Des expulsions en série comme mode de vie politique
La philosophe Fabienne Brugère, revient sur la brutalité de l’expulsion, une dynamique fondamentale de la mondialisation étudiée par la sociologue et économiste, Saskia Sassen, dans un livre de 2016, prochainement traduit aux éditions Gallimard.
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En 2014, Saskia Sassen publie Expulsions : Brutality and Complexity in the Global Economy, livre traduit en français en 2016 (éditions Gallimard). La dynamique fondamentale de la mondialisation serait l’expulsion.
Exemples : à la suite de la crise économique de 2008, neuf millions de familles américaines chassées de leur foyer par la saisie de leur maison après la transformation de leur crédit d’accession à la propriété en produits financiers à haut risque ; des millions d’Européens ou d’Américains du Sud exclus de leur travail à la suite des plans d’austérité imposés par des institutions internationales ; des millions d’agriculteurs expulsés de leurs terres parce que leur État les a vendues à un autre afin que celui-ci puisse développer les productions nécessaires à l’alimentation de ses classes moyennes ; des gaz à effet de serre que les puissances industrielles libèrent à chaque instant ou bien encore ces nappes phréatiques asséchées par les procédés ravageurs d’extraction du gaz de schiste. Autant de manières de décomposer des existences, de faire sombrer des individus et de rendre inertes des sols.
Selon Saskia Sassen, les dégradations et les agressions subies par les humains et leur environnement se sont multipliées dès les années 1980 dans trois directions : l’emballement mondial de l’exploitation des hommes et des ressources, la généralisation de nouvelles formes de division sociale du travail, des opérations financières complexes et globales.
Les comportements des classes sociales supérieures, à l’intérieur de ce système, s’avèrent de plus en plus prédateurs, faisant surgir sur tel ou tel territoire, tel ou tel pays, des formations prédatrices organisées violentes, capables d’agir avec surprise et dans l’urgence. À l’image du premier mandat présidentiel de Donald Trump, scandé par un « you are fired » – « vous êtes viré ». Virés, expulsés pour les humains et les vivants en général, pillées pour les ressources de la planète.
Attitudes brutales
Pourquoi cette logique se répand-elle partout ? Parce qu’elle est produite par un système complexe qui pousse les individus qui ont de l’argent à perpétuer des attitudes brutales, à les répéter, à les nourrir quel que soit le territoire occupé dans le monde. D’une mondialisation heureuse dont certains avaient rêvé, nous sommes passés à une mondialisation malheureuse dont les conséquences n’ont pas fini de nous assaillir.
L’expulsion se généralise comme une zone grise qui rejette des individus, des vivants, des territoires.
Comment faire valoir le caractère croisé des injustices (les accumulations d’empêchements qui peuvent consister dans de nombreux facteurs dont celui de la classe sociale, du sexe, de l’origine ethnique ou territoriale, du handicap, de la maladie, etc.) alors que l’expulsion se généralise comme une zone grise qui rejette des individus, des vivants, des territoires avec des histoires à la fois individuelles et collectives dans la nuit froide de la vulnérabilité indistincte ?
Les vulnérabilités vitales, socio-économiques, écologiques s’étendent, et dans le même temps elles sont invisibilisées par des puissants qui exhortent à la construction d’un empire à la fois financier, masculiniste et récupérateur d’images issues de nos imaginaires collectifs (comme un père avec une casquette qui porte son fils sur ses épaules dans le bureau ovale de la Maison Blanche). Pendant combien de temps accepterons-nous que nos vulnérabilités diverses soient ainsi niées, recouvertes par un vernis de la performance qui n’est que le récit qui rend légitimes des expulsions massives, qui deviennent dangereuses pour l’humanité dans son entièreté ?
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