Au milieu du Nouveau Front populaire, les unitaires tentent de sauver les meubles

Étouffés par la lutte entre socialistes et insoumis, les défenseurs acharnés de l’union des gauches, issus pour beaucoup du groupe Écologiste et social à l’Assemblée, tentent de préserver l’alliance. Mais la recette miracle est aujourd’hui introuvable.

Lucas Sarafian  • 13 février 2025 abonné·es
Au milieu du Nouveau Front populaire,  les unitaires tentent de sauver les meubles
Rassemblement contre l'extrême droite, place de la République, à Paris, le jeudi 27 juin 2024.
© Maxime Sirvins

Lors d’une nuit de février, l’union des gauches a failli tomber. Encore une fois. Le 5 février, socialistes et insoumis se déchirent dans la salle des Quatre-Colonnes de l’Assemblée nationale. La raison ? Les premiers n’ont pas voté les deux motions de censure déposées par les seconds sur le projet de loi de finances et celui de financement de la Sécu. La guerre est déclarée. Les mélenchonistes accusent les roses de sauver François Bayrou et son gouvernement. Et les roses considèrent que les mélenchonistes sont uniquement obnubilés par le scénario improbable d’une présidentielle anticipée.

Dans la soirée, La France insoumise (LFI) diffuse un communiqué actant « l’interruption par le Parti socialiste du Nouveau Front populaire (NFP) » et proposant une réunion de tous les députés ayant voté les deux motions de censure. Un peu plus tard, le groupe parlementaire insoumis publie un visuel sur les réseaux sociaux. Une image juxtaposant les visages de Marine Le Pen et Olivier Faure. En légende : « Deux censures non votées par le PS et le RN : les nouvelles alliances. » La publication est supprimée peu de temps plus tard. Mais le mal est fait. Les socialistes se sentent insultés et la fracture au sein du NFP se creuse. Encore un peu plus.

En proposant une réunion excluant les socialistes qui n’ont pas voté la censure, les insoumis espèrent ainsi une reconfiguration du bloc de gauche. Une manœuvre leur permettant de prendre le leadership d’une nouvelle alliance tout en condamnant les socialistes à nouer un accord avec le bloc central s’ils souhaitent se créer un espace politique important. Devant cette tentative de recomposition, les unionistes temporisent.

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« Est-ce qu’on a des désaccords ? Oui, bien sûr. Je pense que le PS a fait une faute politique puisque voter la censure est conforme au programme du NFP. Mais le comportement des insoumis et leur procès en trahison permanent n’est pas entendable. A gauche, nous n’avons pas d’autres choix que de chercher à convaincre ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, et pas à s’insulter, considère Danielle Simonnet, députée du groupe Écologiste et social et membre de L’Après, l’association réunissant les « purgés » du mouvement mélenchoniste. Il faut une assemblée de tous les députés du NFP, c’est l’attente des électeurs de gauche. Il faut qu’on se parle. Les postures des socialistes et des insoumis sont fort peu unitaires. Au lieu de s’insulter, essayons de se convaincre. »

« Ne pas insulter l’avenir »

« Il ne faut pas insulter l’avenir. Pour demain, il faut l’unité. Mais il ne faut pas sous-estimer l’impact de la décision des socialistes sur le NFP. Ça me semble très difficile de faire vivre l’union avec une force politique qui paraît être une sorte de soutien du gouvernement. C’est une stratégie très risquée et les socialistes se retrouvent isolés. Mais ce n’est pas à LFI de décider qui fait partie intégrante de l’union », croit Hendrik Davi, député des Bouches-du-Rhône et membre lui aussi de L’Après.

Depuis, communistes et écologistes tentent, dans la foulée des deux premières motions de censure, d’appeler à la désescalade. Le 5 février, les députés verts publient une tribune dans Mediapart : « Aucun parti n’est propriétaire de notre union, celle-ci est le bien commun de nos électrices et électeurs. Nous refusons donc de faire du vote sur la censure celui qui définit les contours du Nouveau Front populaire, alors que nous connaissons un point de bascule historique… et peut-être demain dramatique. »

« Comme souvent des kilomètres de blabla pontifiant, avec la dose de venin habituelle sur ‘l’obsession présidentielle’ qui bien sûr ne concerne pas leur nid de non-candidats », écrit Jean-Luc Mélenchon dans une note publiée deux jours plus tard sur son blog.

Nous ne pensons pas qu’il y a d’un côté ‘la gauche de la vocifération’ et de l’autre ‘la gauche de la trahison’.

Le 6 février, les groupes de la Gauche démocrate et républicaine (le groupe communiste à l’Assemblée) et Écologiste et social écrivent un communiqué commun : « Nous refusons de laisser la censure dessiner les contours de l’appartenance à notre coalition (…). Nous ne pensons pas qu’il y a d’un côté ‘la gauche de la vocifération’ et de l’autre ‘la gauche de la trahison’. S’enfermer dans cette rhétorique serait acter notre impuissance collective », selon les députés qui dénoncent également le « signe égal dressé par les macronistes entre le RN et La France insoumise ».

