Bétharram : « On s’en fout de Bayrou, écoutons les victimes ! »

Fondateur de Mouv’Enfants et ancien membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences faits aux enfants (Ciivise), Arnaud Gallais dénonce l’inaction politique face aux abus sexuels commis contre les enfants et refuse l’étonnement permanent lorsque ces affaires éclatent.

Pauline Migevant  • 24 février 2025 abonné·es
Bétharram : « On s’en fout de Bayrou, écoutons les victimes ! »
Arnaud Gallais (au centre, avec micro en main) lors d'une manifestation devant le ministère de la Justice à Paris, le 13 octobre 2022, un an après les conclusions du rapport Sauvé, qui a révélé l'ampleur du phénomène de pédocriminalité criminelle dans l'Église.
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Avec le Mouv’enfant, vous vous êtes rendus devant Bétharram. Pourquoi, pour vous, est-il important de vous rendre physiquement dans des endroits comme celui-ci ?

Arnaud Gallais : Déjà, pour soutenir les victimes et leur donner un soupçon d’humanité. Il s’est déroulé un massacre de masse dans un établissement et personne ne se bouge. Chez Mouv’Enfants, on est en majorité des victimes ayant survécu à des violences sexuelles dans leur enfance. On sait ce que c’est. Pour nous, le mot d’ordre, c’est la fermeture du collège de Bétharram. C’est une question de dignité envers les victimes. Toutes celles de Bétharram avec qui j’ai parlé m’ont dit : « Moi, si j’ai parlé, c’est surtout pour que plus jamais cela ne se reproduise ». Ce qui signifie que la prise de parole est politique. François Bayrou a voulu ramener ce qu’il se passait à un huis clos local. Mais toute la société est concernée.

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Aujourd’hui, on s’étonne de ce qu’il s’est passé à Bétharram, de ce qu’a pu faire l’abbé Pierre, etc. La Ciase avait déjà établi un rapport sur la pédocriminalité dans l’Église. Quel bilan en tirez-vous ?

Le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a dénombré au moins 330 000 victimes de pédocriminels. Qu’a fait Emmanuel Macron ? Absolument rien. La seule réaction des pouvoirs publics a été de s’horrifier : « C’est terrible ! ». Et c’est tout. Il n’y a eu que 22 signalements sur les 330 000 victimes. Idem pour le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles dans l’enfance (Ciivise), dont les 82 recommandations n’ont pas été suivies.

Nous réclamons l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs.

Aujourd’hui, nous réclamons l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs. Comment peut-on ne pas reconnaître le préjudice pour une victime ? Nous voulons aussi changer la prescription en matière de non-dénonciation. C’est une proposition de loi portée par la députée Modem, Maud Petit. Ces délais de prescription sont passés de 4 à 10 ans en 2021, mais cela ne suffit pas. La preuve avec l’impunité accordée à l’abbé Pierre. Cette imprescriptibilité résonne avec les fameux propos du cardinal Barbarin : « Grâce à Dieu, les faits sont prescrits ». Cette impunité ne permet pas aux citoyens et aux citoyennes de se réconcilier avec un idéal de justice.

Quelles seraient, pour vous, des politiques concrètes pour approcher cet idéal de justice ?

Approcher un idéal, c’est avoir un cap. Aujourd’hui, les pouvoirs publics fonctionnent comme un service après-vente. Ils gèrent le risque. De Bétharram, on passe à l’affaire Bayrou. On parle d’image politique et plus de violences sexuelles. Sans cesse, les choses sont déplacées pour que chacun puisse se dire : « C’est réglé, on passe à autre chose ».

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François Bayrou et ses proches ont dénoncé une forme d’instrumentalisation de la gauche pour se dédouaner. Comment vous le percevez ?

François Bayrou essaie de se dédouaner mais il ne propose absolument rien sur Bétharram. Sa seule obsession, c’est son image, son mandat. Je vais le dire très franchement : on s’en fout de François Bayrou, écoutons plutôt les 130 victimes ! Elles parlent d’actes de torture, de barbarie, de viols, et lui, il nous dit : « Attention, c’est une stratégie politique ». C’est terrible.

