Julien Bayou innocenté : et après ?
Cette semaine marque la fin d’une longue séquence qui a opposé Julien Bayou et son ancienne compagne Anaïs Leleux. Celle-ci l’accusait de harcèlement moral et abus de faiblesse. La justice vient de classer l’affaire sans suite, pour absence d’infraction. Un fait suffisamment rare pour qu’il soit ici relevé et interrogé.

© Lily Chavance
Dans le même dossier…
« Il y a un conflit entre un féminisme civique et un féminisme de l’intime » Quand la justice anticarcérale transforme les violences sexistes Violences sexistes et sexuelles : encore un effort, la gauche !Julien Bayou a quitté EELV, a perdu toute fonction politique et élective et a vu son nom associé à de graves faits sexistes. Les Écologistes avaient confié à un cabinet spécialiste des violences faites aux femmes le soin de mener une enquête interne, close en octobre dernier sans qu’aucun délit ou manquement aux textes internes n’aient pu être trouvés. Le parti, dont Julien Bayou était le secrétaire national, est mis en cause dans cette gestion.
Quelle réponse la société doit-elle apporter dès lors que l’on parle de ‘comportement inadapté’, de ‘relation toxique’… ?
Le communiqué des Écologistes qui a suivi cette décision de justice a été, à raison, largement critiqué. Une sorte de en même temps qui n’est pas à la hauteur de ce que révèle cette affaire. Parce que cette affaire provoque de très nombreuses réflexions. La première porte sur la justice, non comme valeur, mais comme institution. Elle est souvent débattue comme unique issue parmi les militants engagés pour la cause des femmes. Cette institution doit devenir un recours accessible et efficace pour toutes les personnes victimes de violences sexuelles.
La formation des policiers et des magistrats en est une condition. Les moyens aussi. Aujourd’hui, ils n’y sont pas. La justice doit fonctionner selon des lois et des principes. Le slogan bienveillant qui a permis la parole et l’écoute, « Je te crois », relève d’une exigence vis-à-vis de la société. Celui qui existe aussi, et qui est même répandu, « Je ne te crois pas », doit lui aussi être combattu. Les deux ne peuvent être la base d’un jugement. Par ailleurs, la justice croit en l’amendement. Les peines ne peuvent être fermes et définitives.
La première question que soulève ce que l’on appelle désormais « l’affaire Bayou » et qui nous interroge dans ce dossier est celle du groupe, du collectif, de la société. Quelle réponse doit-elle apporter dès lors que l’on parle de « comportement inadapté », de « relation toxique » ou encore de « violence psychologique », qui ne relèvent a priori pas de l’institution judiciaire ? Et il ne s’agit pas là de dire que la réponse se situerait sur le plan de la morale ou de la justice des mœurs. Au contraire, il est bien question de rapports de force, de rapports de domination.
Rapports de domination
Le sujet n’est d’ailleurs pas « sexuel » comme le requiert la terminologie trop souvent utilisée – cf. violences sexistes et sexuelles – mais celui de notre rapport au pouvoir ou plus singulièrement du rapport des hommes au pouvoir. Parce que c’est bien le pouvoir, le rapport du dominant/possédant, au dominé/possédé. Le sujet est donc bien celui, y compris dans un registre non judiciaire, de la question de la domination masculine. La réponse se situe dans ce que le combat féministe porte : l’égalité. L’accès des femmes aux postes de pouvoir, par exemple, même si ça n’est pas suffisant.
D’autant moins suffisant que l’on voit des femmes aujourd’hui au pouvoir, aux plus hautes responsabilités, banaliser les conséquences et même le poids du système patriarcal, voire en appeler au retour du masculinisme et de la virilité. À ce titre, notre système éducatif ne peut pas continuellement mettre sous le tapis la question de la domination masculine, celle des rapports de domination et de ses conséquences sur la société.
La deuxième grande question porte sur la gestion des crimes et délits au sein des organisations politiques. Il serait hautement problématique que des mouvements se revendiquant du féminisme ne se donnent pas des règles et des principes, au-delà même de l’action de l’institution judiciaire. Ils peuvent se poser des principes « supérieurs » à ceux de la justice mais ils ne peuvent être en deçà des principes rappelés ci-dessus, auxquels s’ajoutent quelques autres comme le contradictoire, le droit à une défense, la présomption d’innocence, la possibilité de recours après une décision, etc.
Il serait temps que cette question des violences sexistes et sexuelles déborde des cercles féministes.
L’autre précaution essentielle est de détacher ces instances des enjeux internes aux organisations, notamment de pouvoir. La suspicion de sévérité à deux vitesses, d’instrumentalisation à des fins de gestion interne du pouvoir est délétère : le passé récent nous montre qu’elle n’est pas sans fondement. Des réflexions sont conduites sur la bonne réponse : instance interne à chaque parti ou transpartisane ? Mixte ou non mixte ? Avec l’appui d’organismes spécialisés ?
L’heure est à la déconstruction
Nous rendons compte ici d’un ouvrage récent sur la justice transformative qui aborde ce sujet. Au-delà de ces instances, croyons en l’importance des collectifs humains, de la sororité pour s’épauler et faire face. Mais il serait temps que cette question des violences sexistes et sexuelles déborde des cercles féministes en politique, à qui on reproche tantôt de dénoncer trop facilement, tantôt de ne pas avoir assez alerté. À ce titre, l’école, la formation tout au long de la vie, est une réponse centrale pour mettre à mal nos imaginaires, nos présupposés, nos représentations.
Pour contester cette domination masculine qui n’a rien de naturelle. Qui n’est le fruit que d’une construction sociale. L’heure est donc à la déconstruction. Et au-delà de la réponse judiciaire – qui n’est toujours pas à la hauteur pour les crimes et délits qui relèvent de l’institution –, il est avant tout question de volonté politique. Et nous en manquons cruellement !
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un DonPour aller plus loin…

Retraites : le pari de Bayrou

Élections allemandes : malgré Trump, l’AfD contenue

Trump et Poutine, de moins en moins seuls en Europe
