Javier Milei, un an de politique à la tronçonneuse
Le président d’extrême droite consolide sa popularité en Argentine. Élu en novembre 2023, il dirige un gouvernement autoritaire doté d’une stratégie de contrôle de la protestation.
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![Javier Milei, un an de politique à la tronçonneuse](https://www.politis.fr/wp-content/uploads/2025/02/milei-808x538.jpg)
© Tomas Cuesta / Getty Images / AFP
Javier Milei bénéficiait en janvier 2025 du soutien de 55 % de la population argentine, selon l’Observatoire électoral du pays sud-américain. Le même pourcentage que son score à la présidentielle de 2023, où il a battu le candidat kirchneriste et ancien ministre de l’Économie, Sergio Massa. La popularité de Milei persiste malgré la croissance du chômage et du taux de pauvreté, qui, en 2024, a dépassé 50 % de la population en raison du macro-ajustement budgétaire imposé par le leader de La Libertad Avanza (LLA), qui a plongé l’Argentine dans la récession.
Cependant, cette politique d’austérité radicale a également réussi à ralentir l’inflation, passée de 254 % en janvier 2024 à 117 % en décembre de la même année. C’est la clé de la popularité du leader libertarien, selon Melina Vázquez, professeure et chercheuse en sociologie à l’université de Buenos Aires : « Il y a toujours de l’inflation, mais il y a eu un ralentissement, qui apparaît comme un mérite politique. Il a fait ce que tous les hommes politiques disaient qu’ils allaient faire », assure-t-elle.
Milei a réduit les dépenses publiques de près de 30 % au cours de la première année de son mandat, selon le Centre d’économie politique argentine, une diminution qui a particulièrement affecté les retraites et les travaux publics, mais aussi de nombreuses politiques sociales, comme les aides aux cantines populaires. En conséquence, l’Argentine a clôturé 2024 sans déficit public.
« Il a fait campagne avec une tronçonneuse, ce qui pour beaucoup semblait d’une violence provocante. Cependant, c’était une métaphore bien réelle de ce qu’il a commencé à faire dès son arrivée au pouvoir », explique Melina Vázquez, qui considère que la radicalité de l’ajustement budgétaire a rapproché Milei d’anciens électeurs de centre-droit : « Une partie des sympathisants se sont sentis trahis par le gouvernement de l’ancien président Mauricio Macri, qui, selon eux, n’est pas allé au bout des mesures de réduction de l’État », poursuit-elle.
La question inflationniste en Argentine est subjective, elle a eu un impact très fort depuis le retour de la démocratie.
P. Semán
La popularité de Milei s’explique par le rôle que l’inflation a traditionnellement joué dans la vie politique et sociale du pays. « La question inflationniste en Argentine est subjective, elle a eu un impact très fort depuis le retour de la démocratie. Le gouvernement kirchneriste, le “macrisme” et Alberto Fernández ont tous connu des conflits sociaux causés par les prix », explique Bruno Taddia, conseiller municipal de la ville de Venado Tuerto et dirigeant du mouvement sociopolitique Ciudad Futura.
« L’une des principales demandes du peuple argentin est de générer un certain ralentissement des prix. » Le sociologue Pablo Semán, coordinateur de l’ouvrage El ascenso de Milei (éd. Siglo XXI) et expert de l’univers politique libertarien, abonde dans le même sens : « L’inflation a été l’une des principales raisons du soutien à Milei et du vote contre Massa. »
Milei combine la politique de la « tronçonneuse » fiscale avec des positions ultraconservatrices qui le rapprochent de l’extrême droite européenne et états-unienne. Son dernier coup d’éclat s’est produit lors d’un discours au Forum de Davos, où il a affirmé que « le féminisme, la diversité, l’inclusion, l’équité, l’immigration, l’avortement, l’idéologie du genre sont différentes têtes du même monstre ». Des dizaines de milliers d’Argentins ont réagi en manifestant dans les rues de Buenos Aires et d’autres villes, convoqués par des collectifs féministes et LGTBI.
Le président a réussi à imposer l’austérité budgétaire sans trop d’opposition, mais n’a pas pu avancer aussi fermement dans son agenda conservateur, qui incluait la criminalisation de l’avortement – reconnu comme un droit en Argentine depuis 2021 après des années de mobilisations massives du mouvement féministe. « S’il proposait une loi pour abroger l’interruption volontaire de grossesse, il y aurait une mobilisation significative et transversale dans les rues », argumente Melina Vázquez.
Construction d’un espace ultralibéral
Javier Milei a remporté l’élection présidentielle de novembre 2023 à la tête de La Libertad Avanza (LLA), une coalition de cinq partis conservateurs formée à la hâte pour répondre aux exigences légales. LLA est dirigée par Karina Milei, la sœur du président et son bras droit, qui a été sa directrice de campagne. Chargée de mener les accords avec les différents partis pour élaborer les listes électorales, elle a obtenu le financement pour sa candidature réussie.
