La mère de Sophie Abida : « Qu’est-ce que ma fille a fait pour mériter tout ça ? »

Malgré des accusations d’inceste, les quatre enfants de Sophie Abida avaient été transférés chez le père. Vendredi 7 février, une trentaine de personnes étaient rassemblées pour une audience déterminante, durant laquelle l’avocate demandait notamment une ordonnance de protection.

Pauline Migevant  • 7 février 2025 abonné·es
La mère de Sophie Abida : « Qu’est-ce que ma fille a fait pour mériter tout ça ? »
La mère de Sophie Abida ( à gauche), Judith Chemla (au centre) et une militante féministe prennent la parole dénonçant la situation de Sophie Abida et de ses enfants.
© Pauline Migevant

Sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris, une trentaine de personnes regardent trois femmes qui se tiennent côte à côte. D’abord, une militante féministe, brandissant malgré le froid une pancarte en soutien à Sophie Abida, dont la doudoune ouverte laisse apercevoir un t-shirt « Je te crois ». « Cette mère a été honteusement écrabouillée par la justice française, c’est inadmissible. Elle a été emprisonnée, piétinée, pendant que des enfants étaient remis à leur agresseur », déclare-t-elle.

Les enfants dénoncent depuis plusieurs mois des faits de violence commis par le père.

S. Abida

À côté d’elle, la comédienne Judith Chemla, un soutien de la première heure. Elle dénonce ce qui est arrivé à Sophie Abida et témoigne, elle aussi, avoir été menacée de perdre la garde de sa fille quand elle a voulu la protéger. « Le policier m’a dit : ‘Madame, si vous ne cessez pas de faire la bagarre, la guerre à monsieur, votre fille va être placée, je vais appeler le juge.’ Il m’a dit ça alors qu’il y a eu condamnation, alors que ça a été reconnu, alors que c’est une histoire médiatique. »

La troisième femme est la mère de Sophie Abida. « Justice pour mes petits enfants ! Justice pour ma fille, malmenée, qu’on cherche à bâillonner pour qu’elle parle plus, pour qu’elle abandonne ses enfants. » Elle agite dans l’air le tigre en peluche qu’elle a amené. « Qu’est-ce qu’elle a fait ma fille pour mériter tout ça ? Pourquoi on lui a arraché ses quatre enfants ? » Elle pleure de colère, expliquant avoir peur, quand Sophie ne répond pas au téléphone, qu’elle ait été arrêtée par la police ou qu’elle se soit suicidée.

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Quelques personnalités comme le militant écologiste Cyril Dion ou l’actrice Romane Bohringer sont aussi venues en soutien. Si cette foule s’est rassemblée ce vendredi 7 février, malgré le froid qui fait claquer les dents, c’est que l’audience de ce matin est déterminante. Me Rebecca Royer, l’avocate de Sophie Abida, explique : « J’ai d’abord demandé au magistrat de rendre une ordonnance de protection pour protéger les quatre enfants de Sophie Abida et qu’il transfère la résidence des enfants au domicile de leur mère, au moins pendant le temps de l’instruction. Car l’instruction pour viol et agressions sexuelles incestueuses est toujours ouverte mais ça traîne. Le mis en cause n’a jamais été auditionné. »

Nouvelles violences

En 2021, les enfants ont dénoncé un inceste qui aurait été commis par leur père. La plainte a été classée sans suite. Après une expertise psychologique affirmant que Sophie Abida aurait manipulé ses enfants, réalisée sans qu’elle ou ses enfants n’aient été vus, la garde a été transférée chez le père. En bref, les procédures, au civil comme au pénal, se sont multipliées. En 2023, Sophie Abida s’est également retrouvée en détention provisoire, après avoir refusé de présenter sa plus jeune fille au père. Et l’instruction pénale pour inceste, ouverte il y a un an et demi, est toujours en cours.

Depuis, de nouvelles violences ont été dénoncées. “Aujourd’hui je saisis le juge aux affaires familiales parce que les enfants dénoncent depuis plusieurs mois des faits de violence commis par le père. En mai 2024, il a été condamné pour des violences habituelles sur les enfants. Il a fait appel sur la peine mais pas sur la matérialité des faits. » Privée de la garde de ses enfants, Sophie Abida ne pouvait les voir que dans le cadre de visites médiatisées. Mais depuis octobre, les visites ont été arrêtées, l’association désignée par le juge s’estimant « dépassée par la situation ».

