« Patronyme », ou la quête d’un nom « propre »
Vanessa Springora mène une enquête sur son histoire familiale paternelle, laquelle croise aussi l’histoire des totalitarismes.
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Patronyme / Vanessa Springora / Grasset / 368 pages, 22 euros.
Nom d’emprunt, nom propre ou nom d’artiste ? « Springora » est les trois à la fois. Au moment du décès de son père, Vanessa Springora découvre les conditions de vie de ce dernier et revient sur ses rapports distants avec cette figure paternelle adepte des mensonges et psychiquement malade, perdue de vue depuis plusieurs années. Mais qui lui a tout de même légué ce nom de famille original et dont elle n’a jamais rien su.
Le premier tiers du livre relate ce qui l’a finalement amenée à vouloir enquêter sur son grand-père paternel tchèque et tant aimé, mais qu’elle redécouvre sous un nouveau jour sur des photos cachées dans l’appartement de son défunt père. La narratrice partage ensuite sa longue entreprise pour reconstituer cette histoire familiale jamais racontée. Une manière aussi de mieux connaître ce père pétri de contradictions.
À la manière d’une enquête journalistique menée avec minutie, Vanessa Springora multiplie les demandes d’informations auprès des administrations, voyage jusqu’à une bourgade tchèque et sollicite des aïeuls dont elle ignorait jusqu’alors l’existence. Entre chacune de ces étapes, elle apprend à vivre avec ses fantômes qui la torturent et avec qui elle ne parvient pas à communiquer pour obtenir ses réponses – en dépit d’une formation à la transe auto-induite. Parcours de deuil autant que chemin psychanalytique pour fixer ce qui constitue l’identité, celle de son père comme la sienne et même celle de son fils, l’autrice remonte le fil d’interrogations aussi bien existentielles qu’universelles.
Éliminer les biais
D’autant plus universelles que ses découvertes l’amènent à constater la place de l’histoire dans la vie de son grand-père : toutes ses relations, amoureuses comme familiales, sont marquées au sceau des régimes totalitaires qui se succèdent en Europe centrale. Cependant, reconstituer l’histoire familiale est une tâche de longue haleine, car chaque récit obtenu est, lui aussi, imprégné par l’environnement familial ou politique de celui qui le narre. Il faut alors, comme une historienne, intégrer le récit dans son contexte et éliminer autant que possible les biais, y compris les siens.
Dans un style simple, façon journal de bord, Vanessa Springora multiplie les ponts entre l’histoire de son ascendant et la situation politique contemporaine. À travers eux, ses inquiétudes quant au contexte géopolitique actuel percent comme autant d’appels humanistes pour mieux chercher à comprendre la complexité de son identité et, dans le même élan, celle d’autrui, de l’étranger.
Pour aller plus loin…
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