Celle que son frère appelle « le chef » occupe le poste-clé de secrétaire générale de la présidence et travaille à transformer LLA en une force politique capable de rivaliser lors des prochaines élections législatives, en octobre, avec les deux blocs qui avaient structuré la politique argentine jusqu’à l’irruption de Milei : le kirchnérisme (centre-gauche) et le camp libéral-conservateur, dirigé par le parti Propuesta Republicana (PRO). D’après un sondage du cabinet Management & Fit publié fin janvier, LLA remporterait les législatives avec 42 % des voix, contre 26 % pour le kirchnérisme et 7 % pour PRO, une prédiction qui suggère l’absorption par l’ultradroite ultralibérale de la majorité des voix du centre-droit.
La vice-présidente Victoria Villarruel joue un rôle clé dans la conquête de ce segment de l’électorat. Son agenda politique se concentre sur la défense des militaires accusés de violations des droits humains pendant la dictature. Elle entretient une relation tumultueuse avec le président, qui a déclaré que « Villarruel n’a aucune ingérence dans la prise de décision » et l’a accusée d’être « proche de la caste », le terme péjoratif utilisé par Milei pour désigner les élites politiques dont il se dit l’ennemi. Malgré la distance évidente entre les deux, Milei bénéficie de la popularité de Villarruel auprès des secteurs ultraconservateurs, tandis qu’il dirige l’agenda des affaires économiques, dominé par l’ultralibéralisme.
Un gouvernement aux traits autoritaires qui a une stratégie de contrôle de la protestation.
B. Taddia
Une victoire électorale en octobre consoliderait le pouvoir de Milei, qui au cours de sa première année de gouvernement a réussi à faire avancer la plupart de ses propositions malgré l’absence de majorité parlementaire. « Il s’appuie principalement sur PRO, certains partis provinciaux et les secteurs les plus conservateurs du justicialisme. Ce qui semblait être une minorité est maintenant une majorité, explique Bruno Taddia, très critique envers l’opposition. L’opposition a non seulement été incapable de générer une proposition alternative, mais elle a fini par être complice en soutenant la majorité des mesures proposées par le gouvernement. »
Une opposition affaiblie
« Le meilleur allié de Milei en ce moment est l’opposition, affirme le sociologue Pablo Semán. Une partie de la population sent qu’elle vit moins bien, mais elle n’a ni dirigeants ni arguments pour contrer ceux de Milei. Il y a une souffrance qui ne peut pas être articulée politiquement, car les dirigeants politiques qui auraient pu le faire ne se sont pas préoccupés de renouveler la grille d’interprétation [de la réalité]. » L’ancien président Alberto Fernández est aujourd’hui le plus impopulaire de l’histoire récente de l’Argentine, en raison de son incapacité à contrôler l’inflation, de scandales comme l’énorme fête qu’il a organisée pendant le confinement dû à la pandémie de covid-19 et de la plainte pour violences conjugales déposée par son épouse en 2024.
L’opposition sociale est également diminuée. « Il y a eu cette année des manifestations ponctuelles contre des mesures comme les licenciements dans un hôpital, à l’Esma [un ancien centre de torture de la dictature transformé en espace de mémoire, N.D.L.R.], mais ce sont de petites mobilisations, à l’exception des marches universitaires », explique Melina Vázquez. Bruno Taddia décrit de son côté « un gouvernement aux traits autoritaires qui a une stratégie de contrôle de la protestation : répression, persécution judiciaire et restriction du droit de grève ».
La défaite n’est pas seulement politique, elle est aussi culturelle.
M. Vázquez
La faible résistance face au gouvernement ultradroitier de Milei reflète, pour Melina Vázquez, une défaite profonde du progressisme argentin. « Nous sommes à terre, ils continuent de nous frapper et nous n’arrivons toujours pas à nous relever, déplore-t-elle. La défaite n’est pas seulement politique, elle est aussi culturelle. » « La période politique favorable que traverse Milei est due à une reconfiguration subjective du peuple argentin autour des valeurs d’égoïsme et d’individualisme », soupire Bruno Taddia.
De son côté, Pablo Semán reconnaît que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump renforce le président argentin, mais il considère que le succès de l’extrême droite argentine répond surtout à des facteurs nationaux. « Milei n’est pas seulement le reflet des dynamiques globales, mais plutôt un vecteur autonome qui a commencé à influencer le global. C’est une icône très puissante pour la rébellion anti-État, il sert d’exemple à l’extrême droite en montrant que la radicalité paie », conclut le sociologue.
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