Ferrand au Conseil constitutionnel : Macron peut (encore) dire merci à Le Pen
Les dessous du deal entre Richard Ferrand et Marine Le Pen pour sauver le président de la République.

© Ludovic MARIN / POOL / AFP
Emmanuel Macron peut souffler. À la surprise générale, le Rassemblement national (RN) a permis à son candidat au Conseil constitutionnel, Richard Ferrand, d’échapper à la censure du Parlement. Jusqu’au bout, le parti de Marine Le Pen a fait durer le suspense sur cette nomination. Mais les 16 députés RN commissionnaires ont tombé le masque au moment du vote ce mercredi 19 février en s’abstenant. Ce qui équivalait en réalité à soutenir le candidat d’Emmanuel Macron car il fallait que, sur les 122 députés et sénateurs des commissions des Lois des deux chambres, 74 votent contre.
Au final, 39 parlementaires ont voté pour sa nomination contre 58, alors que 59 oppositions étaient requises pour atteindre la majorité de blocage fixée aux 3/5e des suffrages exprimés. Il aurait suffi d’une seule voix pour rejeter le candidat de l’Élysée. C’est aussi un beau cadeau fait au président de la République car un échec lui aurait coûté ce qui lui reste de crédit politique, déjà bien abîmé par la dissolution ratée l’été dernier.
Le RN dément avoir passé un marché avec Richard Ferrand ou Emmanuel Macron mais avance une explication tout aussi inquiétante. En cas de victoire en 2027, le parti de Marine Le Pen prévoit de faire passer une nouvelle loi sur l’immigration via un référendum, comme le rappelle le député Matthias Renault sur X. Or, la Constitution l’interdit formellement. Un « stress test » à venir pour les « Sages »? (1)
Mise à jour le 19 février, à 18 h.
Un deal entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?
« Une candidature au Conseil constitutionnel rejetée aurait été une première et un véritable camouflet » pour le chef de l’État, confirme le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier à Politis. « M. Ferrand va devenir président du Conseil constitutionnel malgré une désapprobation massive des parlementaires et la bénédiction de l’extrême droite », ajoute le juriste. De quoi alimenter les soupçons d’un « pacte secret » entre ce dernier et Marine Le Pen, comme le dénonce la présidente du groupe des députés LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot. Une théorie reprise par la droite : « Tout ça sent très fort le deal secret entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen », soutient lui aussi le député LR Olivier Marleix.
« On a évidemment envie de penser aux prochaines décisions que doit prendre le Conseil constitutionnel. Je rappelle qu’il y a une question prioritaire de constitutionnalité pour savoir si Marine Le Pen sera ou pas inéligible », poursuit l’élu de droite. Une référence aux déboires judiciaires de la patronne des députés RN, poursuivie avec 24 autres personnes notamment pour détournements de fonds publics, complicité et recel de fonds publics, dans l’affaire des emplois fictifs au Parlement européen.
Ferrand a fait savoir à Le Pen qu’il désapprouvait que le RN n’ait pas obtenu de vice-présidences à l’Assemblée.
Un macroniste
L’élue du Pas-de-Calais joue rien de moins que son avenir politique : le parquet a notamment a requis une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Si le tribunal tranche en ce sens le 31 mars, Marine Le Pen ne pourrait donc pas se présenter à de nouvelles législatives ou à une présidentielle anticipée. Or, il n’a pas échappé à cette ancienne avocate que l’un des premiers sujets à l’ordre du jour de l’institution sous la présidence Ferrand la concerne au premier chef. Le 3 avril, les « Sages » doivent rendre leur décision sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’application de l’inéligibilité à titre provisoire. Pile ce que risque Marine Le Pen, en attente de la décision du tribunal à la suite de son procès.
La nomination annoncée de Richard Ferrand par Emmanuel Macron rue de Montpensier a fait l’objet d’un tir de barrage inédit pour ce genre de nomination, d’ordinaire bien plus consensuelle. La décision du RN était particulièrement scrutée, Marine Le Pen n’ayant cessé de souffler le chaud et le froid ces dernières semaines. Elle-même dénonçait « une dérive » : « On a un cénacle exclusivement politique alors que c’est censé être une institution juridique », affirmait-elle le 11 février à l’Assemblée. Or, hier, changement de ton du RN : Marine Le Pen assure désormais que « l’homme importe peu » et qu’elle jugera « à ses actes » la candidature de M. Ferrand.
Le jeu délétère de Macron avec l’extrême droite
En réalité, en privé, la présidente des députés RN avait déjà fait son choix, selon nos informations. Richard Ferrand a veillé à soigner ses relations avec elle. « Il lui a fait savoir qu’il désapprouvait que le RN n’ait pas obtenu de vice-présidences à l’Assemblée », révèle une source macroniste sous le sceau de l’anonymat. Ces deux personnalités ont aussi eu des démêlés judiciaires. « Richard Ferrand sait à quel point c’est terrible pour les politiques, c’est un fait qui a probablement joué en sa faveur », assure une source macroniste sous le sceau de l’anonymat à Politis.
Le successeur de Laurent Fabius a en effet été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans l’affaires des Mutuelles de Bretagne, suite à une plainte d’Anticor. Laquelle a finalement été classée sans suite pour prescription, en 2017, par le tout nouveau procureur de Brest. Sa supérieure hiérarchique, alors procureure générale près la cour d’appel de Rennes, Véronique Malbec, est ensuite devenue la directrice de cabinet d’Éric Dupond-Moretti à la Chancellerie, avant d’être nommée au Conseil constitutionnel en 2022 sur proposition de… Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, rappelle Mediapart.
Il était l’homme du président Macron, il devient désormais l’incarnation de la Macronie : hostilité du Parlement, soutien du RN
J-P. Derosier, constitutionnaliste
Richard Ferrand retrouvera la magistrate en poste rue de Montpensier mais aussi l’ancienne sénatrice et ministre Jacqueline Gourault, nommée par Emmanuel Macron la même année. Cette personnalité issue du Modem n’est ni juriste, ni publiciste, contrairement aux usages. « Si on compte sur Ferrand et ce duo pour défendre la Constitution contre le RN, on est mal barrés », en frémit un bon connaisseur de l’institution. Sans compter que M. Ferrand s’est prononcé pour autoriser dans la Constitution un 3e mandat présidentiel lors d’un entretien au Figaro en 2023. Devant les députés ce mercredi, le candidat a nié l’évidence, fustigeant « la paresse intellectuelle du colportage, de la rumeur et de la fake news ».
À l’Assemblée, le RN assure, non sans mauvaise foi, avoir choisi le « moindre mal » : « Quelles autres options avions-nous ? Dupond-Moretti ? Taubira ? », défend le député RN Frédéric Falcon après le vote. En réalité, l’ex-ministre de la Justice avait déjà rejeté l’offre d’Emmanuel Macron, refusant de devoir se plier au devoir de réserve qu’impose ce mandat, préférant se consacrer à ses livres et au théâtre.
La nomination de Richard Ferrand n’est que le dernier exemple du jeu délétère du président de la République avec l’extrême droite. « Il était l’homme du président Macron, il devient désormais l’incarnation de la Macronie : hostilité du Parlement, soutien du RN », cingle le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. À Richard Ferrand de prouver le contraire.
Pour aller plus loin…

« Le peuple de gauche n’en peut plus de nous entendre nous engueuler »

Au milieu du Nouveau Front populaire, les unitaires tentent de sauver les meubles

Affaire de Bétharram : le gouvernement Bayrou tétanisé
