Retraites : le pari de Bayrou

La mission flash de la Cour des comptes sur les retraites est un désaveu cinglant pour l’hôte de Matignon. Mais le coup d’envoi du « conclave » est malgré tout lancé, où syndicats et patronat n’ont rien à gagner.

Pierre Jacquemain  • 26 février 2025
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Retraites : le pari de Bayrou
François Bayrou, après avoir reçu les résultats du rapport sur les retraites de la Cour des comptes, à Paris, le 20 février 2025.
© STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

Rien de neuf sous le soleil. La Cour des comptes a remis le 20 février dernier sa mission flash sur le déficit de la Caisse nationale des retraites. Un rapport qu’on pourrait estimer copié/collé sur celui du Conseil d’orientation des retraites – qui était contesté par l’actuel bloc central – tant leurs conclusions sont proches. François Bayrou, considérant que l’on cachait aux Français un déficit secret, estimait que le déficit de la Caisse nationale des retraites s’élevait à 55 milliards d’euros. Que nenni.

Personne ne sait où va François Bayrou.

Selon le rapport de la mission flash commandée par le premier ministre, le déficit se situerait autour de 14 ou 15 milliards d’euros d’ici à 2035. Le désaveu est cinglant pour l’hôte de Matignon mais le coup d’envoi du « conclave » est lancé. Pas question – encore – de réunir les cardinaux pour élire un nouveau pape – dont la santé est fragile –, mais de rassembler autour de la même table syndicats et patronats, pour « améliorer » la réforme des retraites, promet Bayrou. Sauf que personne ne sait où va François Bayrou.

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C’est vrai d’une manière générale – même ses amis les plus proches s’en inquiètent désormais ouvertement – mais ça l’est plus encore lorsque l’on s’interroge sur ce qu’il peut bien sortir d’un conclave où les désaccords entre les parties prenantes sont antagonistes. Bayrou ne s’est engagé sur rien. Tout juste avait-il dit qu’il n’avait pas de « tabou », notamment sur la question de l’âge légal de départ – comme pour caresser dans le sens du poil les syndicats, la gauche et le RN qui exigent un retour de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans.

Si la question de l’âge n’est plus centrale dans les discussions, un accord partiel pourrait être trouvé.

Et là où Bayrou pourrait bien être plus malin qu’il n’y paraît, c’est que le débat public s’est déplacé ailleurs. Aujourd’hui, la question n’est plus tant celle de l’âge que celle des améliorations possibles de la réforme : la pénibilité au travail, l’usure professionnelle ou l’égalité femmes-hommes. Si, jusqu’alors, les syndicats étaient unis pour contester la réforme des retraites, ils pourraient se retrouver désunis sur la stratégie. Les uns exigeant l’abrogation pure et simple de la réforme, c’est le cas de la CGT qui estime à raison que c’est au Parlement de trancher cette question ; les autres voyant dans le conclave une opportunité pour obtenir des aménagements de la réforme, comme le suggère la CFDT.

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Dès lors, si la question de l’âge n’est plus centrale dans les discussions, on peut estimer qu’un accord partiel pourrait être trouvé. Et si le texte revient à l’Assemblée nationale avec des améliorations, il sera difficile pour les parlementaires opposés à la réforme de les contester. C’est le pari – malin – de François Bayrou. Mais les syndicats et le patronat ont-ils intérêt à se laisser ainsi instrumentaliser par le premier ministre ?

Dans un autre genre, le Parti socialiste s’est récemment laissé entraîner dans cette voie – Bayrou cherchant à diviser le NFP. En assumant une ligne de négociation sur la question budgétaire, le Parti socialiste, qui estime avoir remporté plusieurs victoires – sur le budget de l’Éducation nationale ou celui de la Santé –, s’est surtout vu associé au budget du gouvernement qui a été considéré par de nombreux économistes comme le plus austère de la Ve République.

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Sans parler de la séquence d’humiliation que le premier ministre a infligée aux socialistes en plein hémicycle. En réalité, syndicats et patronat n’ont rien à gagner d’un conclave qui ne sert les intérêts que d’un premier ministre en quête de victoire et qui ne cherche qu’à gagner du temps politique. Si François Bayrou a donné trois mois au conclave pour atterrir sur un accord, il ne faudra que quelques heures aux participants pour acter leurs désaccords. Voilà qui serait plus raisonnable.

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