Après l’audience, Sophie Abida échange avec ses soutiens les plus proches. (Photo : Pauline Migevant.)

Au-delà de l’ordonnance de protection, l’avocate demande que le tribunal de Paris s’estime compétent pour cette affaire, ce qui, espère-t-elle, pourrait faire avancer l’instruction, actuellement confiée à Chartres. Me Rebecca Royer estime en effet qu’il y a un « conflit d’intérêt manifeste ». Dans cette affaire, la magistrate qui avait accordé la garde au père – et qui est depuis devenue vice-présidente du tribunal du Chartres –, s’est constituée partie civile contre Sophie Abida, l’accusant d’avoir appelé, via ses réseaux sociaux, à harceler le tribunal.

Agitant un parapluie au bout duquel elle a accroché un nounours, une femme lance un slogan « Justice complice, arrête cette injustice ! » Parmi les personnes rassemblées, beaucoup ont été confrontées aux défaillances de la justice en matière de violences sexuelles. Présente au rassemblement avec son amie Pauline, Marie suivait Sophie Abida sur Instagram. Quand son fils, trois ans, a révélé un inceste, l’histoire de Sophie Abida l’a touchée encore davantage.

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Depuis que son fils a parlé, côté police, « rien ne bouge. » « Déjà, l’idée que mon fils puisse être en contact avec la personne qui l’a agressé, et qu’une agression se produise à nouveau me rend malade, » confie-t-elle. « Alors que Sophie soit malmenée, qu’on lui enlève ses enfants et qu’on les place chez l’agresseur, je ne sais pas comment elle fait… »

Au milieu de ces soutiens, Cécile Cée, illustratrice et autrice ayant écrit sur l’inceste. Elle rappelle : « les mères protectrices comme Sophie, c’est la minorité. En cas d’inceste la majorité des adultes ne croient pas les enfants. Et si les mères les croient, elles sont broyées. »

« Inversion de culpabilité »

Quand Sophie Abida sort du tribunal, ce sont la douleur et la colère qui transparaissent. C’est comme si elle criait à voix basse. « Ils veulent m’enlever ma chair ! », répète-t-elle. Quand, avec son avocate, elles sont arrivées au cabinet du juge, elles ont aperçu cinq policiers encadrant l’audience. « Du jamais vu », constate l’avocate. Entourée de soutiens et de journalistes, Rebecca Royer dénonce une « inversion de culpabilité ».

Elle précise : « Le parquet a rendu un avis négatif concernant l’ordonnance, estimant que Mme Abida multiplie les procédures et veut nuire à monsieur. » « Encore une fois, poursuit-elle, on ne s’est pas intéressés aux enfants, et on a parlé que de Mme Abida et de son passé en soulignant qu’elle avait déjà porté plainte contre un homme. Ce n’est pas parce qu’elle a déjà eu un compagnon violent auparavant que malgré tout c’est une folle furieuse qui dépose plainte contre tout le monde. »

Des femmes portent des pancartes en soutien à Sopie Abida et ses enfants. (Photo : Pauline Migevant.)

« En sortant du tribunal, j’étais dans le même état que Sophie, complètement écœurée », confie une femme, la soixantaine, grand-mère de deux enfants de 4 ans et deux ans et demi. Au mois de novembre, l’ex-compagnon de sa fille, qu’elle accuse de violence, a été relaxé en correctionnelle. Des amies tentent de la soutenir. Judith Chemla crie : « On t’aime Sophie ! » Elles se dirigent vers une boulangerie, à cinquante mètres, histoire de s’éloigner du bâtiment, d’où sort bientôt son ex-compagnon.

Même Gérald Darmanin dit que le prochain grand scandale politique, c’est la protection de l’enfance.

J. Chemla

Pour Judith Chemla, cette histoire est « terrible ». « Comment peut-on tolérer en France que des décisions rendues par la justice au nom du peuple soient criminelles à ce point pour des enfants ? Si vous ne condamnez pas les violeurs, au moins protégez les enfants ! Tout ça marche à l’envers. » Elle s’insurge : « Les mecs, réveillez-vous ! Même Gérald Darmanin dit que le prochain grand scandale politique, c’est la protection de l’enfance ! » Le résultat de l’audience sera rendu dans 6 jours maximum.

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