Censure : François Bayrou sauvé par les socialistes et le Rassemblement national
Le premier ministre centriste et son budget passent la censure. Et le refus des socialistes de faire tomber le gouvernement relance le bras-de-fer entre les roses et les mélenchonistes.
Tous ont le sourire. Quelques minutes avant 15 h 30, une petite grappe de ministres discutent. Le premier ministre, François Bayrou, assis à son pupitre juste à côté d’Amélie de Montchalin, ministre en charge du Budget, discute avec Juliette Méadel, ministre déléguée à la Ville, et Manuel Valls, ministre chargé des Outre-mer. La discussion semble légère. Quelques instants plus tôt, François Hollande s’est même joint à ces joyeuses palabres, à côté de Gérald Darmanin, ministre de la Justice, et d’Éric Lombard, ministre de l’Économie.
Au gouvernement, l’ambiance est donc au beau fixe. Pourtant ce 5 février, l’Assemblée examine deux motions de censure déposées par les insoumis, suite à l’activation par François Bayrou de deux 49.3 sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Des tsunamis ? Plutôt de petites vaguelettes sur une plage au soleil.
Si votre budget passe, vous serez responsable du budget le plus austéritaire du XXIe siècle.
A. Trouvé
En bref, rien de très inquiétant. Le gouvernement ne tombera pas aujourd’hui et les ministres le savent. Les socialistes ont déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas ces censures, tout comme le Rassemblement national (RN). Pour François Bayrou, les calculs sont simples : la somme des députés qui voteront cette censure est loin d’être suffisante pour faire tomber le centriste de 73 ans.
Devant un hémicycle quasiment vide, l’insoumise Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques, porte l’accusation : « Si votre budget passe, vous serez responsable du budget le plus austéritaire du XXIe siècle, de la plus forte baisse de dépenses publiques que la France ait jamais connue, une baisse de 23 milliards d’euros, pire que celle prévue dans le budget de Michel Barnier. » Ces critiques ne semblent pas intéresser le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, assis juste à côté du ministre des Outre-mers, Manuel Valls, qui se cache derrière son pupitre pour regarder son téléphone.
À la tribune, la députée de Seine-Saint-Denis s’adresse, sans le dire vraiment, aux socialistes. « Face au 49.3, il n’y a qu’une seule façon d’exprimer son opposition au budget, qu’une seule façon d’exprimer son opposition au gouvernement, c’est le vote d’une motion de censure. Et donc, le seule vote responsable pour éviter ce naufrage économique et démocratique, c’est maintenant », dit-elle avant de retourner à son siège. Malheureusement pour elle, les rangs socialistes sont déserts. Seule une dizaine de députés sont présents pour écouter la diatribe.
« Un budget de moindres souffrances »
Alors que le discours touche à sa fin, Emmanuel Grégoire, député socialiste et candidat aux municipales à Paris, gratte les derniers mots de son discours, assis au quatrième rang. Sa mission est rude : il doit exprimer clairement la position du parti au poing et à la rose qui a décidé de voter contre le budget en commission mixte paritaire, sans défendre les deux motions de censure défendues par La France insoumise (LFI). Le député monte à la tribune et rentre dans le dur en citant Jean Jaurès : « A mesure que grandit le pouvoir des socialistes, grandit leur responsabilité. Mais de cette responsabilité, nous n’avons pas peur. »
Réindexation des pensions, annulation de la suppression des 4 000 postes d’enseignants, abandon des deux jours de carence supplémentaire dans la fonction publique, ouverture d’une « conférence sociale » sur les retraites : Emmanuel Grégoire liste les « concessions » obtenues par les socialistes lors des négociations. « Nous sommes lucides, ces avancées ne font pas de ce budget un budget juste. Mais ces acquis permettent de faire de ce budget un budget de moindres souffrances que celui de Michel Barnier », estime-t-il.
Les critiques pleuvent dans les rangs insoumis. Emmanuel Grégoire se doit d’y répondre. « Ce n’est ni dans les outrances de mots, du verbe et des actes que se forme la crédibilité. Le bruit et la fureur fragilisent les combats de la gauche », lance-t-il. Quelques minutes plus tard, il lâche : « Le Nouveau Front populaire est une alliance dans laquelle chaque parti conserve son autonomie stratégique. Ce n’est pas une instance dominée par un clan et son chef […]. Ceux qui tentent de faire croire qu’il s’agirait ici d’un ralliement au gouvernement mentent. À force d’être répétées à tort et à travers, ces accusations ont perdu toute consistance et sont devenues insignifiantes. »
Olivier Faure est sur une ligne de crête. Mais il a au moins réussi à ne pas faire exploser son groupe.
C’est maintenant officiel : les socialistes ne voteront pas la censure. Ce choix est applaudi par quelques députés du bloc central et salué par Marc Fesneau, chef de file des députés Modem, Jean-René Cazeneuve, l’orateur désigné pour Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance), et Philippe Juvin, chargé de porter la voix des députés de la Droite républicaine.