Si le bourreau doit trembler devant la justice, les complices aussi.

Comme pour les institutions religieuses, le Conseil de l’ordre des médecins, pour le procès Le Scouarnec qui s’ouvre aujourd’hui, est en capacité de sanctionner en interne. Est-ce une manière d’échapper à la justice ?

Votre question aborde la non-dénonciation et la non-assistance à personne en danger. On a construit une forme de dualité systématique entre agresseur et victimes. Alors que tout un système est au courant. Si le bourreau doit trembler devant la justice, les complices aussi. Créer une commission ne peut pas être la solution – d’autant plus quand on n’écoute ni ses résultats, ni ses recommandations. Je le rappelle : 330 000 victimes de pédocriminalité dans l’Église en 70 ans, c’est 13 enfants victimes par jour.

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On aurait pu imaginer qu’un garde des Sceaux puisse dire : « Il faut absolument trouver une solution ». D’ailleurs, la seule solution qu’a proposée François Bayrou, et elle est absolument inacceptable pour moi, c’est de s’appuyer sur la Commission reconnaissance et réparation, une instance religieuse. Comment un premier ministre peut-il proposer une telle solution ? Ce n’est pas de la justice.

Qu’est-ce que vous pensez, aujourd’hui, du fait que le conseil de l’Ordre des médecins se constitue partie civile pour l’affaire Le Scouarnec ?

C’est une hypocrisie. L’Ordre des médecins essaie, tant bien que mal, de tirer la couverture à leur avantage en affirmant qu’ils ont été lésés. C’est inacceptable. Un crachat supplémentaire au visage des victimes. Surtout quand on sait que le psychiatre qui avait dénoncé les faits avait reçu un avertissement pour un délit de non-confraternité. De l’autre côté, les personnes qui ont connaissance des faits mais qui ne signalent pas ne sont jamais poursuivies.

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Vous ne croyez pas en la capacité de ces institutions à évoluer ou se réformer de l’intérieur ?

Je pense que ce sont des institutions qui, par moments, se situent au-dessus des lois. Qu’il y ait une instance qui représente les médecins, pourquoi pas. Qu’elle s’oppose à la loi, ce n’est pas possible. Cela revient à silencier des personnes qui ont été des lanceuses d’alertes.

Quand les enfants parlent, on ne les écoute pas, on ne les protège pas.

Après les grandes déflagrations permises par le livre de Camille Kouchner, puis de la Ciivise, y a-t-il un retour à une lecture des violences en des termes moins systémiques ?

La société a montré qu’elle était prête. Des personnes prennent la parole, évoquent les violences qu’elles ont subies. En face, d’autres disent qu’elles exagèrent. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de réponse politique. Si on veut vraiment que l’inceste s’arrête, il faut des moyens, et faire de la culture de la protection une priorité. Parce que c’est une chose d’intimer les enfants de parler. On ne fait que ça, leur demander de parler. Mais quand ils le font, on ne les écoute pas, on ne les protège pas.

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Le procès Le Scouarnec peut-il, à l’instar du procès des violeurs de Mazan avec la notion de consentement, faire émerger des thématiques dans le débat public ?

Soit on se dit que c’est exceptionnel, en voyant ce procès comme celui du plus grand pédocriminel de France, soit on examine les principes de précaution pour éviter que cela se reproduise. Que mettre en place ? Que faire quand on ne dénonce pas ? C’est toujours le même problème. À la Ciivise, sur les 33 000 témoignages reçus, seuls 8 % disaient avoir bénéficié d’un soutien social positif. Pour le dire autrement, dans 92 % des cas, il y a eu un délit de non-dénonciation. C’est-à-dire que dans plus de neuf cas sur dix, on a dit à un enfant : « Je ne te protège pas ».

Les solutions, on les connaît : appliquons-les.

Croyez-vous encore à un changement culturel ?

Bien sûr. Puisque l’on a les preuves, l’expertise, il ne manque plus qu’un combat politique. Autrement, on vivra toujours systématiquement les mêmes expériences. Les solutions, on les connaît : appliquons-les, et ne faisons pas semblant de découvrir l’existence d’abus sexuels.

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