Le théâtre émergent abandonné

La comédienne Juliette Smadja revient sur les dangers provoqués par les coupes budgétaires du pass culture, éloignant toujours plus les publics de la culture tout en précarisant les jeunes compagnies.

Juliette Smadja  • 25 février 2025
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Le théâtre émergent abandonné
© Mostafa Meraji / Unsplash

Le monde de la culture est en crise. Après les 100 millions de coupes budgétaires décrétées par le gouvernement Barnier, ce sont 50 millions de moins qui ont été annoncés par le gouvernement Bayrou, entraînant un gel du budget alloué à la part collective du Pass culture. Partout en France, des artistes et des directeur·ices de lieux culturels tirent la sonnette d’alarme. Dans une tribune signée par près de 43 000 personnes, iels réaffirment leur attachement à une « culture vivante qui stimule les imaginaires, partage les savoirs, reflète la diversité et favorise le bien vivre ensemble ». Au sein des compagnies émergentes, le sentiment d’abandon est total.

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« On va prendre cher », résume Léa, membre des Assoiffés d’azur, une compagnie implantée dans les Pays de la Loire, où plus de 73 % du budget alloué à la culture a été supprimé. Elle vient de perdre une partie de ses subventions et voit s’annuler sa prochaine tournée en raison du gel du Pass culture. Depuis sept ans, la compagnie défend pourtant un théâtre populaire hérité de la décentralisation et organise tous les étés un festival dans la Sarthe.

Dépendre d’acteurs privés, c’est aussi prendre le risque de voir disparaître les politiques inclusives.

Elle mène aussi des actions culturelles sur le territoire tout comme la majorité des compagnies dites émergentes qui travaillent main dans la main avec les écoles et les centres culturels et sociaux. « On est dans le care et le précaire » plaisante amèrement Chloé, membre du collectif La Castagne. Avec sa compagnie, aussi implantée dans les Pays de la Loire, elle propose notamment des spectacles qui sensibilisent à l’égalité entre les genres, et aux violences sexistes et sexuelles. Depuis décembre, la compagnie n’arrive plus à se projeter. « J’ai perdu près de cent heures d’intermittence », constate Chloé.

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Que peuvent alors faire les compagnies émergentes pour continuer de se financer ? La compagnie de Léa réfléchit au mécénat privé éthique. Elle s’inquiète des conséquences d’un système fondé sur des financements privés, souvent liberticides, et craint de devoir dépendre d’entreprises dont les valeurs seraient aux antipodes des siennes. Dépendre d’acteurs privés, c’est aussi prendre le risque de voir disparaître les politiques inclusives timidement mises en place par le secteur public ces dernières années.

Pour les compagnies racisées, c’est la double peine.

Amadou

« Pour les compagnies racisées, c’est la double peine », affirme Amadou, fondateur de la compagnie Cendres, une compagnie émergente de Seine-Saint-Denis. Metteur en scène d’un spectacle sur la Françafrique, il constate l’absence des jeunes compagnies racisées dans le paysage théâtral et déplore l’hypocrisie du système public. Il relate ses allers-retours infructueux entre les collectivités territoriales et les théâtres qui conditionnent leurs aides à des garanties de coproductions ou de financements préexistants.

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Il y a cette croyance un peu magique que l’artiste fera feu de tout bois, sans sous, sans aide, sans rien. Mais derrière chaque artiste émergent, il y a des années de formations coûteuses et intenses. Il y a des milliers de pages de textes apprises entre deux boulots alimentaires, un nombre incalculable d’heures non rémunérées passées à réfléchir, écrire, faire des budgets, participer à des projets bénévoles. Il y a des burn-out à répétition et des remises en question permanentes.

Mais il y a avant tout un désir d’habiter le monde, de vivre ensemble et de créer du lien. C’est pourquoi des milliers de jeunes se sont engagés dans les métiers de la culture. En ces temps troubles, protéger la possibilité de s’engager artistiquement paraît plus essentiel que jamais.

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