Transmania, certes, mais cela reste un épisode médiatique plutôt circonscrit dans un débat politique avant tout centré autour des questions racistes. Du côté politique, tout dépend si la proposition de loi est mise à l’ordre du jour à l’Assemblée. Si c’est le cas, cela signera la victoire idéologique de l’extrême droite sur cette question.

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On pourrait aboutir à une situation comparable à celle des États conservateurs américains avant la victoire de Donald Trump. Sauf qu’en France, c’est au niveau national. Cette interdiction de soin des mineurs trans porterait atteinte à l’indépendance des médecins qui devrait refuser de prescrire un soin, comme ils le faisaient lorsque l’IVG était interdite. Ce serait un immense backlash réactionnaire alors que, dans le même temps, on dispose plutôt de politiques publiques qui vont dans le bon sens en matière de santé des personnes trans.

Comment le mouvement féministe français, qui a longtemps résisté voire même défait le camp transphobe réactionnaire, peut-il continuer à résister ?

En France, sur les questions féministes, on bénéficie d’un rapport de force favorable, y compris dans un contexte de montée du fascisme. On a obtenu la constitutionnalisation de l’IVG, la mise en place de la PMA, bien que très imparfaite. Ces victoires sont obtenues par la mobilisation du mouvement féministe. Jusqu’à quand le gouvernement restera sensible à ces mobilisations ? Est-ce que l’exécutif actuel, aux ordres du Rassemblement national, va-t-il choisir de détourner le regard ?

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Dans la proposition de loi des sénateurs LR figurait l’argument fallacieux de la « contagion sociale » des personnes trans. Une expression transphobe directement importée des États-Unis. Cette influence peut-elle s’intensifier avec la priorité sur ces questions accordée par Donald Trump ?

Ce vocable de « contagion sociale » est issu d’une étude pseudo-scientifique, complètement débunkée depuis, y compris par la revue qui l’avait publiée. L’article en question expliquait que les enfants trans le sont à cause de la télévision, des réseaux sociaux et des médias. Il rejoignait cette idée complotiste selon laquelle il existerait une idéologie transgenre mondiale.

Interdire à des mineurs de transitionner, c’est leur enlever des droits fondamentaux.

Le fait que cela apparaisse dans le vocabulaire des transphobes aujourd’hui doit alerter sur le degré d’instrumentalisation des enfants. C’était déjà ce que l’on pouvait constater pendant la Manif pour tous. Le débat public n’est pas assez centré autour de la question du droit des enfants, alors que l’on parle de mesures qui pourraient empêcher des mineurs à disposer librement de leur corps. Interdire à des mineurs de transitionner, c’est leur enlever des droits fondamentaux.

Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, qui a vu les expressions d’identité de genre et de transphobie revenir au programme de collège, montre-t-il une forme de résistance particulière qui continue d’agir en France ?

C’est la preuve que le sujet des enfants est central. Cacher aux enfants le fait que l’on puisse être trans ou homosexuel dans une société qui, généralement, fait de l’hétérosexualité son socle traditionnel, c’est laisser sans réponse de nombreux adolescents quant à leur identité. Éduquer très tôt à l’existence des transidentités est un droit fondamental.

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