« Arp mythique, Arp antique » : une inspiration venant de loin
Une exposition montre l’influence des mythologies et des civilisations antiques sur Jean Arp et sa compagne Sophie Taeuber, pionniers du dadaïsme et des avant-gardes du premier XXe siècle.
dans l’hebdo N° 1851 Acheter ce numéro
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Arp mythique, Arp antique. Le regard d’un artiste moderne sur les civilisations anciennes, jusqu’au 23 novembre. Fondation Arp, 21 rue des Châtaigniers, Clamart (92),
On traverse Meudon, banlieue escarpée de Paris, aujourd’hui plutôt cossue, avec çà et là quelques belles maisons d’architectes. À l’orée de la forêt, déjà sur la commune de Clamart, on découvre, en haut d’une côte, un pavillon de meulière claire, matériau traditionnel de la périphérie de la capitale. Rare exemple d’une maison-atelier d’artistes préservée, associant esthétique et fonctionnalité, la demeure fut dessinée en 1927 par la Suissesse Sophie Taeuber (1889-1943), première épouse de l’artiste d’origine alsacienne Jean Arp (1886-1966), où le couple s’installa en 1929.
C’est elle qui a décidé des volumes en innovant avec des fenêtres, toutes différentes par leurs tailles, et des balcons dépouillés, semblant sortir de la bâtisse tels des tiroirs. Ces deux pionniers du dadaïsme et de l’art concret y accueillent collectionneurs, écrivains et artistes des avant-gardes, dont Max Ernst, Joan Miró, Tristan Tzara, Marcel Duchamp, James Joyce, André Breton, Robert et Sonia Delaunay…
La maison est à flanc de colline, d’aspect modeste ; ils y adjoindront par la suite la maison voisine et construiront deux petits ateliers, dédiés surtout à la sculpture, au fond du petit jardin. Trop peu connu, ce lieu de création et d’émulation collective témoigne de leur conception de la vie quotidienne indissociable des arts.
Figures majeures
Il est aujourd’hui le siège de la Fondation Arp – dont il est vraiment à déplorer que son intitulé ne mentionne pas le nom de sa compagne, grande artiste elle aussi –, dotée de quelque 1 400 œuvres, montrant en particulier leur curiosité insatiable et la multiplicité des formes artistiques expérimentées par les deux artistes, tous deux figures majeures depuis le début du siècle des courants les plus novateurs de l’art contemporain, s’influençant mutuellement : peintures, dessins, objets, mobilier, poésies, et bien sûr sculptures.
Outre les deux ateliers au fond du petit espace arboré, emplis d’œuvres sculpturales éblouissantes, on se plonge d’abord dans l’exposition présentée cette année, intitulée « Arp mythique, Arp antique ». Où l’on voit toute l’influence, sinon la fascination inspirante pour les arts anciens et mythologies antiques sur le travail de Jean Arp et de Sophie Taeuber.
À travers les œuvres présentées, on découvre comment les deux artistes s’emparent, réinterprètent, retravaillent des formes découvertes dans le corpus des civilisations antiques. Très connu pour ses sculptures aux courbes sensuelles, claires, souvent lisses, Jean Arp, n’est venu à cet art qu’assez tardivement dans sa carrière. Ce n’est qu’à 44 ans qu’il s’y essaie, au début des années 1930, bien après l’heure du dadaïsme.
Mythes grecs
Dès la première salle, plusieurs œuvres donnent le ton de l’exposition, d’abord en référence à la Grèce antique. Avec une première série inspirée directement de celle-ci, comme des vases, ou une représentation de Déméter, déesse de l’agriculture et des moissons, ou une Daphné, nymphe magnifique. D’autres œuvres, plus proches de la veine dadaïste, reprennent la forme des amphores, avec une influence certaine de l’art cycladique.
De même, des lithographies et des papiers colorés, découpés, de Sophie Taeuber, sont de superbes compositions reprenant nombre de mythes grecs. En outre, dans le bureau de celle-ci, sur et autour d’un meuble créé par elle, sont exposées de nombreuses revues qui se trouvaient dans leur bibliothèque, avec des reproductions d’idéogrammes de la préhistoire ou d’œuvres de l’île de Pâques, outre quelques statuettes datant du paléolithique, qui ont inspiré les deux artistes.
Jean Arp ne connaissant le succès que tardivement, il ne voyagera (en Grèce notamment) que dans les années 1950. Mais l’étude livresque et l’imagination lui ont suffi pour réinterpréter ce passé mythique dès les années 1930. À Clamart, les œuvres de Jean Arp et Sophie Taeuber en témoignent magnifiquement.
Pour aller plus loin…
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