Christophe Ruggia condamné à deux ans ferme, Adèle Haenel à vivre avec ses traumatismes

Accusé d’agressions sexuelles sur mineure par l’actrice Adèle Haenel, le réalisateur Christophe Ruggia a été condamné à deux ans de prison ferme aménageables, dont il fait appel. Un délibéré sous surveillance militante et médiatique qui met en lumière les limites de la justice en matière de violences sexuelles.

Salomé Dionisi  • 3 février 2025 abonné·es
Christophe Ruggia condamné à deux ans ferme, Adèle Haenel à vivre avec ses traumatismes
Adèle Haenel quitte la salle après que le réalisateur français Christophe Ruggia été condamné à quatre ans d'emprisonnement, dont deux sous bracelet électronique.
© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Des applaudissements fusent dans l’enceinte du tribunal judiciaire de Paris. Un événement vient de perturber le silence de cet immense bâtiment aux murs blancs. Des militantes féministes et actrices attendent l’une de leur sœurs de lutte. Ce 3 février 2025, le réalisateur Christophe Ruggia a été condamné à quatre ans de prison – dont deux avec sursis – et 50 000 € de dommages et intérêts pour avoir fait subir des agressions sexuelles à Adèle Haenel lorsqu’elle était enfant, et durant plus de trois ans.

Christophe Ruggia n’ira pas en prison : ces deux ans d’emprisonnement seront aménagés en assignation à domicile sous bracelet électronique. Une condamnation en deçà des réquisitions de la procureure qui, malgré l’absence d’aveux du prévenu, était persuadée de sa culpabilité : « Nous ne sommes pas dans un dossier de la parole de l’un contre la parole de l’autre. Nous avons entendu de multiples témoignages qui permettent de corroborer mon intime conviction. »

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Du fait de deux circonstances aggravantes – l’âge de l’actrice au moment des faits et le rapport d’autorité qu’exerçait Christophe Ruggia sur elle – ce dernier encourait une peine maximale de 10 ans de prison et 150 000 € d’amendes. Il était jugé devant un tribunal correctionnel, pas devant une cour d’assises. Ce détail n’en est pas un : en France, une agression sexuelle est un délit, un viol est un crime. Ce qui distingue le viol de l’agression sexuelle, c’est la pénétration. La définition du viol et sa criminalisation datent de 1980, et est le résultat d’un long combat mené, entre autres, par le MLF et par l’avocate Gisèle Halimi pour faire juger les viols en cour d’assises.

« C’est difficile d’imaginer ce genre de détails »

Une échelle de gravité aujourd’hui menacée par l’absence de preuve matérielle dans les dossiers de violences sexuelles, et par les délais de la justice. Au fur et à mesure des années et pour désemplir les cours d’assises, de nombreux viols – des crimes, donc – ont été requalifiés en délits pour être jugés plus rapidement. Une situation dénoncée par les collectifs féministes : « Nous nous battons contre la correctionnalisation des viols, contre une justice au rabais pour les victimes de ces crimes. C’est aussi le sens du combat que nous portons contre la généralisation des cours criminelles départementales», précise Emmanuelle Handshuh, juriste et membre de #NousToutes.

Il s’est peut-être passé plus, mais je n’en suis pas certaine, donc je n’en parle pas. Ma mémoire s’arrête à un moment.

A. Haenel

Si Adèle Haenel, elle, n’a pas porté plainte pour viol, c’est parce qu’elle ne sait pas si Christophe Ruggia lui en a fait subir. Comme beaucoup de victimes d’infractions sexuelles, l’actrice avait, dans un premier temps, occulté les violences, qui lui sont revenues en mémoire au fil des années. « Je n’ai dénoncé que ce dont je suis certaine. Il s’est peut-être passé plus, mais je n’en suis pas certaine, donc je n’en parle pas. Ma mémoire s’arrête à un moment. J’avais totalement occulté des choses, j’ai revu des photos dont je n’avais aucun souvenir. », précise-t-elle lors de sa première déposition à la barre.

Les agressions sexuelles, elle s’en souvient. Durant l’instruction, elle donne des détails, ne se contredit pas, fait des croquis du lieu des violences. Un degré de précision qui, selon la procureure, ne laissait aucune place au doute : « Adèle Haenel parle même de la respiration haletante de Christophe Ruggia lors des agressions. C’est difficile d’imaginer ce genre de détails ».

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Un procès pour un délit, pas pour un crime, donc. Pourtant, le tribunal correctionnel prend des airs de cour d’assises durant les deux jours d’audience. Les bancs de la presse sont pleins à craquer, le public est venu en nombre, le passé et la personnalité de l’accusé sont longuement analysés. Les débats tournent autour de la notion d’emprise, de mode opératoire, de stress post-traumatique, exactement comme dans les procès de viol sur mineur·e, passibles de 20 ans de réclusion. La durée des audiences, elle aussi, est assez exceptionnelle. Un traitement judiciaire souligné par Adèle Haenel elle-même : « Je pense que nous n’aurions pas passé deux jours au tribunal sur cette histoire si je n’avais pas été célèbre ».

Traumatismes

La loi française est faite ainsi : elle juge les accusés et n’est pas pensée pour réparer les plaignant·es. Elle hiérarchise donc le crime et le délit, sans tenir compte du fait que le second peut être aussi traumatisant que le premier. Lors du procès de Christophe Ruggia, le tribunal, les parties civiles et même les avocats de la défense notent les conséquences de ces violences sur la vie d’Adèle Haenel.

Nous parlons d’agressions sexuelles répétées sur trois ans, sur une jeune enfant.

Me le Bras

« Le préjudice moral est énorme. Nous parlons d’agressions sexuelles répétées sur trois ans, sur une jeune enfant dont les douleurs sont encore vives, dont la destruction est patente, dont la faille de ce traumatisme est toujours là. », a souligné Me Le Bras, avocat de la partie civile. Et devant la cour, le traumatisme d’Adèle Haenel est indéniable. Spasmes, larmes, tremblement, colère : pendant deux jours d’audience, le corps de l’actrice semble revivre chaque scène qu’elle a longuement décrite.

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À peine sortie de la salle après le délibéré, l’avocate de Christophe Ruggia a contesté la condamnation de son client, qui n’a jamais reconnu les faits : « Ici la loi du plus puissant, de celui qui crie le plus fort, de celui qui a le soutien inconditionnel de l’opinion publique, a broyé le principe fondamental du droit, qui est le bénéfice du doute. » Christophe Ruggia s’est directement rendu au greffe du tribunal pour faire appel de la décision.

Adèle Haenel, elle, a rapidement disparu après avoir traversé le comité de militantes et d’amies venues la soutenir. Peut-être a-t-elle repensé, à ce moment-là, aux derniers mots de la plaidoirie de son avocate : « Rentre chez toi fière et libérée. Fière parce que tu as su te libérer de son joug, de son emprise, quel qu’ait été le temps que cela t’a pris. »

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