« L’amicale de la censure »
La décision a été prise il y a deux jours lors d’une réunion du bureau national du parti. Lors de ce conclave, les débats n’ont pas été très houleux et le vote en faveur de la non-censure s’est même « amplifié », selon le mot d’un participant. Seuls quatre membres du bureau national ont voté pour la censure : le premier secrétaire fédéral de Seine-Saint-Denis, Mathieu Monot, le maire des Ulis (Essonne), Clovis Cassan, la conseillère municipale de Metz, Charlotte Picard, et le sénateur Alexandre Ouizille, créateur avec l’eurodéputée Chloé Ridel du groupe Whatsapp nommé « L’amicale de la censure » réunissant ceux qui, au sein du parti, sont favorables au vote de la censure.
Selon les socialistes, la France doit se doter d’un budget, même mauvais. « Nous avons entendu les inquiétudes des Françaises et des Français, nous savons les craintes des entreprises, des collectivités locales et des associations qui attendent visibilité et stabilité pour construire leur propre budget, embaucher, investir, engager leurs projets », est-il écrit dans le communiqué publié après cette réunion. Mais leur réflexion repose aussi sur des arguments plus stratégiques. Les roses ne veulent absolument pas être accusés de bloquer le pays, de replonger la France dans l’instabilité institutionnelle, d’affaiblir encore un peu plus Emmanuel Macron et de précipiter la victoire de Marine Le Pen en cas de présidentielle anticipée.
Pour éviter d’être considérés comme des soutiens de François Bayrou, les socialistes annoncent toutefois déposer une motion de censure, au nom de l’article 49.2, la semaine prochaine. Un texte centré sur les « valeurs » de la République, attaquant l’utilisation par le Premier ministre de l’expression de « submersion » migratoire, défendant l’État de droit et critiquant les remises en cause de l’aide médicale d’État.
La manœuvre, difficilement lisible, est néanmoins habile, selon certains, car elle permet à Olivier Faure de maintenir l’unité de son parti, tiraillé entre ceux qui souhaitent censurer et ceux qui veulent se montrer « constructifs » vis-à-vis du gouvernement. « Olivier Faure est sur une ligne de crête. Mais il a au moins réussi à ne pas faire exploser son groupe », considère un cadre socialiste. « Chacun sait que ce 49.2 ne sera pas voté. C’est pour, en quelque sorte, se donner bonne conscience », juge un insoumis.
Ce budget est pire que celui de Michel Barnier. Le PS et le RN sauvent le gouvernement et protègent les hyper-riches milliardaires.
G. Amard
Du côté du Rassemblement national, se justifier semble plus que complexe. À la tribune, Yoann Gillet, porte-parole du groupe mariniste, critique ce texte budgétaire, « un racket organisé sur le dos des Français qui travaillent », « qui demande des efforts aux Français mais ne fait pas d’économie sur l’immigration et la fraude ». Mais aussi la motion insoumise, une « mascarade », selon lui, et le brouhaha de l’alliance des gauches, divisée en deux stratégies distinctes. « Soit vous soutenez tous la censure, soit vous ne la déposez pas et vous cassez officiellement l’alliance », pointe-t-il. Un argumentaire fait de deux contorsions pour arriver au point final : le groupe de Marine Le Pen ne votera pas non plus cette censure.
Guerre des gauches
Le résultat tombe dans la soirée : seuls 128 députés ont voté cette censure, un paquet important dans lequel se trouvent six socialistes, dont deux apparentés – Mélanie Thomin, Pierrick Courbon, Paul Christophle, Philippe Naillet, Christian Baptiste et Peio Dufau -, mais pas suffisant pour faire chuter François Bayrou. Dans la Salle des Quatre-Colonnes, socialistes et insoumis relancent la guerre des gauches. Et le Nouveau Front populaire (NFP) paraît ébranlé.
« Ce budget est pire que celui de Michel Barnier. Le PS et le RN sauvent le gouvernement et protègent les hyper-riches milliardaires », considère le député insoumis Gabriel Amard. Le mouvement mélenchoniste propose, dans une déclaration, d’organiser une réunion réunissant tous les députés de gauche ayant voté la censure. Une reconfiguration de l’alliance ?
« Je pense que le PS a fait une faute politique puisque voter la censure est conforme au programme du NFP. Mais le comportement des insoumis et leur procès en trahison permanent n’est pas entendable. À gauche, nous n’avons pas d’autres choix que de chercher à convaincre ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord, et pas à s’insulter », temporise la députée du groupe Écologiste et social Danielle Simonnet, membre de L’Après.
La nuit tombe, les débats sur la deuxième motion de censure concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale commencent à peine, et rien ne change. Quelques instants plus tard, François Bayrou échappe à la deuxième motion de censure et déclenche dans la foulée un nouveau 49.3 sur la partie recettes du budget de la Sécurité sociale. La gauche est condamnée à revivre la même histoire.