« Une polémique débile sur un visuel, rétorque le triple candidat à la présidentielle. Ils trouvent là un nouveau prétexte pour des indignations boursouflées et recommencer le sempiternel procès des mauvaises manières des insoumis. »

Trois motions de censure plus tard, les insoumis ne lâchent pas l’affaire. Le 12 février, la coordination nationale et les parlementaires insoumis publient une nouvelle déclaration. « Nous constatons avec regret que le Parti socialiste a confirmé son changement d’alliance, rompant par là même avec le Nouveau Front populaire », est-il écrit dans ce texte. Les appels au calme n’ont pas été entendus.

Étouffés par le duel entre socialistes et insoumis qui mine la gauche depuis le début de la nouvelle législature, les défenseurs de l’union cherchent à extirper le NFP des guerres intestines. Mais personne n’a encore trouvé une voie de sortie. « Comment faire exister une ligne politique de gauche qui porte une certaine radicalité avec une méthode de soc-dem, entre le bruit et la fureur et la gauche Hollande ? », se demandait déjà au cœur de l’hiver un socialiste, proche de l’ex-insoumis François Ruffin.

Pendant que la gauche se déchire dans l’hémicycle au soir du 5 février, le député de la Somme organise dans une salle du palais Bourbon un colloque intitulé « Impôts : peut-on réinsérer les riches ? ». Autour de François Ruffin, se trouvent l’ex-insoumise Clémentine Autain, la députée Génération.s Sophie Taillé-Polian, la socialiste Christine Pirès-Beaune et le communiste Nicolas Sansu. Toutes les composantes de la gauche hors-LFI sont là.

« Il n’y a pas les traîtres et les purs »

« Dehors, il y a ceux qui votent la censure et ceux qui ne la votent pas. Il y a un psychodrame parlementaire et budgétaire en cours. Mais dans cette salle, il n’y a pas les traîtres et les purs. Il y a un désaccord tactique qui doit nous conduire néanmoins vers un horizon commun, l’horizon commun de la justice sociale, cette ‘idée aberrante’, d’après Javier Milei. C’est quelque chose que, malgré des points de désaccord, nous devons partager comme, en d’autres temps, ont su s’allier ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas », explique Ruffin, qui n’a pas coupé les ponts avec une petite troupe de députés socialiste et écolos, malgré les aléas de la gauche réunifiée.

Est-ce qu’on se laisse enfermer dans une dynamique mortifère avec laquelle on a perdu 40 000 fois ?

S. Rousseau

Parmi ses proches, on imagine depuis quelques semaines la création d’une dynamique unitaire en dehors du pôle mélenchoniste. Une façon de prendre de court le duel entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon que certains soupçonnent de vouloir s’affronter lors de la prochaine présidentielle. « Une ‘scop’ de la gauche est toujours possible, mais sans le noyau insoumis, c’est-à-dire sans Mélenchon. Sa méthode n’est pas acceptable, il ne peut pas être le candidat commun de la gauche », envisage un parlementaire de gauche.

De son côté, la députée écoféministe Sandrine Rousseau cherche à retourner le problème. « C’est encore et toujours la recherche de l’hégémonie à gauche. La seule réponse que nous pouvons apporter, c’est de se dire que le NFP n’appartient pas aux partis politiques en exclusivité, considère l’écolo qui plaide toujours pour la mise en place d’agoras unitaires partout en France, la création d’instances du NFP et la possibilité d’adhérer directement à l’union des gauches sans passer par les partis. Est-ce qu’on se laisse enfermer dans une dynamique mortifère avec laquelle on a perdu 40 000 fois ou est-ce qu’on veut gagner ? »

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Dans l’entourage de Lucie Castets, on espère toujours que la gauche sera capable de construire « un autre chemin avec toutes les forces du NFP » car « les Françaises et les Français attendent du sérieux et un programme d’union pour 2027 et les échéances précédentes ».

Pour le moment, les solutions concrètes se font attendre. « On a surtout besoin d’un rendez-vous commun et pas de réponses par voie de presse. La gauche a besoin d’un dialogue structuré car les gens attendent surtout l’union. On peut trouver un chemin commun. Pourquoi pas un ‘pacte de Tours’ pour se mettre d’accord sur un calendrier et travailler collectivement ?, estime le député écologiste d’Indre-et-Loire, Charles Fournier. Mais ce qui se passe à Paris n’est pas toute la réalité du NFP car il y a une dynamique unitaire dans de nombreux territoires. Et la gauche est aussi capable de se retrouver sur beaucoup de sujets comme la VIe République ou la Sécurité sociale de l’alimentation. » Quelques signes d’espoir au milieu d’une gauche en phase de dislocation.

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